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MCXVII

Rémission en faveur d’Emery Arrignon, dit l’Espinaye, écuyer, qui, trente-deux ans auparavant, s’était rendu complice d’un enlèvement fait à Saint-Maixent par Alexandre de Torsay, capitaine de Pamproux1.

  • B AN JJ. 177, n° 219, fol. 145
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 29, p. 356-361
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons, etc. nous avoir receu l’umble supplicacion de Emery Arrignon, dit l’Espinaye, escuier, [p. 357] demourant à Ardilleres en la chastellenie de Surgeres ou païs de Xanctonge, chargié de femme et petiz enfans, contenant que, xxxiii. ans a ou environ, ledit Emery, lors estant en l’aage de xviii. ans ou environ et demourant avecques feu frere Jehan de Torçay, pour le temps abbé de Moustier Neuf de Poictiers2, lequel il servoit, icellui de Torçay, abbé dessus dit, lui commanda comme à son serviteur qu’il alast avec et en la compaignie de Alixandre de Torçay3, son frere, [p. 358] et qu’il fist ce qu’il lui ordonneroit ou commanderoit. Lequel Emery, en obeissant audit abbé, son maistre, s’en partit du dit lieu de Poictiers, en la compaignie d’icellui Alixandre et de plusieurs autres, et d’ilec alerent au lieu de Pamprou, duquel estoit capitaine ledit Alixandre, et landemain ou certain jour après, dont n’est recors ledit Emery, icellui Emery, Alixandre et autres, jusques au nombre de douze, se partirent du lieu de Pamprou et alerent en la ville de Saint Maixant, et illec se logierent en une hostellerie. Et estoient ledit Alixandre et ung autre, armez de haubregons, pour ce que c’estoit lors temps de guerre, et de leurs espées, et ledit Emery avoit son espée seinte seulement, et estoit environ l’eure d’entre prime et tierce. Et incontinant ou peu après qu’ilz furent logiez, ledit Alixandre ala faire sa barbe à l’ostel d’un barbier, lequel demouroit devant l’ostel de feue Jehanne Mangnée, lors veufve de feu maistre Guillaume Andraut4, et dist au barbier que ledit feu maistre Guillaume avoit esté du conseil de son pere, qu’il lui avoit baillé certaines lettres, lesquelles il estoit venu querir, et lui demanda comment il les pourroit recouvrer. Lequel barbier lui respondit que son clerc estoit oudit hostel, duquel il recouvreroit bien ses dictes lettres ; et de fait ledit barbier envoya par deux foiz sa femme ou dit hostel, lequel estoit fermé et ne parla à aucune personne. Et ne savoit lors ledit Emery que vouloit faire ledit Alixandre, ne quelle entencion il avoit. En faisant la barbe duquel, arriverent illec ung nommé Macé et ung autre, dont n’est recors le [p. 359] dit suppliant du nom. Et après que ledit Alixandre eut fait sa dicte barbe, print une petite eschelle qu’il trouva en l’ouvrouer dudit barbier et la porta, ou fist porter audit Macé, contre le mur dudit hostel de ladicte vefve, en droit d’une fenestre, laquelle estoit ouverte, et commanda audit Emery que montast pour entrer dedans parmy ladicte fenestre. Lequel monta, cuidant que ce feust pour parler audit clerc et recouvrer les dictes lettres, et y entra ; et quant il fut par dedans, incontinant, ladicte vefve survint illec et lui demanda qu’il queroit leans, et qu’elle estoit femme vefve. Et le dit Emery respondit qu’il y avoit ung gentilhomme, lequel demandoit le clerc de leans, et vouloit parler à lui, pour recouvrer des lettres. En disant lesquelles parolles, ledit Alixandre après entra parmy la dicte fenestre, et print la dicte femme parmy le braz et la mena embas à la porte de l’entrée dudit hostel ; laquelle elle ouvry ou fist ouvrir, et ne se recorde le dit Emery quelles paroles disoit le dit Alixandre à la dicte vefve, car il ne savoit à quelle fin ledit Alixandre la menoit ne que il vouloit, et croyoit qu’il ne deust demander que lesdictes lettres et ledit clerc pour les recouvrer. Et incontinant que la dicte porte feust ouverte, ilz trouverent les chevaulx prestz devant ledit hostel, duquel ledit Alixandre mist dehors ladicte veufve, laquelle disoit plusieurs paroles, desquelles ledit Emery ne se recorde, pour ce qu’il a si long temps qu’il ne l’a peu avoir à memoire. Et tantost ledit Alixandre et ledit Macé prindrent ladicte veufve et la misdrent à cheval, par devant ung nommé Jehan de la Roche5, lequel [p. 360] ne la tint gueres fort, et assez tost elle cheu à terre dudit cheval. Et ce fait, incontinant ledit Alixandre leur dist : « A cheval, à cheval ! » Après lesquelles paroles dictes, monterent tous à cheval hors de leurs hostelz, embastonnez. Ledit Alixandre et ceulx de sa compaignie tirerent leurs espées en leurs mains, et s’en alerent envers la porte de la dicte ville, au dehors d’icelle ; et y avoit paravant aucuns de la dicte compaignie, afin de garder que l’en ne fermast les portes de la dicte ville. Qui ilz estoient ledit suppliant ne se recorde. Mais ne trouverent aucun empeschement à eulx en aler, et saillirent dehors, et s’en retournerent d’ilec audit lieu de Pamprou. De laquelle chose, ainsi que ledit suppliant a depuis oy dire, ledit Alixandre obtint grace pour tous6, qui fut veriffiée à Poictiers, et croit qu’il fut present, mais proprement n’est de ce pas bien recors, pour ce qu’il a si long temps et qu’il estoit jeune, comme dit est. A l’occasion duquel cas, ledit suppliant qui lors estoit jeune, et ne savoit riens d’icellui, et n’en fut oncques content, mais très desplaisant, doubte que, non obstant ladicte grace ainsi prinse par ledit Alixandre, pour lui et tous les autres, qui a esté veriffiée au dit Poictiers, que pour le temps avenir justice lui feust rigoureuse, et que à ceste cause on lui voulsist mettre ou donner aucun empeschement en corps ou en biens, si nostre grace ne lui estoit sur ce impartie, si comme il dit, en nous humblement requerant que, attendu qu’il a tousjours, et devant et depuis, esté homme de bonne vie, renommée et honneste conversacion, sans oncques mais avoir esté actaint ou convaincu d’aucun autre villain cas, blasme ou reprouche, il nous plaise icelle nostre grace piteablement lui eslargir. Pour quoy nous, ces choses considerées, voulans misericorde preferer à rigueur de justice, audit suppliant ou cas dessus dit avons [p. 361] quicté, remis et pardonné, etc. Si donnons en mandement, par ces mesmes presentes, au seneschal de Poictou et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Chinon, ou mois de may l’an de grace mil cccc. xlvi, et de nostre regne le xxiiiie.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du conseil. Bochetel. — Visa. Contentor. Charlet.


