DCCCCLXXXVII
Rémission accordée à Jamet Simonneau, de la Gestière près Saint-Christophe-la-Chartreuse. En sortant de vêpres de l’église de ce lieu, le jour de la Toussaint précédente, il était allé boire avec plusieurs de ses parents et voisins. Une dispute commencée au sujet du paiement de l’écot se continua sur le chemin, et un nommé Jean Jolain, frappé par ledit Simonneau, succomba trois jours après.
- B AN JJ. 170, n° 73, fol. 99
- a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 26, p. 319-323
Charles, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receu l’umble supplicacion des amis charnelz de Jamet Symonneau, povre jeune homme, laboureur, chargié de jeune femme et de trois petis enfans, demourant au village de la Joatere en la parroisse de Legé, en l’ostel et compaignie de Perrot Symonneau et sa femme, ses pere et mere, et de Jamet Symonneau, son oncle, contenant comme, le jour de la feste de Toussains derrenierement passée, après ce que comme bons catholiques, les diz Symonneau et ceulx de leur hostel qui sont bien xx. personnes et plus, furent revenus de oïr le service divin de leur dicte parroisse de Legé, où il a bien une grant lieue de distance, et qu’ilz eurent disné, s’en alerent cellui jour [p. 320] par devocion aux vespres à une autre eglise parrochial, nommée Saint Christofle de Chartruces, la quele est trop plus près de leur hostel que n’est la dicte parroisse de Legé, et à l’issue des dictes vespres, les diz Pierre Symonneau et sa femme, pere et mere du dit Jamet, et Jehan Jolain, Jehan et Colas Tixiers ensemble, et la femme du dit Colas, et autres qui estoient alez de pié ou dit lieu de Saint Christofle, s’en alerent boire ensemble par bonne amour en l’ostel d’un nommé Jehan Bernart, demourant au dit lieu de Saint Christofle, où il avoit vin à vendre. Et après eulx, tant pour boire comme pour attendre et acompaignier ses diz pere et mere, le dit Jamet Symonneau et un nommé…1 demourant à la Bezceliere, son voisin, s’en alerent en l’ostel du dit Bernart, et de bonne foy et par bonne compaignie se assirent à boire avec les dessus dis, au bout de la table, qui les receurent en leur escot amiablement. Et après ce qu’ilz eurent beu et fait bonne chiere ensemble, comme voisins ont acoustumé de faire, firent compter leur escot, et en fu chascun d’eulx, lesquelz estoient quatre, à deux deniers tournois, dont le dit Jamet Symonneau fu par eulx ordonné à cuillir le dit escot, lequel il cuilli et leva, excepté du dit Colas Tixier, qui lui dist qu’il n’en paieroit que deux ou trois tournois pour lui et sa femme. Et le dit Jehan Tixier dist que riens n’en paieroit jusques à ce que l’argent qui estoit par dessus l’escot feust employé et fait venir en vin. A quoy le dit Jamet Symonneau respondi et dist au dit Colas Tixier que, s’il ne paioit entierement l’escot de lui et de sa femme, il ne recevroit point le dit escot, en offrant au dit Jehan Tixier et autres de la compaignie que, le dit escot paié et levé, il estoit près de bailler ou faire venir en vin le residu de l’argent d’icellui escot, s’aucun en y avoit. Et sur ces paroles se leverent tous d’ilec, et mesmement les diz Jehan et Nicolas Tixiers, et s’en [p. 321] yssirent hors du dit hostel sans paier leur dit escot. Et lors le dit Jamet Symonneau s’en yssi après eulx leur querir et demander leur porcion d’icellui escot, dont ilz ne vouldrent paier que quatre deniers, desquelz, pour eschever debat, il se tint pour content, combien que de raison ilz en deussent six deniers, à y comprendre l’escot de la femme du dit Nicolas. Et ce fait, le dit Jamet et le dit Menu (sic) se misdrent à chemin pour eulx en aler en leurs maisons ; mais les diz Jehan et Nicolas les Tixiers se esmeurent à aler après et à les suyr très impetueusement, et tant que le dit Menu qui, en s’en alant et suyvant paisiblement le dit Jamet, oy la murmure et impetuosité des diz Jehan et Nicolas, s’effroya et destourna du