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MLXXXV

Rémission en faveur de François de Montcatin, capitaine de la Roche-sur-Yon, qui, entre autres méfaits, avait fait emprisonner sans motif et dépouiller Geoffroy Le Ferron, trésorier de France, et avait résisté à main armée à Guy d’Aussigny, lieutenant et chambellan du roi, envoyé à la Roche-sur-Yon pour le mettre en état d’arrestation.

  • B AN JJ. 177, n° 159, fol. 106 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 29, p. 241-252
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons, etc. nous avoir receu l’umble supplicacion de François de Montcatin1, natif de [p. 242] Montcatin en Toscanne, capitaine de la Roche sur Yon pour nostre très chier et très amé frere le roy de Sicille, duc d’Anjou2, contenant que, ung an après que nostre dit frere le remist en son service, il se accointa de son confesseur, par lequel il fist dire à nostre dit frere qu’il savoit maniere de faire argent d’arquemye, et qu’il feroit merveilles de y besoingner qui lui vouldroit bailler place pour ce faire. A quoy, sur son donné à entendre, nostre dit frere acquiessa et lui bailla la capitainerie de la dicte Roche sur Yon, et, en la presence de nostre dit frere, en la ville d’Angiers, pour acomplir ce qu’il avoit promis dudit argent d’arquemye, il print ung lingot d’argent, le mist en son pongnet bien à la moitié, puis rebrassa ses manches de sa robe, et ce fait le tira entre deux doiz, le laissa cheoir en ung croiset à fondre argent et mist ung charbon dessus, en maniere que nostre dit frere ne s’en apparceust point. Et ainsi par plusieurs foiz en a abusé, et lui porta son fait et conduite envers nostre dit frere le confesseur, l’aumosnier et ung surnommé Cotignon, soubz umbre de ce que le dit suppliant leur promettoit que, se son dit fait aloit bien, qu’il leur monstreroit et feroit quelque bien de la science de la dicte arquemye. Et depuis, c’est assavoir environ la [p. 243] veille de la Conception de Nostre Dame mil cccc. xliiii, arriva audit lieu de la Roche sur Yon Geuffroy Le Feron3, [p. 244] et vint denoncier audit suppliant sa venue ung nommé François Byecte4. La quelle chose venue à sa congnoissance, soubz umbre de ce que une femme nommée Jehanne Leuvronne lui avoit mandé que le dit Geuffroy lui avoit demandé où estoit le jardin du chastel, et qu’il se doubtoit qu’il voulsist à ceste cause faire quelque chose contre lui, veu que autresfoiz le dit Feron avoit esté cause de sa prison à Nantes, icellui suppliant arresta le dit Ferron ou chastel du dit lieu de la Roche sur Yon, et, environ deux heures après, envoia querir par ung de ses varletz la boiste dudit Ferron en l’ostellerie où il estoit logié en la ville. Et quant il la tint, la mist en ung coffre en la maison neufve qu’il a fait faire ou dit chastel. Ouquel le lendemain vint Jaquet Chabot5, lequel ennorta le dit suppliant de faire mourir le dit Geuffroy, à quoy il ne se voult consentir. Et après entrerent en parole de la boiste dudit Geuffroy, la quelle fut actainte du dit coffre, et l’ouvry le dit Chabot, en la [p. 245] presence dudit suppliant, et eulx deux visiterent les lettres qui estoient en la dicte boiste, et entre les autres trouverent ung blanc signé de nostre amé et feal chevalier, conseiller et chambellan, le sire [de] Coictivy, admiral de France6. Et dist lors le dit Chabot audit suppliant que, s’il [p. 246] vouloit, que on joueroit bien de ung tour audit Ferron, où il aroit grant dommaige. A quoy le dit suppliant respondy qu’il estoit content et qu’il ne lui chaloit que on lui fist, mais qu’il ne mourust. Et adonc le dit Chabot fist une faulse lettre, de laquelle le dit suppliant fit emplir le dit blanc, et fut mis ou fons de la dicte boiste, la quelle le dit Chabot fist reporter envelopée en ung manteau en la ville. Et tantost après la renvoya, par son page, refermée, audit suppliant, qui la remist en son dit coffre. Et le landemain par le conseil dudit Chabot, fist icelluy suppliant venir devers lui ou chastel le juge, l’advocat fiscal, le procureur, le greffier dudit juge et plusieurs autres des plus notables de la dicte ville, et en leur presence fist venir le dit Ferron, lui fist apporter la dicte boiste, lui demanda se c’estoit la sienne ; lequel respondit que oyl. Et lors lui en demanda la clef, laquelle lui fut baillée par ung des varletz dudit Ferron. Lequel, ce fait, il fist retraire, et, presens les dessus diz, ouvry la dicte boeste, leut et fist lire les lettres qui estoient dedans, et, entre les autres, celle qui avoit esté ainsi faulsement escripte oudit blanc ; laquelle lettre, pour la mauvaistié contenue dedans7, chascun des dessus diz leurent en blasmant très fort le dit Ferron de porter teles lettres. Non obstant toutes les quelles choses, le dit suppliant a detenu le dit Ferron prisonnier, et de lui a eu unze cens escuz d’or, une douzaine de tasses d’argent du poix de xxiiii. marcs et demy, drap de velours, avecques dix neuf francs cinq solz moins qui estoient en la boeste [p. 247] dudit Ferron, qui furent despenduz au dit lieu de la Roche sur Yon en despense de bouche8. Et ou mois de janvier [p. 248] oudit an mil iiiic xliiii, nostre amé et feal chevalier et chambellan, [p. 249] Guy d’Ossigny9, acompaigné de cinquante hommes [p. 250] de guerre ou environ, arriva devant la dicte place de la Roche sur Yon, pour illec prendre le dit suppliant et ses serviteurs. Auquel icellui suppliant demanda s’il avoit mandement de nous de ce faire, offrant en ce cas lui obeir. A quoy nostre dit chambellan lui respondi que non, mais comme lieutenant de nous il avoit puissance. Et pour ce que sur ces termes, le dit suppliant ne voulu faire obeissance à nostre dit chambellan, icellui nostre chambellan s’efforça de prendre la dicte place. Et ce voyant le dit suppliant, doubtant la fureur de nostre dit chevalier, s’il advenoit que la dicte place fust prinse, dist à ses gens que chascun se deffendist, mesmement que nostre dit chevalier ne faisoit point apparoir de la dicte commission ou mandement de nous pour ce faire. Et lors icellui suppliant, acompaigné de treize ou quatorze hommes, sailly dehors [p. 251] la dicte place, et en combatant l’un de ses dictes gens tira ung trait, de quoy il frappa ung des gens de nostre dit chevalier qui en mourut. Et ce fait, se departy nostre dit chevalier et chambellan et ses dictes gens10. Pour occasion [p. 252] desquelz cas, le dit suppliant doubte que par rigueur de justice il ne lui conviengne miserablement finer ses jours, se nostre grace et misericorde ne lui sont sur ce imparties, si comme il dit, requerant humblement que, attendu que en tous ses autres faiz, il a esté tousjours de bonne vie, renommée et honneste conversacion, sans oncques mais avoir esté actaint ou convaincu d’aucun villain cas, blasme ou reprouche, nous lui vueillons subvenir de nostre dicte grace. Pour quoy nous, ces choses considerées, voulans grace et misericorde preferer à rigueur de justice, au dit suppliant avons quicté, remis et pardonné, etc., satisfaction toutesvoyes faicte à partie civilement tant seulement, se faicte n’est, et mesmement faicte à Geuffroy Le Ferron dessus nommé. Si donnons en mandement, par ces presentes, à noz amez et feaulx conseillers les gens tenans nostre present Parlement à Paris, aux seneschal de Poictou, bailli de Touraine et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Chinon, ou moys de fevrier l’an de grace mil cccc. xlv, et de nostre regne le xxiiiie.

