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MCII

Lettres d’abolition en faveur de Colas Sicaud, écuyer, serviteur du dauphin, pour les pillages, détrousses et autres excès commis à la guerre, sous Jean de La Roche et autres capitaines, en divers lieux du royaume.

  • B AN JJ. 177, n° 198, fol. 134
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 29, p. 309-312
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons, etc. nous avoir receu l’umble supplicacion de nostre bien amé Colas Sicaud, escuier, serviteur de nostre très chier et très amé filz le daulphin de Viennoys, contenant que dès son jeune aage, en ensuivant le fait des nobles et mesmement de ses predecesseurs, il nous a bien et loyaument servy ou fait de noz guerres à l’encontre de noz ennemys et adversaires les Anglois, et en icellui nostre service a exposé son corps en maintes bonnes besoingnes, sieges, raencontres et destrousses faictes sur et à la confusion de nos diz ennemys, et frayé et despendu la pluspart de ses biens et chevance, tant soubz et en la compaignie de feu Jehan de la Roche, en son vivant nostre seneschal de Poictou et capitaine de gens d’armes et de trait, ès frontieres de Bourdeloys et ailleurs en divers lieux de nostre royaume, que soubz plusieurs autres noz cappitaines et chiefz de guerre et mesmement soubz nostre dit fils, à la prinse de la bastille de Dyeppe1, et ailleurs ; [p. 310] èsquelles choses et services il a, comme dit est, grandement frayé et despendu du sien, sans avoir eu de nous aucune soulde ou recompensacion, dont il peust avoir soustenu la vie de lui, ses gens et serviteurs, ne aussi avoir acheté chevaulx, harnoiz et autres choses à lui neccessaires. A laquelle cause il a esté contraint de tenir les champs et vivre sur noz païs et subgiez, etc…2, ce que bon lui a semblé. Et avecques ce, a par plusieurs foiz esté avecques autres gens de guerre à son entreprise et autrement, à plusieurs courses et destrousses faictes sur gens de guerre de nostre party, prinses de chasteaulx et places fortes sur nostre dit party par force, d’emblée ou autrement, où se sont ensuiz certains meurdres et omicides ; et iceulx chasteaux et places ainsi prins ont par eulx esté pillez, robez et raençonnez et autrement en ont fait et disposé à leurs plaisirs et voulentez. Et puet estre que, pendant et durant le temps qu’il a ainsi suivy lesdictes guerres, lui et ses dictes gens, varletz et serviteurs ont appatissé et raençonné à plusieurs sommes de deniers, vivres et autres choses aucuns de noz subgiez, et iceulx navrez, mutilez, et fait et commis plusieurs autres grans cas, crimes et deliz, lesquelz bonnement ne pourroient cy estre declarez ne exprimez. Et toutesvoyes, pendant et durant le temps qu’il estoit soubz ledit Jehan de la Roche, lui estant capitaine d’Empuré, tant de par ledit Jehan de la Roche que de par feu Amaury de Thigné, lors seigneur dudit lieu d’Empuré, icellui Amaury et ung nommé Thevenin de Beauvillier, serviteur dudit Amaury, bouterent hors les gens d’icellui suppliant, en son absence, de ladite place d’Empuré, et ledit suppliant mesmes, quant il y fut venu, pour ce que le paige d’icellui suppliant avoit bouté en ladicte place ung des paiges de Jehan de la Roche, pour y repaistre et passer la nuit seulement. [p. 311] Et depuis ce, ledit suppliant trouva maniere de reprendre ladicte place d’Empuré sur ledit Amaury, seigneur de Tigné, et en bouta hors le dit Amaury et ses gens, ainsi qu’il avoit fait lui et sesdictes gens. Et en ce faisant, icellui suppliant bailla audit Thevenin de Beauvillier, serviteur dudit Amaury, deux cops d’espée sur la jambe et ung autre coup sur le pié, lequel il lui abati tout jus, dont icellui Thevenin morut. Et aussi fut en la compaignie d’un nommé Thomes Gras, natif d’Escoce, et d’autres, lorsque icellui Thomes donna à ung nommé Guillaume Chapperon, lors lieutenant et garde de Syvray3, pour le capitaine d’ilec, ung cop d’espée sur la teste, dont il morut v. ou vi. jours après ensuivant. Et si fist icellui suppliant batre par ses gens et serviteurs ung nommé Gilet Nepveu, sergent de la prevosté de Lodun4, jasoit ce que d’icelle bateure ne [p. 312] s’ensuit mort ne mehaing. Et combien que ledit suppliant ait bonne voulenté et entencion de soy desormais retraire et abstenir de telz malefices, neantmoins il doubte que aucuns, sur lesquelz lesdiz cas ont esté perpetrez, en voulsissent ou temps avenir faire poursuite par justice à l’encontre de lui, etc., se nostre grace ne lui estoit sur ce impartie, si comme il dit, en nous humblement requerant, etc. icelle lui impartir favorablement. Pour quoy nous, etc., à icellui suppliant ou cas dessus dit avons quicté, remis, pardonné et aboly, etc., pourveu toutesvoyes qu’il n’ait en sa personne fait ou commis ravissement de femmes ou de filles, omicide voluntaire, sacrilege, bouté feu ne esté cause principal de le faire. Si donnons en mandement par ces mesmes presentes aux seneschaulx de Tholose, de Poictou et de Xanctonge, et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Chinon, ou mois d’avril l’an de grace mil cccc.xlvi, et de nostre regne le xxiiiie.

