MLII
Rémission en faveur de Guillaume des Aubues, d’Antogné en la vicomté de Châtellerault, qui avait tué Mathé Barbier en se défendant, celui-ci dans une querelle de jeu l’ayant frappé d’un épieu.
- B AN JJ. 176, n° 400, fol. 275 v°
- a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 29, p. 135-137
Charles, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receu l’umble supplicacion de Guillaume des Aubues, aagié de xxiii. à xxiiii. ans ou environ, natif de la parroisse d’Antoigné en la viconté de Chastelleraut, contenant comme, le jeudi avant la feste saint Michiel derreniere passée, le dit suppliant au retour du siege de Pontoise1, où il avoit esté en nostre service, s’en vint en l’ostel de frere Guillaume des Aubues, son cousin, prieur de Savigné [p. 136] soubz Faye2, où il avoit demouré de toute sa jeunesse. Ou quel hostel il trouva ung appellé Mathé Barbier, qui, après ce qu’ilz eurent souppé ensemble, l’assailli de jouer aux cartes pour passer la serée. Lequel suppliant, après ce qu’il l’eut pluseurs fois refusé, se y acorda et jouerent ensemble telement qu’il gangna l’argent dudit Mathé ; mais icellui Mathé en ala querir de l’autre, et dist audit suppliant qu’il lui tendroit jeu, et finablement se remistrent à jouer, et regaigna le dit Mathé tout son argent et cellui dudit suppliant. Et la nuit coucherent ensemble bien gracieusement, combien que en jouant le dit Mathé se feust plusieurs fois courroucié, quant il perdoit, juré et detesté Dieu, tirée sa dague et picquée sur la table ou banc par grant felonnie ou desplaisir. Et le landemain disnerent et soupperent aussi ensemble, et le landemain entreprindrent d’aler fureter et prendre des connilz. Le quel jour de lendemain, ilz se partirent à tout chascun ung espiot en leur poing et ung furet, et alerent en la garenne de Scurlé3, en laquelle garenne le dit suppliant mist son furet en ung cloteau après ung connil, où il demoura très longuement, telement qu’il ennuya audit Mathé, et dist audit suppliant qu’ilz s’en alassent. Lequel suppliant lui dist qu’il ne laisseroit point son dit furet, et lors le dit Mathé lui dist qu’il avoit encores les cartes dont ilz avoient joué le jeudi precedent et qu’il convenoit doncques qu’ilz jouassent, en attendant le dit furet à yssir de terre. Lequel suppliant lui dist qu’il n’avoit point d’argent et qu’il ne vouloit point jouer, et le dit Mathé lui dist que si avoit cinq solz que le dit prieur lui avoit donnez pour avoir ung bonnet. Et lors se prindrent à jouer eulx deux et telement que le dit [p. 137] suppliant recouvra l’argent que le dit Mathé avoit gangné de lui, dont icellui Mathé ne fut pas content et requist audit suppliant qu’il lui pretast de l’argent pour rejouer, dont il ne voult riens faire. Et lors icellui Mathé commença à se despiter et detester Dieu que si feroit, et gecta son espiot ou baston à l’encontre du dit suppliant, telement qu’il persa sa robe au droit de la cuisse, dont icellui suppliant fut fort espoventé, cuidant estre blecié, et se recula, doubtant que le dit Mathé qui le poursuivoit le frappast de sa dague ou autrement le villenast, car il estoit plus fort que lui, et finablement se retourna contre le dit Mathé et lui donna de l’espiot qu’il avoit parmy la teste, telement qu’il chey à terre. Et lors icellui suppliant, doubtant que le dit Mathé se relevast et le villenast, tira sa dague et l’en frappa parmy la gorge, telement qu’il ala incontinent de vie à trespassement. Dont il fut moult dolent et courroucié et print icellui Mathé par la manche et le rusa4 hors du chemin et le muça derriere ung buisson oudit boys, et apporta le baston dudit Mathé audit lieu de Savigné. Pour occasion duquel cas le dit suppliant, qui est jeunes homs et en tous aultres cas s’est bien et doulcement gouverné, s’est absenté du païs et n’y oseroit jamais retourner, doubtant punicion de justice, se par nous ne lui estoient noz grace et misericorde impartiz. Pour quoy nous, etc., audit suppliant, etc., avons remis, quicté et pardonné, etc. Si donnons en mandement par ces mesmes presentes aux seneschal de Poictou et bailli de Touraine et des ressors et Exempcions d’Anjou et du Maine, et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Poictiers, ou mois de mars l’an de grace mil cccc. xli. avant Pasques, et de nostre regne le xxe.
Ainsi signé : Par le conseil.