Ainsi signé : Par le roy, les contes de Foix11 et de Tancarville12, les sires de la Varenne, de Blanville, de Pressigny, de Maupas13 et autres presens. G. Herbert. — Visa. Contentor. E. Duban.


1 Cet aventurier italien qui avait surpris la faveur du roi René, duc d’Anjou, en lui faisant croire qu’il connaissait un secret pour fabriquer les métaux précieux, n’était qu’un repris de justice. Incarcéré à Nantes et convaincu une première fois d’avoir usé de sortilèges et évoqué les malins esprits, il avait été condamné à la prison perpétuelle. Comment parvint-il à s’échapper, à obtenir la capitainerie de la Roche-sur-Yon et eut-il encore le crédit de se faire délivrer ces lettres de rémission, après les violences qu’il avait exercées contre un trésorier de France et sa rébellion à main armée contre un lieutenant du roi ? Toujours est-il que François de Montcatin ne profita guère de la grâce royale. Ses crimes avaient passé la mesure. La plainte que Geoffroy Le Ferron avait déposée contre lui donna lieu à un procès dont le Grand conseil s’attribua la connaissance. Les antécédents de l’aventurier étaient notoires. On le jugea non seulement sur l’affaire de la Roche-sur-Yon, mais sur l’ensemble des actes criminels relevés contre lui, et il fut condamné au supplice du feu, « tamquam hereticus ac demonum invocator, ex nostra et magni nostri consilii ordinacione, expost combustus et ad mortem executatus fuerat », lit-on dans l’arrêt rendu, plusieurs années après, contre ses complices (Arch. nat., X2a 26, fol. 272) et dont il sera question plus longuement dans une autre note (ci-dessous, p. 247). L’exécution de François de Montcatin, d’après ce texte, paraît avoir eu lieu vers la fin de mars 1446 ou au commencement du mois suivant, en même temps sans doute que celle de Jacques Chabot.

