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MLXXVI

Lettres d’abolition en faveur de Jean Marsillac, qui avait pris part, sous Jean de la Roche, sénéchal de Poitou, notamment à Niort et à Saint-Maixent, à des entreprises contre l’autorité du roi.

  • B AN JJ. 177, n° 182, fol. 124 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 29, p. 208-210
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons, etc., nous avoir receu l’umble supplicacion de Jehan Marsillac, demourant à present à Aunay en nostre pays de Poictou, contenant comme par long temps il nous ait servy ou fait de noz guerres à l’encontre des Anglois, noz anciens ennemys et adversaires, en la compaignie de feu Jehan de la Roche et autres capitaines et chiefz de guerre, et en ce faisant a tenu les champs avec les autres gens de guerre, où il a vesqu sur noz païs et subgiez, iceulx avecques leurs biens, bestial et autres biens prins, et raençonnez les marchans venans et alans aux foires et marchiez, et autres gens, dont il a esté par plusieurs et diverses foiz à en destrousser, batre et navrer. Fut aussi icellui suppliant en la compaignie dudit feu Jehan de la Roche à l’encontre de nous et nos diz subgiez, lorsque les aucuns des seigneurs de nostre sang et lignaige furent à nous desobeissans, en tenant contre nostre voulenté nostre ville de Nyort, à Saint Maixant et autres villes, ou païs de Bourbonnois1, en commettant en ce crime de leze [p. 209] magesté. Et ce pendant fist icellui suppliant plusieurs maulx et oppressions à nos diz païs et subgiez, et aussi depuis en tenant les champs comme les autres gens de guerre, en commettant et perpetrant plusieurs et divers crimes, deliz, excès et malefices, desquelz le dit suppliant ne sauroit et ne pourroit bailler la declaration au vray, ne aussi en faire satisfaction. Et d’iceulx cas icellui suppliant dit par nous avoir esté octroyé abolicion generale aus diz gens de guerre2. Neantmoins icellui suppliant, pour ce que d’icelle abolicion ne sauroit faire obstencion, doubte estre [p. 210] ou temps avenir approuché desdiz cas ou d’aucuns d’iceulx et en estre compellé et contraint par justice, et que l’en puisse ou vueille l’en contre lui rigoureusement proceder, se nostre grace et misericorde ne lui estoient par nous sur ce impartiz, humblement requerant icelles. Pour quoy nous, ce que dit est consideré, non voulans avoir regard aux maulx ainsi faiz et perpetrez, à cause des guerres et divisions qui longuement ont duré en nostre dit royaume, mais misericorde preferer à rigueur de justice, consideré aussi que icellui Jehan Marsillac nous a fait plusieurs services ou dit fait de noz guerres à l’encontre de nos diz ennemys et adversaires les Anglois, à icellui Jehan Marsillac, suppliant, avons quicté, remis, pardonné et aboly, etc., tous et chascuns les cas, crimes, excès et deliz quelzconques par lui faiz, commis et perpetrez en ensuivant et frequentant lesd. guerres et durans icelles, etc., excepté toutesvoyes tout meurdre fait d’aguet apensé, boutement de feux, violement et ravissement de femmes et de filles et crime de sacrilege, que ne voulons en ce estre comprins ne entenduz, etc. Si donnons par ces mesmes presentes en mandement à noz amez et feaulx conseillers les gens tenans et qui tendront nostre Parlement, aux prevost de Paris, bailliz de Vermendois, de Sens, de Montargis, de Saint Pere le Moustier, de Touraine et des ressors et Exemptions d’Anjou et du Maine, seneschaulx de Poictou, de Lymosin, de Xanctonge et gouverneur de la Rochelle, et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Sens, ou mois d’aoust l’an de grace mil cccc. xlv, et de nostre regne le xxiiiie.

Ainsi signé : Par le roy en son conseil. Rolant. — Visa. Contentor. Charlet.


1 Jean de la Roche, sr de Barbezieux, n’avait jamais cessé, même depuis que Georges de La Trémoïlle l’avait fait nommer sénéchal de Poitou (ci-dessus, p. 33), de faire preuve vis-à-vis du pouvoir royal d’une indépendance qui alla souvent jusqu’à la rébellion. Ses antécédents le prédisposaient naturellement à se joindre aux promoteurs de l’insurrection féodale et militaire qu’on appelle la Praguerie. Le centre d’action des mécontents, dans la province où il continuait à être le premier officier de Charles VII, fut Niort qui appartenait au duc d’Alençon, l’un des instigateurs, avec le duc de Bourbon, de cette prise d’armes contre la royauté. Jean de la Roche était le lieutenant tout désigné de ce prince, et quand la révolte éclata, dès le mois de février 1440, il se jeta dans le mouvement et le seconda de tous ses efforts. On connaît le rôle qu’il joua dans ces événements, et particulièrement sa participation à la prise des villes de Melle et de Saint-Maixent. (Voy. A. Richard, Recherches sur l’origine de la commune de Saint-Maixent, p. 16-18 ; E. Cosneau, Le connétable de Richemont, p. 302-307 ; de Beaucourt, Hist. de Charles VII, t. III, p. 120-125 ; Clément Simon, Un capitaine de routiers sous Charles VII, Jean de la Roche, dans la Revue des questions historiques, juillet 1895, p. 41-65.) Après la défaite des rebelles dans le Poitou, Jean de la Roche parvint à s’échapper et gagna le Bourbonnais, où les princes révoltés et leurs partisans vinrent se grouper autour du duc de Bourbon. En chemin, fidèle à ses habitudes de routier, le sr de Barbezieux menaça Saint-Jean-d’Angély, et la ville, « pour avoir abstinence de guerre de lui et de ses gens », se résigna à lui payer une contribution de 58 livres 10 sous. (Registre de la recette et dépense de Jean d’Abbeville, receveur de la ville, pour 1440-1441. Arch. communales de Saint-Jean-d’Angély, CC. 27.) Dans l’introduction du présent volume on trouvera quelques renseignements complémentaires sur ce point d’histoire.

2 On verra que ces lettres d’amnistie générale sont visées encore dans plusieurs des nombreuses lettres de rémission particulière octroyées à des gens de guerre durant les années 1445 et 1446, et imprimées ci-dessous. Leur existence ne peut donc faire de doute, quoique le texte n’en ait pas été retrouvé. Elles sont antérieures au 20 avril 1445, car il en est question dans un sauf-conduit délivré à cette date par le connétable au bâtard de Limeuil, chargé de ramener dans leurs foyers un détachement de cent soixante cavaliers et leur bagage, licenciés par ordonnance du roi, sans qu’ils soient inquiétés en aucune manière, « nonobstant les crimes, deliz ou malefices quelconques par eulz ou l’un d’eulx commis et perpetrez le temps passé, à cause de la guerre, lesquelz mondit seigneur le roy leur a remiz, quicté et pardonné par son ordonnance ». (Bibl. nat., ms. fr. 4054, fol. 46. Publ. dans la Bibliothèque de l’École des chartes, t. VIII, 1846, p. 124 note.)