Ainsi signé : Par le roy en son conseil. Chevalier. — Visa. Contentor. Charlet.


1 Talbot étant venu assiéger Dieppe, en novembre 1442, avait fait construire devant la place une formidable bastille. La garnison française put néanmoins être ravitaillée et résista pendant neuf mois aux efforts des Anglais. Enfin parut une armée sous les ordres du dauphin, investi de la charge de lieutenant général dans les pays entre la Seine et la Somme ; il était assisté de Dunois, de Gaucourt et du comte de Saint-Pol. Dieppe fut délivrée le 14 août 1443.

2 La suite, sauf variantes sans importance, comme ci-dessus (lettres d’abolition pour Jean Chauvet, p. 268-269).

3 Guillaume Chaperon appartenait sans doute à la famille Chaperon de la Chaperonnière, originaire d’Anjou, dont plusieurs branches étaient établies, au xve siècle, dans le Mirebalais et au comté de Civray, suivant MM. Beauchet-Filleau, qui ont publié une partie de sa généalogie. (Dict. des familles du Poitou, nouv. édit., t. II, p. 242.) On y trouve deux Guillaume vivant dans les premières années du xve siècle, mais ni l’un ni l’autre ne semblent pouvoir être identifiés avec le lieutenant de Civray. On verra, quelques pages plus loin, que le capitaine de cette place était, entre 1430 et 1440, Pierre de Gamaches. Un Jean Chaperon, sr de Bernay et de la Fouchardière, fut aussi, vers la fin du xve siècle, capitaine de Civray. Le capitaine de Mirebeau en 1435 se nommait Auvergnais Chaperon, chevalier ; il eut des démêlés avec le Parlement à propos d’un prisonnier nommé Alain Moreau, qu’il détenait au château de Mirebeau, sur l’ordre de Charles d’Anjou, et que la cour voulait le contraindre d’amener à Poitiers. (Arch. nat., X2a 21, aux 14 et 15 janvier 1435 n.s.)

4 Gillet Nepveu fut poursuivi au Parlement, avec deux autres sergents de la reine de Sicile à Loudun, Pierre Actonnet et Perrin Clément, Nicole Chauvet, juge, et Jean Aimé, prévôt du lieu, par Jean Grabot, prêtre, administrateur ou aumônier de la Maison-Dieu ou Aumônerie de Loudun. Ce dernier avait été condamné, par sentence du juge de la reine de Sicile, parce qu’il ne remplissait pas les devoirs de sa charge et dilapidait les biens des pauvres et des malades. Bien qu’il eût relevé appel, ses biens avaient été saisis et le temporel de la Maison-Dieu mis sous la main de la dame de Loudun. C’est pourquoi l’aumônier avait assigné, comme coupables d’« excès et attentats », le juge, le prévôt et les sergents de ladite dame, qui avaient ordonné ou exécuté la saisie. Cette affaire se termina par une transaction, enregistrée à la cour, le 7 février 1435 n.s. (Arch. nat., X1c 149, à la date.) On trouve dans cet acte des détails intéressants sur les revenus (plus de 360 setiers de froment, vingt pipes de vin et 50 livres en deniers par an) et sur le fonctionnement de cet important établissement charitable.