2 Au sujet de la possession de la châtellenie de la Roche-sur-Yon par le duc d’Anjou, cf. notre t. VI, p. 233, note 3.

3 Geoffroy Le Ferron est dit homo notabilis, originaire de Nantes ; il avait été, à cause de sa bonne renommée et de sa compétence spéciale, retenu en qualité de conseiller du roi et trésorier de France, et s’était toujours bien comporté dans l’exercice de cette charge. Le lieu du Souchet lui appartenait. Il possédait aussi les terres de Saint-Étienne-de-Mermorte et des Jamonnières qu’il avait achetées de Gilles de Raiz, et pour lesquelles il eut un procès avec Prégent de Coëtivy, auquel Charles VII avait fait don des biens confisqués du feu maréchal, après la condamnation de celui-ci, d’où l’origine du différend. L’amiral d’ailleurs était encore en bons termes à cette époque (déc. 1444) avec Le Ferron et l’avait chargé de l’administration de ses biens et de ses intérêts en Bretagne, ce qui explique pourquoi celui-ci emportait dans sa valise des blancs-seings de ce haut personnage. (X2a 26, fol. 274.) Leur litige ne put être réglé à l’amiable, et même il s’envenima tout à coup par suite d’un acte de violence exercé par des gens de l’amiral contre les propriétés de Geoffroy. Vers la fin de 1448, Guillaume Lescu à la tête d’une bande armée, se disant envoyés de Coëtivy, envahit les lieux du Souchet, des Jamonnières et de Saint-Étienne-de-Mermorte ; ils brisèrent les portes et les fenêtres des manoirs, en arrachèrent les panonceaux royaux, marque de la sauvegarde dont Le Ferron jouissait comme trésorier de France, mirent tout à sac et occupèrent les habitations. Il n’était pas facile à un sujet du roi de France de se faire rendre justice en Bretagne. Le sénéchal de Poitou fut chargé de l’information, mais ne put procéder efficacement. Jean Baillet, conseiller au Parlement, fut commis pour continuer les procédures, faire ajourner Coëtivy et ceux qui par son ordre s’étaient rendus coupables de ces excès, et de mettre les terres litigieuses sous la main du roi. (Lettres du 6 septembre 1449, X2a 26, fol. 32, 33.) Prégent de Coëtivy, retenu pour le service du roi, en compagnie du duc de Bretagne et du connétable de Richemont, et opérant alors en Normandie dont la conquête s’accomplissait avec son concours efficace, obtint de Charles VII à Caudebec, le 8 décembre 1449, des lettres d’état renvoyant son procès à un an. (Arch. hist. de la Saintonge et de l’Aunis, t. VI, 1879, p. 54.) L’amiral fut tué à Cherbourg avant la fin de cette année, et Geoffroy Le Ferron continua les poursuites et exerça ses revendications contre la veuve et les héritiers. On retrouve la trace de cette procédure sur les registres de la cour, aux dates des 14 août 1450, 15 septembre 1451, 26 février, 27 mars, 9 juin et 29 décembre 1452. (X2a 25, au 27 mars 1452 n.s. ; X2a 26, fol. 91 v°, 139, 170, 181 v°, 216.)

Le trésorier de France ne craignait pas de s’attaquer aux puissants et de s’attirer leurs persécutions. Le duc de Bretagne lui devait une somme considérable, qu’il refusait de lui payer. Le Ferron, en appela au roi de France. Comme il s’était mis hors des atteintes directes du duc, ce fut son frère Jean et son beau-frère Jamet Thomas, demeurant à Nantes, qui devinrent les victimes de la vengeance des officiers de ce prince. Le 20 juillet 1448, Jean de Vannes, capitaine des archers du duc, Yves Brezillac et d’autres hommes armés se saisirent de Jean et le conduisirent à Vannes, où il fut longtemps retenu prisonnier et maltraité, frappèrent et blessèrent Jamet Thomas et jetèrent hors de leur hôtel les gens et les serviteurs du frère et du beau-frère. Une information fut faite d’abord à Montaigu, par ordonnance du sénéchal de Poitou, puis à plusieurs reprises des décrets de prise de corps et des ajournements devant la cour du Parlement furent publiés contre les coupables. (Actes des 23 décembre 1448 et 18 mars 1449, X2a 26, fol. 5, 6 v°, 9.)