1 L’enlèvement rapporté ici remontait à l’an 1412, pendant l’expédition dirigée par les sires d’Heilly et de Parthenay, lieutenants du duc de Bourgogne, pour soustraire le Poitou à l’obéissance de Jean duc de Berry. Aimery Arignon, qui était âgé de dix-huit ans alors, en avait donc plus de cinquante en 1446. Le Dict. des familles du Poitou (nouv. édit., t. II, p. 103, 104), qui ne cite point d’autre source que la présente rémission, suppose que ce personnage était le fils d’un premier mariage de Jean Arignon, sr de l’Espinaye, qui épousa, en 1428, Marie d’Argenton, veuve de Jean de Torsay, sénéchal de Poitou. (Cf. notre précédent vol., p. 370 n., 371 n.) Étant donné ces dates certaines, il semble plus admissible de considérer Aimery comme le frère cadet que comme le fils de Jean. Le mariage de ce dernier avec Marie d’Argenton lui causa bien des ennuis. Dans des poursuites criminelles qu’il dut exercer contre André de Beaumont et Jeanne de Torsay, sa femme, l’avocat d’Arignon déclare que son client « est notable escuier, extrait de grant et notable chevalerie, a bien servy le roy en ses guerres et a esté prisonnier bien huict ans en Angleterre ». Il avait été au service de Jean de Torsay, et son adversaire prétendait que, du vivant de celui-ci, il avait eu des relations avec sa femme. Beaumont accusait d’ailleurs Marie d’Argenton d’inconduite notoire et offrait de donner la liste de ses nombreux amants. Pendant le siège de Parthenay, ajoutait-il, elle avait offert à Gilles d’Appelvoisin de lui livrer son mari, pour qu’il le fit mettre à mort. D’autre part, suivant Arignon, Beaumont, après le décès de Jean de Torsay, était entré de force avec ses gens d’armes dans le château de la Mothe-Saint-Heraye, s’était emparé de sa belle-mère et l’avait tenue enfermée, pendant huit jours, dans une chambre dont il avait fait murer l’entrée. Il l’avait dépouillée de ses bijoux et de son argent, et l’avait contrainte par la menace à lui faire une donation de tous ses biens. Le roi, informé de ces violences, avait envoyé à la Mothe, pour les faire cesser, les srs de Mortemart, de Gaucourt et de Bazoges ; mais l’accès de la place leur avait été interdit. Puis Beaumont l’avait fait venir, lui Arignon, l’avait constitué prisonnier, lui avait imposé le mariage avec sa belle-mère et lui avait extorqué une ratification de l’abandon de toute sa fortune. Le défendeur répliquait que le contrat avait été négocié par Méry de Magné, qui en avait eu 1100 écus, disant qu’il fallait marier Marie d’Argenton « où elle ardoit », etc. Ces plaidoiries, très curieuses, sont beaucoup trop développées pour qu’on puisse les analyser jusqu’au bout. (Voy. Arch. nat., X2a 18, fol. 201, 207 v°, 208, 239, aux 8, 15 et 22 mai 1430 ; X2a 20, fol. 30 v° ; X2a 21, fol. 145.) On sait comment, un an après à peine, André de Beaumont mourut décapité. Le nouveau mari de Jeanne de Torsay, Jean de Rochechouart, sr de Mortemart, transigea avec Jean Arignon et Marie d’Argenton. L’accord conclu à la Mothe-Saint-Héraye, le 22 février 1432 n.s., et entériné au Parlement le 1er avril suivant, nous a été conservé. Entre autres conventions, il ratifie un contrat de donation entre-vifs de l’hôtel, terre et seigneurie de Tillou avec l’hôtel du Jouc, passé par Marie au profit de son époux, à condition que celui-ci et ses descendants tiendront ces fiefs du seigneur de Gascougnolles et lui en devront l’hommage. (X1c 143, au 1er avril 1432.) Jean Arignon se qualifie dans cet acte « escuyer, seigneur de l’Espinée, de Heriçon et de Gascoignolles ». Il vendit la terre de Tillou à Jean de La Roche, sr de Barbezieux, sénéchal de Poitou, par acte du 22 août 1437. Le sr de l’Espinaye et sa femme, ainsi que le sr de Mortemart et Jeanne de Torsay, furent poursuivis encore par Jean de Martreuil, exécuteur du testament d’Itier de Martreuil, évêque de Poitiers, en restitution d’une somme de 3000 livres que l’évêque avait autrefois prêtée à Jean d’Argenton, sr d’Hérisson, et à Charlotte de Melle, père et mère de Marie d’Argenton. (Plaidoirie du 6 avril 1434, X1a 9200, fol. 219 v°.)

