[p. 427]

MCXXXV

Lettres de rémission accordées à Etienne de Blet, écuyer, seigneur du Treuil en la châtellenie de Vivonne, et à Jean Delahaye, son valet, coupables de l’assassinat de Jean de Curzay, seigneur de Goupillon.

  • B AN JJ. 178, n° 159, fol. 94
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 29, p. 427-432
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons, etc. nous avoir receue l’umble supplicacion de Estienne de Blet1, escuier, seigneur du Trueil en la chastellenie de Vivonne, en nostre païs de Poictou, et Jehan Delahaye, son varlet, contenant que comme, à cause dudit hostel du Trueil, ledit de Blet ait plusieurs beaulx dommaines et heritaiges, entre lesquelz [p. 428] y a ung pré appellé le Pré de la Barre, ouquel pré icellui de Blet trouva par plusieurs foiz grant quantité de porceaulx et mesmement ung certain jour y en trouva quinze ou seize qui gastoient son dit pré. Et lors icellui de Blet dist audit Delahaye, son varlet, qu’il les alast mettre hors dudit pré, ce qu’il fist et en bleça aucuns, comme il rapporta audit de Blet, suppliant, son maistre. Lesquelz porceaulx ou les aucuns d’eulx estoient et appartenoient, comme il fut dit audit de Blet, aux seigneur et dame de Goppillon. Et pour ce icellui suppliant envoya par plusieurs foiz par devers eulx les prier et requerir qu’ilz voulsissent faire garder leurs diz porceaulx et qu’ilz lui avoient fait et faisoient chascun jour de grans dommaiges, mais ilz n’en tindrent compte et donnerent de grans menaces audit suppliant, à l’occasion de ce que aucuns de leurs diz porceaulx avoient esté bleciez, comme ung nommé Belet dist et rapporta depuis à icellui suppliant. Auquel ledit suppliant dist que, s’il avoit fait aucun dommaige ou desplaisir ausdiz seigneur et dame de Goppillon, qu’il estoit prest de l’amender et que pour riens il ne vouldroit estre malvueillant d’eulx ne d’autres. Et depuis, à l’occasion des choses dessus dictes, ou mois de septembre derrenier passé ot ung an, se meurent certaines grosses paroles entre la femme dudit de Blet, suppliant, et la dame de Goppillon, et telement que icellui de Blet qui estoit present va dire à la dicte dame de Goppillon qu’elle ne demandoit que noise et qu’elle s’en alast son chemin, et que, s’elle estoit aussi bien homme comme femme, qu’il lui donneroit deux cops de baston. Et à tant se departirent. Et deux ou trois heures après ou environ, Jehan de Curzay2, filz de ladicte [p. 429] dame de Goppillon, et ledit Belet vindrent à l’ostel dudit de Blet, suppliant, armez et embastonnez d’armes invasibles et deffendues, comme espées, dagues, javelines et une arbaleste d’acier, que icellui de Curzay avoit toute bandée et le vireton dessus. Et quant ilz furent devant la grant porte dudit hostel, se arresterent et commancerent à crier à haulte voix audit de Blet, suppliant, qui veoient : « Faulx traitre, vilain chien, murtrier, par le sang Dieu, nous te tuerons ! » Et cuida icellui de Curzay deux ou trois foiz lascher le vireton contre le dit de Blet, suppliant, mais il se mist derriere sa femme qui ilec estoit presente, et après se retrahy en sa maison, et print une javeline et vint vers les diz de Curzay et Belet, et incontinant qu’il fut hors la grant porte de son dit hostel, icellui de Curzay lascha le dit vireton qui vint cheoir entre les jambes dudit de Blet, suppliant. Et lors icellui suppliant gecta sa javeline qu’il avoit contre ledit Belet et ne le bleça aucunement ; et depuis la recouvra. Et après icellui Belet descendy de dessus son cheval et vint contre ledit suppliant, et en venant l’un contre l’autre, de leurs javelines ledit Belet chey à terre, et pour ce icellui suppliant gecta sa javeline et se joigny audit Belet ; et incontinant ledit de Curzay vint aidier à icelui Belet, son compaignon, et telement qu’ilz blecerent le dit suppliant en deux ou trois lieux, et mesmement lui mist ledit de Curzay l’espée ou cousté bien demy pié ou environ. Et ce fait, s’en alerent les diz de Curzay et Belet, et laisserent illec ledit de Blet, suppliant, tout blecié, dont il fut au lict malade par l’espace d’un moys ou environ. A l’occasion desquelles choses icellui de Blet, suppliant, qui est gentilhomme, veant qu’il avoit esté batu, villenné et injurié au dedans de son dit hostel, fut meu de soy vengier et espia avecques autres, qu’il avoit [p. 430] assemblez par plusieurs et diverses foiz, les diz de Curzay et Belet, pour leur faire comme ilz lui avoient fait, mais oncques il ne peut trouver opportunité de le faire. Et après, ou mois de fevrier derrenierement passé, ung jour de mercredi, icellui de Blet et son varlet, supplians, s’en partirent dudit lieu du Trueil, armez et embastonnez de