4 Ce François Biette et Guillaume Levron, mari de Jeanne, nommée deux lignes plus bas, furent compris dans les poursuites exercées contre les complices du capitaine de la Roche-sur-Yon.

5 Jacques Chabot, écuyer, sr de Pressigny, fils aîné de Tristan et de Jeanne de Rezay. Il fut le principal complice du capitaine de la Roche-sur-Yon dans cette affaire de violence et de séquestration contre Geoffroy Le Ferron. Il s’était rendu coupable de beaucoup d’autres crimes, y compris le rapt d’Agnès ou Anne de Chaunay, pour lequel il fut poursuivi, ainsi que ses deux frères, Germain et Léon, par le père de celle-ci, François de Chaunay, seigneur de Champdeniers, comme on le verra plus loin, à l’occasion des lettres de rémission obtenues par Germain et Léon Chabot, en avril 1446 (après le 16), imprimées quelques pages plus loin. Après avoir longtemps échappé aux sergents chargés de le prendre au corps, Jacques fut enfin mis en état d’arrestation, postérieurement au 3 février 1446 n.s. (Arch. nat., X2a 24. A cette date, il faisait dire au Parlement par son parent Louis Chabot, sr de la Grève, qu’il était tombé de bateau dans la Loire.) Une commission, composée de membres du Grand Conseil et de conseillers au Parlement, instituée pour le juger, le condamna à mort et le fit exécuter, on ne sait exactement à quelle date, mais sûrement à la fin de mars ou au commencement d’avril 1446, comme on le verra dans un autre endroit.

6 Lorsqu’il fut arrêté et incarcéré à la Roche-sur-Yon, Geoffroy Le Ferron se rendait précisément à Taillebourg, auprès de Prégent de Coëtivy, amiral de France. (Arch. nat., X2a 25, à la date du 30 mars 1452 n.s.) Ce célèbre capitaine breton, né vers 1400, était le fils aîné d’Alain de Coëtivy et de Catherine du Chastel. Il dut sa haute fortune en grande partie à l’amitié du connétable de Richemont dont il était le familier, et fut mêlé souvent aux événements de l’histoire du Poitou. Par le traité de Rennes (1432), il fut chargé de garder la place de Mauléon, et Charles VII s’engagea à ne pas le remplacer comme capitaine avant dix ans. (Texte publié par E. Cosneau, Le connétable de Richemont, p. 544.) Il aida puissamment à la réussite de la coalition contre Georges de La Trémoïlle et assista à la journée de Sillé, aux côtés du connétable, rentré en grâce auprès du roi. Créé amiral de France au lieu d’André de Laval, sr de Lohéac (août 1439), il servit fidèlement Charles VII pendant la Praguerie, et particulièrement à la reprise de Saint-Maixent, assiégea et prit la ville de Creil (mai 1441), se distingua aux sièges de Pontoise et du Mans, s’empara de la ville de Coutances, assista Richemont à la bataille de Formigny, et finalement fut tué d’un coup de canon, dans la tranchée, au siège de Cherbourg (août 1450). Tel est le résumé succinct des services rendus à Charles VII par l’amiral de Coëtivy ; il en fut largement récompensé. Outre le gouvernement de la Rochelle, les capitaineries de Granville et de Lesparre, sa charge d’amiral et de nombreuses libéralités pécuniaires, le roi lui fit don des terres et seigneuries de Raiz, Ingrande et Champtocé (22 avril 1443), confisquées sur le maréchal Gilles de Raiz, de la terre et seigneurie de Taillebourg (12 mai 1443), où fut élevée, sous sa garde, Marie, fille de Charles VII et d’Agnès Sorel. Par lettres datées de janvier 1450 n.s., à Jumièges, le roi lui donna encore la terre de Lesparre. (JJ. 180, n° 19, fol. 8.) Il avait épousé, en juin 1442, Marie de Laval, fille de Gilles de Raiz, dont il n’eut point d’enfants. M. Paul Marchegay a publié des documents très curieux, dont quelques lettres missives, relatifs à Prégent de Coëtivy, seigneur de Taillebourg, tirés du chartrier de Thouars. (Arch. hist. de la Saintonge et de l’Aunis, t. VI, 1879, p. 23-88.) On trouve encore des renseignements intéressants sur l’amiral de Coëtivy, et particulièrement touchant son gouvernement à la Rochelle, dans plusieurs affaires criminelles qu’il engagea au Parlement de Paris contre Arnaud Gaillard (X2a 24, aux dates des 1er juin, 15 juillet, 16 et 23 décembre 1445, et 4 mars 1448 n.s.), et surtout dans son procès contre Maurice de Pluscalec. (23 juin 1447, X2a 23, fol. 356 v° ; 26 novembre 1448, X2a 25.) Ses héritiers, nommés dans un acte du 27 mars 1452 n.s., furent sa femme Marie de Raiz, remariée alors à André de Laval, sr de Lohéac, maréchal de France, Alain de Coëtivy, cardinal d’Avignon, Olivier de Coëtivy, chevalier, sénéchal de Guyenne, et Christophe de Coëtivy, écuyer, ses frères. (X2a 25, à cette date.)

