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MXXVIII

Extrait des lettres de rémission octroyées à Georges de La Tremoïlle, grand chambellan du roi, pour la détrousse et emprisonnement de Jean Chartier, receveur du roi en l’élection d’Orléans, l’arrestation arbitraire et séquestration privée de Martin Gouge, évêque de Clermont, et autres abus de pouvoir, excès et violences1.

  • B AN JJ. 177, n° 209, fol. 139
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 29, p. 25-28
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons, etc. De la partie de nostre chier et feal cousin, conseiller et grant chambellan, George seigneur de la Trimoille et de Suly, nous avoir esté exposé que aucuns bienveillans et amys privez dudit sr de la Trimoille et frequentans sa compaignie familiairement lui ont par plusieurs foiz dit et remonstré que, pour cause et occasion d’aucuns cas cy après declairez particulierement, on lui pourroit donner coulpe et charge et en pourroit avoir à besoingner et à faire, et encourir en dangier et dommaige ou temps avenir, se il n’y pourveoit, et qu’il [p. 26] en feust deschargié ; et pour ce y advisast et querist sa provision devers nous. Des quelz cas, ainsi que audit exposant puet souvenir, particulierement la declaration s’ensuit2 : . . . . . . . . . . . . . . . Autres des diz cas regardans la prinse des personnes de Guillaume de Julien et de ung appellé Desiré Martin, bourgois de Limoges. Est assavoir que comme le dit sr de la Trimoïlle ayant grant auctorité et gouvernement entour nous et en noz affaires, comme il a de present, eust esté prié et requis de par la dicte ville de Limoge et consulat d’icelle de les aidier et secourir de certain nombre de gens d’armes et de trait, pour aller mettre le siege devant le chastel et place de Moruscle (sic) ; lequel sr de la Trimoïlle obtempera à la dicte requeste, et par les diz de Limoges lui fut promis grant somme de deniers. Et pour les diz gens de guerre entretenir et aler oudit voiage exposa du sien grant somme de deniers. Desquelz paier et tenir promesse, depuis le dit service fait, ceulx de la dicte ville de Limoges furent requis de par icellui sr de la Trimoïlle plusieurs foiz ; lesquelz en furent delayans. Et pour ce, icellui sr de la Trimoïlle, recors de ces choses et de son interest, voulant estre recompensé, fist prendre et mener prisonniers les diz Guillaume de Julien et Desiré Martin ou chastel de Chauvigny, où il les avoit fait mettre prisonniers, et mener en nostre chastel de Poictiers et ailleurs où bon lui sembla, comme des plus principaulx du fait et poursuite de la dicte ville de Lymoges, pour estre [p. 27] paié de sa dicte mise et despence. Lesquelz Guillaume de Julien et Desiré Martin lui paierent de vim à viim frans ou autre somme non gueres plus grant, de toute laquelle somme il n’est pas bien souvenant…. Donné à Poictiers, le septiesme jour de may l’an de grace mil cccc.xxxi, et de nostre regne le xme3.

Ainsi signé : Par le roy en son conseil, ouquel vous, Christofle de Harecourt4, le mareschal de Saincte Severe5, maistre Jehan de Vaily6 et Junien Le [p. 28] Fevre7, presidens en Parlement, et plusieurs autres dudit conseil estiez. Malliere. Visa. — Contentor. P. Le Picart.


1 Ces lettres de rémission ont été publiées par M. le duc de La Trémoïlle, d’après une copie qui se trouve au chartrier de Thouars, analysées longuement et commentées par M. de Beaucourt (Les La Trémoïlle pendant cinq siècles, tome Ier, Guy et Georges (1343-1444), Nantes, in-4°, 1890, p. 192 ; Histoire de Charles VII, t. II, p. 274, 275.) Nous n’en donnerons qu’un extrait relatif à l’emprisonnement de deux bourgeois de Limoges à Chauvigny et à Poitiers. L’intérêt de ces lettres résulte en grande partie de la date qu’elles portent. Le lendemain, 8 mai, furent prononcés les arrêts condamnant Louis d’Amboise, vicomte de Thouars, à la prison et à la confiscation de ses biens ; André de Beaumont et Antoine de Vivonne, à la peine de mort. Tous les historiens s’accordent à reconnaître l’influence souveraine de La Trémoïlle dans ce procès et dans son dénouement. M. de Beaucourt fait justement remarquer qu’à la veille de la condamnation de ses ennemis, le favori, sentant que par un soudain retour de fortune sa situation pouvait se trouver gravement compromise, crut se mettre à l’abri d’une éventualité redoutable en se faisant délivrer un acte d’amnistie et la remise de toutes les peines qu’il avait encourues par le passé.

2 En 1416, La Trémoïlle, sous prétexte de se payer de 10.000 livres qu’il prétendait lui être dues pour la solde de ses gens, s’était approprié certaine grosse somme d’argent que Jean Chartier, receveur du roi en l’élection d’Orléans, envoyait à Paris, et avait fait battre le porteur qui avait dénoncé la détrousse. En juin 1418, après l’occupation de Paris par les Bourguignons, La Trémoïlle s’était saisi de la personne de Martin Gouge, évêque de Clermont, et l’avait tenu enfermé au château de Sully, jusqu’à ce que le dauphin fût venu en personne le délivrer. Tel est le résumé des faits criminels visés au commencement de ces lettres de rémission.