chemin où il estoit, et alors se aproucha du dit Jamet le dit Jehan Tixier, qui estoit le premier et le plus près de lui, et lui dist : « Jamet, vous ne faites pas bien de emporter nostre argent. Nous ne le voulons point, car nous sommes aussi grans pour l’avoir comme vous. » A quoy le dit Jamet respondi : « J’ay quatre deniers qui sont tous près à mettre en bonne compaignie. Faites que Colas Tixier baille les deux qu’il doit pour l’escot de sa femme. » Et encores, pour ce que le dit Jamet vit que le dit Jehan Tixier ne prenoit pas en gré la dicte responce, mais perseveroit en ses premieres paroles, icellui Jamet lui dist : « Jehan Tixier, vous estes mon cousin et mon compere, je vous prie, beau sire, que vous m’eschauffez pas tant de paroles. » Et lors le dit Jolain dist au dit Jamet : « A ! Jamet, ne vous faites point si grant contre Jehan Tixier, pour vostre or ne pour vostre argent, car lui et moy avons assez argent à paier tout vostre or. » Et à ces paroles respondi le dit Jamet au dit Jolain : « Se tu ne vendoyes tes beufs et tes vaches, tu ne pourroyes. » Et sur ce mot qui estoit après vin, s’en alerent par aucun temps, murmurant les uns contre les autres de leurs sotices, povretez et richesses, et tant que le dit Jamet leur dist : « Ne vous hastez pas tant, attendez [p. 322] vos gens », par maniere de moquerie. A quoy le dit Colas Tixier impetueusement respondi : « En effect, ycy a assez gens pour vous. » Et lors le dit Jamet dist : « C’est doncques à dire que vous estes venus pour moy courir sus. » Et en perseverant en leurs soles et mauvaises paroles, le dit Jehan Jolain qui estoit après le dit Jamet, entre les diz Jehan et Colas Tixiers, sailli sur le costé du chemin et laissa le chemin où il estoit et trespassa le dit Jehan Tixier qui estoit devant lui et se mist au devant et à l’encontre du dit Jamet. Lequel s’escrya en disant ces moz : « A ! filz de pute vieille, est il à toy te prendre à moy ? » Et en ce disant, le dit Jamet prinst le dit Jolain à la chevesaille et le gecta à terre et atant le laissa pour lors, sans plus lui touchier ; mais si tost que le dit Jolain fu relevé, ala moult impetueusement courir sus au dit Jamet et se prendre à lui, dont le dit Jamet qui estoit plain de vin et moult esmeu, fu moult iré et indigné, et lui voyant la malice des diz Jolain et Tixiers, qui ainsi l’actaynoient de paroles, se prinst au dit Jolain, et en repellant et obviant à son povoir à la faulce et mauvaise voulenté du dit Jolain, le gecta de rechief par terre, et quant il fut à terre, icellui Jamet le frappa du pié sus le visage, et après sacha un petit coustel taillepain qu’il avoit à sa saincture, et par temptacion de l’ennemi et la grant chaleur où il estoit en frappa un seul cop par le ventre le dit Jehan Jolain, duquel cop, combien qu’il ait depuis vescu, alé et venu par l’espace de trois ou de quatre jours, après est alé de vie à trespassement. Pour occasion duquel cas ainsi avenu, les diz supplians doubtent le dit Jamet, leur parent, qui pour ce est detenu prisonnier, estre par rigueur de justice ou autrement pugny en corps ou en biens, dont ses diz povre femme et enfans seroient en voye de mendier à tousjours leur povre vie, se nostre grace et misericorde ne lui estoit sur ce impartie, en nous humblement requerant que, attendu ce que dit est, etc., lui vueillons nostre [p. 323] dicte grace impartir. Pour ce est il que nous, inclinans à la dicte supplicacion, etc., au dit Jamet Symonneau avons remis, quictié et pardonné, etc., pourveu que le dit Jamet tendra prison fermée [deux mois], dont l’un sera au pain et à l’eaue. Si donnons en mandement par ces mesmes presentes à nostre bailli de Touraine, des ressors et Exempcions d’Anjou, du Maine et de Poictou, et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Paris, ou mois de decembre l’an de grace mil cccc. et dix sept, et de nostre regne le xxxviiie.
Par le roy, en ses requestes. R. Filleul.