7 Nous connaissons, par l’arrêt du 18 mai 1453, le contenu ou plutôt le sens général de la lettre que Jacques Chabot et Montcatin avaient imaginé de contrefaire et de transcrire au-dessus de la signature de l’amiral de Coëtivy. Elle était adressée à Charles d’Anjou, comte du Maine, et exprimait des sentiments de révolte contre le roi et son gouvernement, soi-disant partagés par les princes du sang : « pessima et sediciosissima verba, nos regnumque nostrum ac ceteros alios de sanguine nostro tangencia », paroles suffisantes, si elles avaient été l’expression de la vérité, pour perdre complètement (destruere) Prégent, Le Ferron et tous les autres. (X2a 26, fol. 272.)

8 Dans les présentes lettres, les mauvais traitements infligés à Geoffroy Le Ferron par le capitaine de la Roche-sur-Yon et ses complices sont exposés très sommairement et fort atténués, ce qui se comprend naturellement. Dans l’arrêt, au contraire, ils sont relatés minutieusement et pour ainsi dire jour par jour, heure par heure, de telle sorte qu’ils tiennent quinze pages du registre du Parlement. Pour compléter un peu ou rectifier la version par trop insuffisante, fournie par le principal coupable, nous signalerons les passages essentiels du texte de l’arrêt, basé sur les informations judiciaires. Parti de Nantes, le 5 décembre 1444, en compagnie d’un nommé Guillaume Rousseau, qui se rendait aussi auprès de l’amiral de Coëtivy, de la part de Guillaume de La Loherie, juge de Bretagne, Le Ferron s’arrêta au Souchet, puis à Machecoul. Le chemin le plus court pour se rendre à Taillebourg, les conduisit à la Roche-sur-Yon, où ils arrivèrent le 7, à heure de vêpres. De l’hôtellerie où ils étaient descendus, ils allèrent se promener dans la ville et rencontrèrent près de la rivière, dans le voisinage d’un petit pont en ruine, trois ou quatre hommes de la garnison, dont Jean de La Brunetière, le jeune, que Le Ferron connaissait, et Alain de Coëtquen. Il les mena chez son hôte et leur offrit à boire. Le soir, ceux-ci revinrent et lui dirent que le capitaine François de Montcatin le priait de se rendre au château ; il les y accompagna. Après une scène avec un prêtre, nommé Eustache Blanchet (depuis convaincu de sorcellerie), qui lui adressa de grossières menaces, il fut mis en présence du capitaine, avec lequel il échangea d’abord quelques paroles de politesse. Puis il lui dit : « Seigneur capitaine, vous m’avez mandé de venir vous trouver, pour vous donner des nouvelles. Je n’en connais point, sinon que j’ai quitté le duc de Bretagne à Nantes et que je dois retourner près de lui à Vannes, avant la Noël prochaine. Si vous ne désirez rien autre chose de moi, je vous prierai de me donner congé. » Montcatin l’interrogea alors sur le but de son voyage, puis subitement, changeant de ton : « Il ne vous suffit pas, lui dit-il, de m’avoir fait autrefois arrêter à Nantes ; maintenant vous venez m’espionner. Mais la place n’est pas si facile à prendre, et je saurai bien me venger de vous, avant que vous n’en sortiez. » Sur ce, Le Ferron protesta que jamais il ne lui avait fait mal ni déplaisir, et que même il avait fait son possible, à l’époque dont il parlait, pour obtenir sa mise en liberté ; qu’il n’était pas venu l’espionner, et ne voudrait pour rien au monde faire chose qui déplût au roi de Sicile, ou à quelqu’un de ses officiers. Et s’adressant aux assistants, il déclara que, si quelqu’un l’accusait et se constituait partie contre lui, il répondrait, autrement qu’on le laissât partir, d’autant qu’étant trésorier de France, s’il avait fait quelque chose de répréhensible, c’était aux maîtres des requêtes de l’hôtel du roi, ou autres ses officiers, à en connaître. Ensuite, comme Montcatin feignait de ne pas croire qu’il fût officier du roi de France, il lui dit que dans la valise restée chez son hôte se trouvaient ses provisions et d’autres papiers, et qu’il le laissât les aller chercher. Ce à quoi le capitaine se refusa et jura qu’il ne sortirait point du château.

