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MCXIII

Lettres d’abolition en faveur de Guillaume de La Forêt, écuyer, homme d’armes de la compagnie de Joachim Rouault, pour un meurtre récent par lui commis à Coulonges et pour tous les excès de guerre dont il s’est rendu coupable depuis dix ans.

  • B AN JJ. 178, n° 93, fol. 61
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 29, p. 343-347
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons, etc. nous avoir receue l’umble supplicacion de Guillaume de la Forest1, escuier, demeurant en nostre païs de Poictou, aagé de xxx. ans ou environ, contenant que, depuis dix ans ença, ledit suppliant a continué et frequanté la guerre, soubz plusieurs capitaines de gens d’armes et de trait de nostre royaume et obeissance, et derrenierement soubz nostre bien amé [p. 344] Jouachin Rouault2, premier escuier de corps et maistre de l’escuirie de nostre très chier et très amé filz le daulphin de Viennois, sans jamais avoir esté à l’encontre de nous ne tenu autre party que le nostre. Durant lequel temps, il a fait plusieurs courses sur noz subgiez, avec autres, et iceulx destroussez et vescu sur le plat pays, comme les autres gens de guerre estans et vivans sur les champs. Et depuis certain temps ença, ledit suppliant, voulant soy retraire sur le sien et vivre comme escuier de bien doit et est tenu de faire, s’est retourné audit païs de Poictou, avec ses frere, parens et amis, qui sont demourans à Thouars oudit païs, où il a esté par aucun temps. Pendant lequel temps, le dimanche après la feste de saint Jehan Baptiste derreniere passée, le dit suppliant se transporta à Coulonges, [p. 345] distant dudit lieu de Thouars de deux lieues ou environ, pour visiter et veoir ses besoingnes qu’il a audit lieu de Coulonges. Et pour ce que, le jour precedent, il avoit adiray ung cheval, fist dire par le chappellain ou curé d’icelui lieu qui disoit vespres, que, s’il avoit aucuns qu’il sceust nouvelles dudit cheval, qu’il le fist savoir audit suppliant et il lui paieroit voulentiers le vin. Et lors ou incontinant après, ung nommé Geuffroy Dorbe3, dudit lieu de Coulonges, demanda audit de la Forest de quel poil il estoit, et il lui respondit en farsant qu’il avoit la queue blanche ; et sans autre chose dire, s’en saillirent de l’eglise où ilz estoient. Et ainsi que ledit suppliant parloit à aucunes personnes, ausquelles il avoit à besoingner, ledit Geuffroy Dorbe vint tout eschauffé vers ledit suppliant et lui dist bien arrogamment teles parolles ou semblables en substance : « Guillaume de la Forest, paiez moi de mes amendes, en quoy vous me estes tenu pour raison du plait que vous et vostre frere avez eu ». A quoy ledit suppliant respondy qu’il ne savoit que c’estoit. Et lors icellui Dorbe dist qu’il le feroit executer en une metayerie [p. 346] appellée la Coldre, appartenant audit suppliant et son dit frere, pour les dictes amendes. Et icellui suppliant dist qu’il feroit que fol et qu’il pourroit bien avoir tort, mesmement qu’il n’estoit point officier, ou autres paroles semblables. Et illec s’entreprindrent de paroles l’un contre l’autre, telement que ledit suppliant, qui est jeune et chault, tira une dague qu’il avoit et en frappa du plat d’icelle ledit Dorbe par le visaige. Lequel print une pierre et la cuida gecter audit suppliant, mais il fut empeschié par ceulx qui estoient illec presens. Et adonc s’en party et s’en ala en son hostel qui estoit près d’ilec, en menassant ledit suppliant ; et quant il fut en sondit hostel, il print ung groz baston et s’en retourna vers ledit suppliant ; et quant il fut près d’icellui suppliant, il haulsa son baston et le cuida frapper sur la teste, et il receut le cop sur le braz. Et lors ledit suppliant se cuida joindre audit Dorbe, afin que plus il ne le frappast, mais il fut prins et detenu par ceulx qui illec estoient, et derechief ledit Dorbe frappa dudit baston icellui suppliant parmy le cousté. Lequel suppliant, soy veant ainsi envillenny et batu, fist tant qu’il se eschappa des mains de ceulx qui le tenoient, et tira sa dague, et ala contre icellui Dorbe et le frappa de ladicte dagne ung seul coup par dessoubz la mamelle, et incontinant ledit Dorbe s’en ala en son hostel, et demie heure après, par son mauvais gouvernement ou autrement, ala de vie à trespassement. Pour occasion duquel cas ainsi advenu que dit est, ledit suppliant doubtant rigueur de justice, s’est absenté du païs, et n’y oseroit jamais retourner, se noz grace et misericorde ne lui estoient imparties, tant sur icellui cas que sur plusieurs destrousses, pilleries et roberies par lui faictes, lui suivant la guerre comme sur les champs, en la compaignie d’autres. Et pour ce nous a humblement fait supplier et requerir que, attendu que le dit suppliant, dès ce qu’il s’est peu armer, s’est employé en nostre service ou fait de la guerre, et a entencion de faire toutes et quantes [p. 347] foiz qui sera mestier, qu’il est jeune et chault et a esté fait le cas dessus dit de chaude colle, il nous plaise lui impartir sur ce nos dictes grace et misericorde. Pour quoy nous, etc., audit suppliant avons quicté, remis, pardonné et aboly, etc., le fait et cas dessus dit et tous autres, etc., faiz ou commis, lui suivant la guerre, excepté seulement boutement de feux, forsement de femmes, sacrilege et murdres autres que cellui dessus declairé, etc. Si donnons en mandement à nostre seneschal de Poictou et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Chinon, ou mois d’avril l’an de grace mil cccc. quarante et six, après Pasques, et de nostre regne le xxiiiime.

