[p. 266]

MXCI

Lettres d’abolition octroyées à Jean Chauvet, lieutenant du capitaine de Charroux, pour les pillages, détrousses et tous autres excès dont il a pu se rendre coupable pendant les guerres.

  • B AN JJ. 177, n° 184, fol. 125 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 29, p. 266-270
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons, etc., nous avoir receu l’umble supplicacion de Jehan Chauvet, dit Piedebeuf, lieutenant du capitaine de l’abbaye de Charroux en Poictou1, chargié de femme et de quatre petiz enfans, contenant que, lui estant en l’aage de xvi. ou xviii. ans ou environ, fut page et serviteur de feu nostre cousin [le sire d’] d’Orval2, [p. 267] et quant fut puissant pour porter harnoiz, se arma en la compaignie de nostre dit feu cousin et nous servit en noz guerres ; et quant icellui nostre cousin fut trespassé, fut avec nostre amé et feal chambellan Jehan Foucault3, chevalier, tant à Montjehan ou païs d’Anjou, à Laigny près Paris, que ailleurs. Et depuis en continuant tousjours nostre dit service ou dit fait de la guerre, fut avec nostre cousin d’Alebret4 à ung siege qu’il tint devant Marueil5, lors occuppé par nos anciens ennemys et adversaires les Anglois, ouquel siege il fut blecié d’une lance, et fut amené malade ou chastel de Courbefin, que lors tenoit nostre dit cousin d’Alebret, et demoura ilec longuement malade. Et quant fut comme gary, pour ce qu’il avoit tout despendu le sien et qu’il n’avoit de quoy se remettre sus, ala par [p. 268] l’intercession des compaignons de la garnison dudit Corbefin6 sur les champs courir et se tint ilec environ deux ans. Et après, et quelque xii. ans7 a ou environ, icellui suppliant se retrahy et maria, et depuis ne s’est entremis du fait de la guerre, si non pour venir à noz mandemens ou de ceulx de noz officiers, quant les cas l’ont requis, ne oncques ne servit feu Jehan de la Roche, ne autres tenans nostre parti contraire, excepté environ ung mois qu’il fut avecques eulx ou païs de Limousin, a bien sept ans ou plus, mais a de sa puissance tousjours esté contre tous ceulx qu’il savoit à qui nous faisions et avons fait et fait faire guerre. Pendans et durans lesquelz temps, icellui suppliant a esté en plusieurs autres sieges, rencontres et prinses de places sur nos diz ennemys, en garnison en plusieurs frontieres à l’encontre de nos diz ennemys, où il a despendu grant partie de sa chevance, sans aucunes fois avoir eu de nous aucune soulde ou bien fait, dont il peust avoir la vie de lui, ses gens et serviteurs, ne aussi achetté chevaulx, harnoiz ne autres choses à lui neccessaires et à ses dictes gens. Par quoy a esté contrainct, pour s’entretenir en nostre dit service ou dit fait de la guerre, et lui a convenu tenir les champs, vivre sur noz païs et subgiez, couru et fait courir ses varletz et serviteurs sur les chemins, pillé, robé, destroussé et raençonné toutes manieres de gens qu’ilz ont trouvé sur lesdiz champs et [p. 269] ailleurs, tant gens d’eglise, nobles, gens de pratique, bourgois, marchans, que autres, leur osté leurs chevaulx et monteures, leur or, argent, robes, joyaulx, denrées et marchandises et autres biens quelzconques qu’ilz trouvoient sur eulx, vendu et butiné leurs chevaulx, biens et destrousses et prins part ès dictes destrousses et pilleries que avoient fait ses diz serviteurs, les a soustenuz, supportez et favorisez èsdictes pilleries et roberies ; a esté lui et ses gens à courir foires et marchiez et à icelles piller, pris et emmené beufz et vaches et autres bestial, partie d’icellui mengié et l’autre partie vendu et butiné ou raençonné, ou fait ce que bon lui a semblé. Et a icellui suppliant fait et commis autres grans cas et deliz, ainsi que gens de guerre avoient accoustumé de faire, qu’il ne pourroit bonnement dire ne exprimer. Et combien que icellui suppliant ait bonne voulenté et entencion de soy doresenavant tenir des dictes pilleries et roberies et de s’en distraire du tout, ainsi qu’il a fait depuis x. ou xii. ans ença, comme dit est, neantmoins il doubte que aucuns sur lesquelz ont esté faiz les diz maulx, pilleries, roberies, destrousses et autres choses dessus declairées, ne voulsissent ès temps avenir faire poursuite par justice à l’encontre du dit suppliant, et que par ce moyen on lui voulsist èsdiz temps avenir donner aucun destourbier ou empeschement, ou autrement le molester et rigoureusement proceder à l’encontre de lui, ou le pugnir corporelment, se noz grace et misericorde ne lui estoient sur ce imparties ; humblement requerant que, attendu lesdiz services à nous faiz par le dit suppliant et ceulx qu’il nous fait encores chascun jour, et a bon vouloir de faire, quant le cas s’i offrera, et que pour soy entretenir en nostre dit service, il a esté contrainct à faire et commettre lesdiz maulx, excès et deliz, ou plusieurs d’iceulx ; aussi que depuis qu’il s’est ainsi retrait, il s’est bien et grandement gouverné et a esperance de faire ès temps avenir, il nous plaise lui impartir icelles. [p. 270] Pour quoy nous, les choses dessus dictes considerées, voulans en ceste partie misericorde preferer à rigueur de justice et envers lui recongnoistre les diz services, et pour donner exemple aux autres d’eulx liberalment employer en nostre service, si le cas le requiert, à icellui Jehan Chauvet, suppliant, avons aboly, remis, quicté et pardonné, etc., reservé ravissement de femmes, meurdre, sacrileige et boutemens de feux, etc. Si donnons en mandement par ces mesmes presentes aux seneschaulx de Xanctonge et gouvernement (sic) de la Rochelle, et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Chinon, ou mois de avril l’an de grace mil cccc. xlv, et de nostre regne le xxiiiie.