Le Ferron fut alors, avec un de ses valets, enfermé dans une tour du donjon, sous la garde de quelques-uns de ceux qui avaient assisté à cette scène. Sa captivité dura pendant deux mois et demi. Le second jour, il comparut de nouveau devant Montcatin qui feignit d’avoir trouvé contre sa victime une preuve terrible et ordonna de le conduire dans une basse fosse très profonde, humide et obscure. Au bout de sept ou huit heures, Blanchet vint l’y trouver et lui dit : « Ribaut, avouez, ou vous allez mourir ! » Geoffroy fut ensuite retiré et enfermé dans un cachot moins profond, mais où il eut à souffrir cruellement du froid, très rigoureux en cette saison, sans pouvoir obtenir de ses bourreaux un manteau ni une couverture. Quelques jours plus tard eut lieu, devant une nombreuse assemblée, composée, outre Jacques et Germain Chabot et les autres familiers du capitaine, de tous les officiers de justice de la châtellenie, la fameuse scène de l’ouverture de la valise et de la lecture de la fausse lettre de Coëtivy au comte du Maine, longuement décrite dans l’arrêt. Tout cela avait pour but naturellement de jeter l’effroi dans l’âme du prisonnier et de l’amener à offrir une grosse rançon. Comme il ne s’y décidait pas de lui-même, Montcatin descendit dans son cachot, lui adressa de violents reproches, et finalement lui déclara qu’il n’avait pas d’autre moyen de recouvrer sa liberté que de racheter son crime par une amende de 25,000 écus d’or, et que, s’il ne consentait pas immédiatement à payer cette somme, il serait mis à mort avant qu’il fût deux jours. Devant ces menaces, Le Ferron essaya d’entrer en arrangement ; il remontra qu’il lui était de toute impossibilité d’arriver jamais à se procurer une rançon aussi énorme ; il offrit 500 écus, à condition qu’on le conduisit à la justice du roi de Sicile. Ce n’était point l’affaire du capitaine ; aussi il persista dans ses exigences et dans ses menaces. Blanchet et les autres vinrent à leur tour essayer de l’intimider et n’en purent rien obtenir. Alors, au milieu de la nuit, le valet qui lui apportait ordinairement à manger, vint le réveiller, lui dit de se préparer à mourir, et lui proposa l’assistance d’un prêtre. Geoffroy, croyant en effet sa dernière heure venue, accepta l’offre et demanda en plus du papier et de l’encre. Des hommes pénétrèrent alors dans le cachot, le dépouillèrent de sa tunique, lui lièrent les mains, le menerent nu-tête à une fenêtre du château ouvrant sur la rivière, et firent mine de le précipiter. Ces tortures et d’autres qu’on lui infligea finirent par décider le malheureux prisonnier à signer une cédule, par laquelle il s’engageait à donner pour rançon 1000 écus d’or vieux, douze tasses d’argent et beaucoup d’autres objets précieux. Il écrivit à son ami Jacques du Plessis, chevalier, sr de la Bourgognière, qui lui apporta la somme. Au moment de la remettre à Montcatin, Le Ferron réclama de nouveau qu’on le remît entre les mains des officiers de justice d’Angers, et comme le capitaine s’y refusa, il eut la force d’âme d’ordonner à du Plessis de remporter l’argent. Montcatin, furieux, redoubla de mauvais traitements contre son prisonnier.