3 Ces lettres sont enregistrées, sans motif apparent, au milieu d’abolitions accordées à des gens de guerre pour leurs excès, au mois d’avril 1446, et il est à noter que, sauf la rémission de Georges de La Trémoïlle, tous les actes du reg. JJ. 177 sont des années 1444, 1445 et 1446.

4 Christophe d’Harcourt, troisième fils de Jacques d’Harcourt, seigneur de Montgommery, et de Jeanne d’Enghien, fut seigneur d’Havré du chef de sa mère, conseiller et chambellan de Charles VII, souverain maître et général réformateur des eaux et forêts de France, l’an 1431, l’un des négociateurs du traité d’Arras (1435), gouverneur des villes de Beaumont et de Mouzon en 1437, et mourut sans alliance le 11 mai 1438.

5 Jean de Brosse, sr de Saint-Sévère, maréchal de France (1426), dit aussi le maréchal de Boussac, né en 1375, mort en 1433. C’est lui qui tua, par ordre de Richemont, Camus de Beaulieu, l’indigne favori du roi.

6 Jean de Vaily, premier président du Parlement de Poitiers (vol. précédent, p. 256, note 1). Son nom revient presque à chaque page des registres de cette cour. Le 15 janvier 1426, il requérait des poursuites contre Thévenin de Lestang et ses complices, coupables d’avoir battu et injurié Jacques de Vaily, l’un de ses fils. (Arch. nat., X2a 21, fol. 41 v°.) L’an 1432, le premier président, veuf et déjà fort âgé, se remaria avec Jeanne Gillier, fille de Denis Gillier et de Jeanne de Taunay, veuve elle-même de Pierre Royrand ; il eut à cause d’elle un procès avec Étienne et Jean Gillier, ses frères, au sujet de l’héritage d’Herbert de Taunay, leur oncle. (Actes des 25 juin, 4 et 28 juillet et 9 décembre 1433, X1a 9194, fol. 48 v°, 49, 52, 55, 60 v° ; plaidoiries des 23 juin et 21 juillet 1433, X1a 9200, fol. 167, 177 v°, 179, 181, 185, 186.) Un accord intervint entre les parties, le 7 décembre 1433 (X1c 146). Jean de Vaily habitait une maison derrière le Palais de Poitiers. Le 19 octobre 1434, infirme et ne pouvant aller à pied ni monter à cheval, il demanda et obtint de ses collègues qu’une porte murée qui donnait de la chambre du conseil, faisant suite à la grande chambre du Parlement, sur le jardin du Palais, derrière la tour de Maubergeon, fût percée à nouveau et fermée à clef pour son service particulier. (X1a 9194, fol. 82 v°.) Le premier président mourut le 9 et fut enterré le 11 mars 1435. (Id., fol. 93.) Le même jour, la cour fit apposer les scellés sur ses meubles et papiers. (X2a 21, au 11 mars.) Son fils aîné, Jean de Vaily, avait été reçu conseiller au Parlement le 14 mars 1425, par ordre du roi ; il jouissait d’une prébende en l’église de Laon par lettres données à Bourges, le 2 mars 1422. (X1a 8604, fol. 112.) Jacques, son second fils, est qualifié chevalier. Ses autres enfants étaient Marguerite, femme de Me Jean Simon, Tanguy, âgé de moins de vingt-cinq ans à la mort de son père, et Perrette, mariée à Me Jean Le Viste. Les héritiers du premier président transigèrent avec sa veuve relativement au douaire de celle-ci, par acte du 2 avril 1435. (X1c 149 et X1a 9194, fol. 96.) M. Thomas parle d’une autre fille de Jean de Vaily, qui aurait épousé Nicole de la Barre, maître des requêtes de l’hôtel (Les États provinciaux sous Charles VII, t. I, p. 279) ; mais elle n’est point nommée dans l’acte du 2 avril 1435. On y apprend que le premier président avait acquis, depuis son second mariage, une maison près des Cordeliers à Poitiers, et que la plus grande partie de ses biens était au pouvoir des Anglais.

7 Junien Le Fèvre, fils de Pierre décédé président à mortier au Parlement de Paris, n’est pas nommé dans l’ordonnance de Niort (21 sept. 1418) instituant une Cour souveraine à Poitiers. Cependant il avait suivi le dauphin, après l’entrée des Bourguignons à Paris. Celui-ci le pourvut d’un office de président au Parlement créé à Toulouse par lettres du 20 mars 1420 et transféré à Béziers en 1425, sous le nom de Parlement de Languedoc. Lorsque cette cour fut supprimée et réunie à celle de Poitiers (Chinon, 7 octobre 1428), Junien Le Fèvre siégea dans cette dernière, au même titre. Mais son rang n’était pas encore réglé le 4 novembre 1429 ; il demandait à prendre séance suivant la date de sa réception. La question fut soumise au roi et décidée au profit de Guillaume Le Tur. Junien n’eut que le troisième rang parmi les présidents à mortier, et le second après le décès de Jean de Vaily. (Blanchard, Les Présidens à mortier, in-fol., p. 79.) On trouve encore son nom, à la dernière séance tenue à Poitiers, le 6 novembre 1436. (X1a 9194, dernier fol.) Depuis il siégea au Parlement réinstallé à Paris. On trouve un acte relatif au président Junien Le Fèvre dans le fonds du chapitre de Notre-Dame-la-Grande de Poitiers ; c’est un arrentement de fondis sis en la rue de la Jabrouille, consenti à son profit, l’an 1432. (Arch. de la Vienne, G. 1138.)