gisarmes, javelines, espées et dagues et vindrent devers le soir audit lieu de Goppillon, dont est seigneur le dit de Curzay, pour le cuidier envillenner et batre comme il avoit fait le dit de Blet, mais pour ce qu’il y avoit gens estrangiers en l’ostel, s’en retournerent. Et le landemain, environ une heure après jour couchié, retournerent de rechief les diz supplians audit hostel de Goppillon, et quant ilz y furent, trouverent les portes closes, et pour ce tournerent à l’entour de l’ostel, et trouverent une fenestre crosée que icellui suppliant ouvry, et entra dedans une chambre dudit hostel, et aussi fist son dit varlet ; et après ouvrirent une porte et entrerent là où estoit ledit de Curzay, auquel icellui de Blet va dire : « Sus, ribault, traitre, murtrier ». Et lors ledit de Curzay se gecte soubz ung banc, et sa mere sur lui, laquelle ledit Jehan Delahaye, suppliant, osta, et ce non obstant se y remist, dont ledit de Blet l’osta pareillement et frappa sur le dit de Curzay plusieurs coups d’espée, et telement qu’il lui fist neuf ou dix playes, tant sur la teste que en autres parties de son corps, les aucunes desquelles on dit estre en lieu mortel, et par le moyen d’icelles le dit de Curzay estre mutilé en plusieurs de ses membres. Et après s’en alerent les diz supplians audit lieu du Trueil. Et le landemain, nostre bien amé Aymery de Rochechouart, seigneur dudit lieu de Vivonne3, acompaigné [p. 431] de plusieurs gens ses serviteurs et autres, vint audit lieu du Trueil, où il trouva les diz supplians, lesquelz il print et mena en prison au lieu de Cercigny ; et en les menant, va dire à icellui de Blet, suppliant, que c’estoit mal fait de batre les gens. Lequel qui estoit encores tout troublé, esmeu et courroucié, et ne savoit qu’il faisoit, dist qu’il les vouldroit avoir tuez tous deux, et il deust estre incontinant pendu ; et aussi dist, en le menant en prison, qu’il vouldroit estre mené au gibet, et il en eust autant fait audit Belet. Et depuis a esté ledit de Blet, suppliant, comme appellant dudit seigneur de Vivonne, amené en noz prisons de Poictiers, èsquelles il est de present detenu à grant povreté et misere, et aussi ledit Delahaye, son dit varlet, au dit lieu de Vivonne, ès quelles ilz sont en voye de miserablement finer leurs jours. Et doubtent que à l’occasion de la dicte bateure et excès dessus diz, combien que aucune mort ne s’en est ensuye ne ensuivra, comme ont dit et rapporté plusieurs cizurgiens et barbiers qui ont veu et visité le dit de Curzay, et aussi que, à la requeste de la dicte dame de Goppillon, mere dudit de Curzay, ledit de Blet avoit esté autresfoiz adjourné en personne de sa femme (sic), par devant ledit seigneur de Vivonne ou sa justice, et aussi, à la requeste dudit Belet, par devant nostre seneschal de Poictou, ou son lieutenant, pour donner asseurté à icelle dame de Goppillon et audit Belet, et à leurs familles et biens, nostre procureur vueille tendre à l’encontre d’eulx à pugnicion corporelle, se noz grace et misericorde ne leur estoient sur ce imparties. Et pour ce nous ont humblement fait supplier et requerir que, attendu que paravant les diz de Curzay et Belet avoient mutilé et blecié ledit de Blet, suppliant, par quoy il fut meu de soy vengier, et quelques paroles qu’il ait dictes et proferées, en le menant en prison, il ne vouldroit qu’elles feussent sorties effect, et les dist en chaleur et trouble, tant à l’occasion des choses dessus dictes que pour ce qu’on avoit prins tous ses biens avec sa personne, que, [p. 432] comme dit est, aucune mort ne s’en est ensuye, et sont toutes lesdictes playes curées et consolidées, que oncques ledit de Blet ne donna asseurté judiciaire aus diz dame de Goppillon et Belet et n’y eut seulement que adjournement baillé, que icellui de Blet s’est tout son temps employé en nostre service, ou fait de la guerre contre noz anciens ennemis et adversaires les Anglois, où il a tousjours continuelment esté, en la frontiere oultre la riviere de Seine, excepté puis peu de temps ença qu’il s’en est venu demourer en nostre païs de Poictou dont il est natif, il nous plaise impartir sur ce aus diz supplians nos dictes grace et misericorde. Pour quoy nous, etc., aus diz supplians, etc., avons quicté, remis et pardonné, etc., en faisant par lesdiz supplians audit de Curzay tele satisfacion et amende qu’il appartendra. Si donnons en mandement, par ces mesmes presentes, à nostre seneschal de Poictou et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Mehun sur Evre, ou mois d’avril l’an de grace mil cccc. xlvii. après Pasques, et de nostre regne le xxvme.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du conseil. Beauvarlet4. — Visa. Contentor. Ja. de La Garde.