Les officiers du roi de Sicile furent enfin informés de ce qui se passait. Jean de La Forêt, connétable d’Anjou, muni d’une commission signée du duc, se présenta à la Roche-sur-Yon et intima l’ordre au capitaine de lui livrer Le Ferron, pour le conduire devant le conseil ducal. Montcatin refusa, en déclarant qu’il le mènerait lui-même. Puis ostensiblement il fit sortir Geoffroy de son cachot, s’arma, monta à cheval avec les gens de sa suite, laissa le château à la garde de La Brunetière, l’aîné, sr du Ponceau, et sortit de la place avec son prisonnier. La troupe s’engagea dans la forêt de la Roche-sur-Yon. Cette sortie n’était qu’une feinte. On rentra de nuit par une poterne dans le château, et Le Ferron fut de nouveau incarcéré et durement traité. Douze jours plus tard, se produisit la tentative inutile de d’Aussigny, qui dut battre en retraite. Le récit nous en sera fourni plus complet par un autre document. Pendant que ce drame se déroulait contre ceux qui voulaient le délivrer, le trésorier de France, toujours dans sa basse-fosse, était à demi mort de froid et de privations. Ce n’était pas l’intérêt de son bourreau de l’y laisser périr. Montcatin l’en fit tirer évanoui et placer devant un feu bienfaisant qui le ranima. Se sentant un peu mieux, mais d’une extrême faiblesse, Le Ferron demanda à mettre sa conscience en règle avec Dieu, et, à défaut de prêtre, se confessa au sr du Ponceau. Peu après l’expédition manquée de Guy d’Aussigny, arrivèrent à la Roche deux nouveaux personnages, porteurs d’un second mandement de mise en liberté, signé du roi de Sicile. C’étaient un écuyer de la maison de ce prince, nommé Le Bègue, et L. de La Croix, son procureur général d’Anjou. Devant eux, le capitaine, pour donner couleur à son refus, produisit la fausse lettre qu’il avait fabriquée avec Jacques Chabot, et déclara que de toute façon il ne laisserait pas aller son prisonnier, sans la rançon dont il lui avait extorquée la promesse. La somme lui fut versée et il se décida enfin à remettre Le Ferron entre les mains des deux officiers d’Anjou. Celui-ci voulut obtenir la restitution de sa valise et de son contenu ; mais Montcatin se débarrassa de cette réclamation, en prétendant que le tout avait été emporté par un serviteur du trésorier, ce qui était absolument faux.

Dès le lendemain de son arrivée à Angers, Le Ferron porta plainte à la Chambre des comptes d’Anjou, où se trouvaient le juge d’Anjou, l’archidiacre d’Angers et plusieurs autres membres du conseil ducal, demandant justice contre le capitaine de la Roche-sur-Yon ; mais ceux-ci craignaient de se compromettre et, malgré ses instances réitérées, il ne put rien obtenir d’eux. Tout ce qu’on lui accorda, ce fut, après avoir déposé une forte caution que ses frères Jean et Yvonnet apportèrent, d’être conduit sous escorte auprès du roi René, qui se trouvait alors à Nancy avec Charles VII. Il fut détenu pendant quelque temps dans cette ville. Alors le roi de France, instruit de son cas, en saisit la cour de Parlement. Quand les premières informations eurent fait connaître la gravité de cette affaire, elle fut évoquée devant le Conseil du roi, qui condamna à mort et fit exécuter les deux principaux coupables, François de Montcatin et Jacques Chabot, pour ce crime et les autres dont ils étaient chargés, puis renvoya devant le Parlement leurs complices dont il sera question ci-dessous, dans une note à propos de Jean de La Brunetière, l’un d’eux. (Voy. Arch. nat., X2a 26, fol. 272 r° à 280 v°.)

9 Guy d’Aussigny, d’Aussigné ou d’Auxigny, chevalier, chambellan du roi, exerçait alors la charge de lieutenant du roi ès pays de Poitou, Saintonge, gouvernement de la Rochelle et Angoumois, et de conservateur des trêves. Il se qualifie ainsi dans un acte signé de sa main, le 20 juillet 1445, par lequel il certifie que Gabriel Miette, receveur du roi à Pons, Arvert, Broue, élection de Marenne et Mornac, a accompli par son commandement plusieurs voyages aux villes de Plassac et de Breuil, naguère appartenant à Jacques de Pons, vers les gens qui tiennent ces places contre le roi, tant pour faire les exploits des lettres du roi données à l’encontre des rebelles, que pour essayer par divers moyens de remettre et réduire lesdites places en l’obéissance du roi ; que ledit Miette a vaqué à ses opérations, lui second et avec deux chevaux, durant six semaines, et qu’il l’a taxé à 32 livres tournois, qu’il prendra sur sa propre recette. (Bibl. nat., Pièces originales, vol. 150, dossier Aussigny, n° 3.) On trouve aussi Guy d’Aussigny, qualifié, dans cet acte et dans d’autres, seigneur de Trêves en Anjou. Cette baronnie appartenait à Robert Le Maçon, chancelier de France, décédé sans enfants le 28 janvier 1443 n.s. La seconde femme de ce dernier, Jeanne de Mortemer, fille de Jean, seigneur de Couhé, s’était remariée avec Guy, et c’est à cause d’elle qu’il prenait le titre de seigneur de Trêves. Son mariage avait eu lieu avant le 19 mars 1444 n.s., car à cette date il était présent à un traité passé entre son beau-père, d’une part, Jean Coussot, abbé, et les religieux de l’abbaye de Notre-Dame de Valence, d’autre. (Coll. dom Fonteneau, t. XXVII, p. 741.) Guy d’Aussigny ne jouit pas d’ailleurs sans contestation de la baronnie de Trêves. Il plaidait, en 1449, contre Jean d’Étrépigny, héritier de Jeanne Cochon, première femme de Robert Le Maçon, et contre Élie Dollée et la femme de celui-ci, qui se portaient aussi pour héritiers du chancelier. Un appointement conclu entre les parties, l’an 1454, régla que l’usufruit seulement de la terre de Trêves appartiendrait à Guy et à Jeanne de Mortemer, et la propriété aux héritiers. Annette d’Aussigny, sœur de Guy, sans doute, était en 1446 veuve de Pierre Bessonneau, grand maître de l’artillerie de Charles vii.