Ainsi signé : Par le roy en son conseil. Rolant. — Visa. Contentor. P. Le Picart.


1 Cet écuyer appartenait à la famille de La Forêt-Montpensier plutôt qu’à celle de La Forêt-sur-Sèvre. Un Guillaume de La Forêt était en 1415 l’un des gentilshommes de la suite de Jean Larchevêque, sr de Parthenay ; il fut l’objet avec Jean Sauvestre, Guillaume Chabot et autres, de poursuites au criminel de la part d’Amaury de Liniers, sr d’Airvault et de la Meilleraye, de Maubruny de Liniers, son fils, et des frères Jean et Charles Légier, écuyers. (Jugement par défaut du 30 août 1415, Arch. nat., X2a 17.)

2 Ce personnage célèbre dans l’histoire militaire du xve siècle était le fils aîné de Jean Rouault, seigneur de Boisménart (né en 1384, mort en 1435), et de Jeanne du Bellay, dame du Colombier. Il était déjà premier écuyer du corps et maître de l’écurie du dauphin Louis, alors âgé de douze ans, le 12 mars 1436, comme il se voit dans un compte de divers achats de l’écurie de ce prince. (Bibl. nat., coll. Clairambault, vol. 196, p. 8029.) Depuis lors, Joachim Rouault prit part à tous les faits de guerre qui marquèrent la seconde partie du règne de Charles VII. Ce n’est point le lieu de tracer sa biographie, même sommaire. Il ne paraît point d’ailleurs avoir été mêlé particulièrement aux événements de l’histoire du Poitou, son pays, quoiqu’il ait été un instant sénéchal de cette province (1461). Nous le retrouverons sans doute plus tard. Louis d’Amboise, vicomte de Thouars, lui avait vendu sous garantie la seigneurie de la Chaize-le-Vicomte. Ayant été troublé dans cette possession par Guy de Montfaucon, chevalier, et Anne Sauvestre, sa femme, le vicomte de Thouars lui donna à la place la terre et châtellenie de Gamaches en Vimeu, avec quelques rentes, par acte du 11 juin 1459. (Coll. dom Fonteneau, t. XXVI, p. 423, d’après le chartrier de Thouars.) Dès lors Joachim Rouault est plus connu sous le nom de M. de Gamaches, lieu où lui et ses descendants résidèrent plus fréquemment que dans leurs seigneuries de Poitou. Le 3 août 1461, Louis XI, qu’il avait toujours servi fidèlement, pendant qu’il était dauphin, le créa maréchal de France. Deux ans avant sa mort, il tomba en disgrâce. Une commission réunie à Tours pour le juger le condamna, par arrêt du 16 mai 1476, à 20.000 livres d’amende, à la privation de ses charges et au bannissement du royaume. Cependant Joachim mourut dans son pays et en possession de ses biens, dont il disposa librement par son testament. Il avait épousé Françoise de Volvire, fille de Joachim, baron de Ruffec, et de Marguerite Harpedenne de Belleville (cf. ci-dessus, p. 163, note 2), dont il eut un fils et trois filles.

3 Il faut lire plutôt Dobe ou Dobé. Nous avons ailleurs donné quelques renseignements sur cette famille du Thouarsais, dont le chef, Jean Dobe, fut reconnu noble par jugement des commissaires du roi en Poitou pour la recherche des francs-fiefs et nouveaux acquêts, le 13 juin 1394. (Voir notre t. VI, p. 168-174.) Un accord du 6 août 1420, enregistré au Parlement le 17 février suivant, fournit quelques notions nouvelles sur ce personnage et sa famille, habitant, comme Geoffroy Dobe, dont il est question ici, la paroisse de Coulonges-Thouarsais. Marie Moysen, alors veuve de Jean Dobe, et tutrice de leur fils Amaury, était en contestation avec Jean Prévost, du bourg de Saint-Jacques près Thouars, au sujet de la succession de Guillemette Dobe (le nom féminisé est écrit Dobée, ce qui implique la prononciation Dobé au masculin), décédée « sans hoirs de sa chair ». Marie Moysen avait et tenait tous les biens de la défunte, et Jean Prévost en réclamait un douzième, comme représentant en partie les droits de feu Colin Bernard, aïeul de ladite Guillemette. Le litige portait aussi sur les arrérages d’une maison et verger au bourg Saint-Jacques, que ledit Prévost tenait à rente de Jean Dobé, et pour laquelle il prétendait avoir baillé à celui-ci une autre maison avec verger, sis à Coulonges, d’un revenu annuel à peu près égal. (Arch. nat., X1c 121, à la date du 17 février 1421 n.s.)