1 On trouve un Louis de Blet, qualifié varlet des grands chevaux de Jean duc de Berry dans des lettres de rémission de mai 1400, accordées à plusieurs officiers de l’hôtel de ce prince, dont Moreau de Monlon, son grand écuyer, pour complicité dans un viol commis au séjour de Nesle, à Paris. (JJ. 155, n° 97, fol. 54 v°.) Il était vraisemblablement de la même famille, originaire de Berry, quoique son nom ne figure pas dans la généalogie de la branche établie au nord du Poitou. (Dict. des familles du Poitou, 2e édit., t. I, p. 549.) Étienne, sr du Treuil, la Petite-Épine, etc., était le deuxième fils de Robin, baron de Blet, chevalier, grand maître d’hôtel du duc de Berry, et de sa seconde femme, Alix de Gourjault, dame de la Misselière et dame d’honneur de la duchesse. Le 24 novembre 1429, il transigeait avec Jean, son frère aîné, et le 31 août 1456, il rendait un aveu à Charles comte du Maine, seigneur de Civray. La seigneurie de la Petite-Épine, mouvant de la Cour-d’Usson, lui venait de Jeanne de Saint-Savin, dame de la Tour-aux-Cognons, sa femme. Étienne de Blet mourut avant le 13 août 1483.

2 On n’a guère d’autres renseignements sur cette branche de la maison de Curzay que ceux qui se trouvent dans ces lettres de rémission. MM. Beauchet-Filleau citent un aveu du fief de Goupillon près Vivonne, rendu par le père de ce Jean de Curzay, nommé aussi Jean, écuyer, le 6 décembre 1410, et lui donnent un fils, Philippe, mentionné dans des aveux de la même seigneurie, des 1er mai 1458, 13 juillet 1462 et 4 avril 1482. (Op. cit., t. II, p. 783.)

3 Il s’agit sans doute d’Aimery, second fils de Jean Ier de Rochechouart, seigneur de Mortemart, Vivonne, Saint-Germain-sur-Vienne, et de sa première femme, Jeanne Turpin de Crissé, sur lequel les généalogistes ne disent rien, sinon qu’il mourut sans avoir été marié.

4 Mathieu Beauvarlet, notaire et secrétaire du roi, commis à la recette générale des finances.