10 Le récit de la rébellion du capitaine de la Roche-sur-Yon contre les ordres du lieutenant du roi de France n’est pas plus exact ici que celui de l’emprisonnement et des tortures auxquels il soumit Geoffroy Le Ferron. Les actes du procès fait au Parlement pour s’opposer à l’entérinement des lettres de rémission octroyées à Germain Chabot, l’un des complices de François de Montcatin, nous permettent de rétablir les faits. Les parents de Le Ferron n’ayant pas réussi en faisant intervenir les officiers du duc d’Anjou, s’adressèrent au lieutenant du sénéchal de Poitou ; mais il leur fut répondu que « en la dite place de la Roche y avoit gens de guerre qui usoient de voye de fait », et qu’on ne pourrait arriver à un bon résultat par les voies légales. C’est pourquoi il leur fut conseillé de demander l’appui du sr d’Aussigny. Celui-ci, « après que les officiers du roi de Sicile lui eurent donné totale obeissance », se fit accompagner de Jean Chèvredent, procureur général de Poitou, et se transporta avec sa compagnie devant la Roche-sur-Yon, où il fit les commandements nécessaires pour s’en faire ouvrir les portes. Mais il ne put s’avancer au delà d’un boulevard, où Montcatin et cinquante hommes armés vinrent le trouver. D’Aussigny déclara au capitaine qu’il était lieutenant du roi et comme tel venait vers lui, pour se faire remettre le prisonnier avec les charges qui existaient contre celui-ci, s’il y en avait toutefois. Après un premier refus formel, il tenta de parlementer, mais voyant que les gens d’armes qui entouraient Montcatin prenaient une attitude menaçante, il se retira et alla loger avec sa compagnie dans deux hôtelleries des faubourgs, après avoir déclaré qu’il y attendrait qu’on lui fît soumission. Puis, ayant fait faire une nouvelle démarche aux portes, on lui fit dire que, s’il voulait donner un sauf-conduit à Germain Chabot, celui-ci entrerait en pourparlers avec lui. Le sauf-conduit fut accordé. Chabot vint trouver d’Aussigny, dîna et soupa avec lui ; il coucha même dans l’hôtellerie. Le lendemain de bon matin, il rentra dans la place, soi-disant pour ménager un appointement entre le capitaine et le lieutenant du roi de France. Il retourna peu de temps après vers d’Aussigny et lui dit qu’il avait trouvé Montcatin en bonnes dispositions, « mais que Le Ferron estoit un mauvais garniment », et que le capitaine ne le délivrerait pas avant d’avoir nouvelles du roi, auquel il en avait écrit, qu’il était prêt à traiter sur cette base et à échanger sa signature avec celle d’Aussigny. Celui-ci bailla alors son scellé à Chabot, qui l’emporta en ville et ne revint plus. Le procureur de Poitou fut envoyé aux portes, pour savoir s’il aurait réponse ; il les trouva fermées et ne put se faire ouvrir. Ce fut à ce moment que quatre-vingts hommes armés sortirent de la place, vinrent aux faubourgs devant les logements de d’Aussigny et de sa compagnie, et se mirent à tirer. Un homme frappé d’un vireton fut tué sur le coup, un autre grièvement atteint mourut peu après. Guy d’Aussigny lui-même et cinq ou six personnes de son escorte furent blessés. Les assaillants rentrèrent ensuite dans la place, et d’Aussigny se retira avec ses gens d’armes. (Arch. nat., X2a 25, sous les dates du 22 juin 1451 et du 30 mars 1452 n.s.)

La résistance armée du capitaine de la Roche-sur-Yon au lieutenant du roi et à ses gens est relatée encore dans deux autres actes publiés ci-dessous. (Lettres de rémission accordées, en avril 1446, aux deux frères Germain et Léon Chabot, et, en mai 1446, à Jean de La Brunetière, écuyer.)

11 Gaston IV, comte de Foix et de Bigorre de 1436 au 21 juillet 1472, date de sa mort. (Cf. ci-dessus, p. 239, note 1.)

12 Le comte de Tancarville, ci-dessus, p. 127, note 1.

13 Il a été question à plusieurs reprises, dans les pages qui précèdent, des sires de la Varenne, de Blainville, de Pressigny et de Maupas.