Par le roy, vous et autres presens. Chaligaut. — Visa. Contentor. Charlet.


1 Vers cette époque, le capitaine de l’abbaye de Charroux était Foucaud Du Teil, écuyer ; il est nommé comme présent, le 3 février 1445 n.s., à un traité conclu entre Robert de La Goupillière, abbé de la Réau, et Jeanne d’Oyrenval, dame de Mauprevoir, au sujet des bois de l’abbaye de la Réau. (Coll. dom Fonteneau, t. IV, p. 483.)

2 Guillaume d’Albret, seigneur d’Orval, second fils de Charles Ier, sire d’Albret, comte de Dreux, connétable de France, et de Marie de Sully, fut tué à la bataille de Rouvray en Beauce, dite la journée des harengs, le 12 février 1429. Il était âgé d’environ vingt-cinq ans.

3 Jean Foucault, chevalier, seigneur de Saint-Germain-Beaupré, d’une famille établie dans le comté de la Marche. Lors de la prise de Laval par Talbot (9 août 1428), il tomba au pouvoir des Anglais. Capitaine de Lagny, qu’il défendit, en 1430, contre les efforts de Jean, duc de Bedford, il conserva cette place à Charles VII. On le trouve, pendant fa Praguerie, capitaine de Corbeil pour le duc de Bourbon ; le roi ne lui tint pas rigueur, car il lui donna, l’année suivante, la garde du bois de Vincennes. Jean Foucault partit en novembre 1448, avec un contingent d’hommes d’armes français, pour soutenir les droits du duc d’Orléans sur le Milanais. Ce prince l’établit podestat d’Asti, où il mourut sans enfants, l’an 1465.

4 Charles II, sire d’Albret, de 1415 à 1471. (Voy. ci-dessus, p. 217, note 2.)

5 Mareuil soutint deux sièges vers cette époque, le premier en 1435, le second en 1438. Les opérations, en 1435, furent dirigées par Jean de la Roche, sénéchal de Poitou, et Jean de Penthièvre, vicomte de Limoges ; mais ils subirent un échec. (A. Thomas, Les États provinciaux de la France centrale sous Charles VII, t. I, p. 140, et II, p. 75.) A la fin de février 1438, dit M. de Beaucourt, le roi partit pour la Saintonge. Il s’agissait de préparer les voies à une expédition en Guyenne concertée de longue main. On fortifia toutes les places de Saintonge. Le sire de Mareuil, sénéchal de cette province, eut mission d’attaquer Mareuil. De pleins pouvoirs furent donnés au sire d’Albret pour recevoir la soumission des villes et forteresses de la Guyenne. (Hist. de Charles VII, t. III, p. 15.) D’autre part, on voit, par une quittance de Geoffroy de Mareuil, du 6 février 1438, que les États du Limousin lui avaient alloué une somme de 500 livres « pour lui aider à delivrer et recouvrer son chastel, à présent occupé et detenu par les Anglois, qui ont fait et font de jour en jour guerre et grans maulx et dommages aux habitans dudit pays ». (Bibl. nat., pièces originales, dossier Mareuil ; A. Thomas, op. cit., t. II, p. 82.) C’est à ce dernier siège sans doute que Jean Chauvet fut blessé.

6 Le château de Courbefy en Limousin était un refuge de routiers. En 1435, Odet de la Rivière, seigneur de Château-Larcher, l’occupait et s’y conduisait comme en pays ennemi. Les États du pays durent traiter avec lui à prix d’argent, pour lui faire évacuer la place avec ses gens. Un autre capitaine, Jean de Saintoux, prit possession de Courbefy et y commit les mêmes excès. A la suite des plaintes des habitants rançonnés et pillés, il fallut de nouveau négocier, a fin de la faire déloger de bonne grâce ; les États du Haut-Limousin furent contraints de lui compter 1400 réaux d’or pour obtenir son éloignement. (A. Thomas, op. cit., t. I, p. 83, 149, 150 ; t. II, p. 99.)

7 « xii ans » doit être une erreur de transcription. Pour faire concorder les chiffres avec les faits exposés ci-dessus, il faudrait plutôt lire « vii ans. »