2 La Gallia christiana dit qu’Aimery de Courcy gouvernait encore l’abbaye de Montierneuf en 1409 et que son successeur, Jean de Torsay, est mentionné pour la première fois dans une charte de l’église de Saint-Hilaire de Poitiers, de l’année 1413. Il est cité encore comme abbé dans des actes de 1416 et de 1424, mourut en fonctions le 1er ou le 10 août 1439 et fut inhumé le lendemain devant le grand autel, du côté gauche. Il avait fait édifier une salle neuve près l’enclos de vignes de l’abbaye. (Tome II, col. 1270.) On voit ici que Jean de Torsay était frère d’Alexandre. Comme lui, sans doute, il était enfant naturel.

3 Alexandre bâtard de Torsay, écuyer, était le 14 décembre 1418 au siège devant Tours, témoin une quittance de gages scellée de son sceau, pour services de guerre contre les Anglais. (Bibl. nat., coll. Clairambault, t. 106, p. 8291.) Suivant le P. Anselme, il était fils de Guillaume de Torsay, chevalier (père du maître des arbalétriers) et d’une nommée Pernelle Portier, et aurait été légitimé en 1433. C’est possible. Toutefois il ne faut pas oublier combien est inexact et insuffisant le fragment de généalogie de la famille de Torsay que donne cet auteur (Hist. généal., t. VIII, p. 71). Nous avons montré qu’Alexandre pouvait aussi bien être un fils naturel du sénéchal, qui eut des relations illégitimes avec Marguerite de Ventadour. (Cf. notre vol. précédent, p. 247, note, 371, note.) D’autre part, l’hébergement de Vix, clos de murs, mouvant de Saint-Maixent, appartenant à Jean de Torsay, sr de la Mothe-Saint-Héraye, qui en fit aveu le 21 janvier 1410 n.s. (Arch. nat., R1* 2172, fol. 805), était, en août 1418, la propriété d’Alexandre bâtard de Torsay. (P. 1144, fol. 38 v°.) Il semble que ce dernier vivait encore en mai 1446, puisque son nom n’est point ici, comme celui de son frère, précédé du mot « feu ».

4 Jeanne Maigné, paya, le 18 septembre 1418, à Pierre Morelon, receveur du comte de Poitou, 15 sous de devoir pour son fief de Gentray. (Arch. nat., P. 1144, fol. 41.)

Elle fonda, le 19 novembre 1437, une chapellenie de Notre-Dame desservie dans le grand cimetière de Saint-Maixent ; sa fille Jeanne épousa Étienne Gillier, auquel elle apporta la seigneurie de la Villedieu.

5 Il ne s’agit point évidemment de Jean de La Roche, sr de Barbezieux, qui devint sénéchal de Poitou. Dans un aveu du 11 novembre 1403, rendu pour « la Roche-Malemonde », mouvant de Saint-Maixent, par Pierre Renard, à cause de sa femme, Jeanne de La Roche, il est question d’un Jean de La Roche vivant alors. (R1*, 2172, p. 755.) Mais il y avait dans la région d’autres personnages de ce nom : Jean de la Roche, fils de Bertrand et de Huguette de Vivonne (X1a 9190, fol. 299) ; un autre, seigneur de la Roche près Mouilleron (P. 1145, fol. 439 v°) ; un autre, paroissien de Lusseray (Arch. du château de la Barre, t. II, p. 279), etc.

6 Nous n’avons point trouvé ces lettres de rémission octroyées à Alexandre de Torsay et à ses complices.