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MLXXXVIII

Lettres d’abolition en faveur de Bernardon Rousseau, écuyer poitevin, qui avait servi le roi dans toutes les récentes campagnes, [p. 259] mais s’était rendu coupable de pillages, détrousses et rançonnements.

  • B AN JJ. 176, n° 433, fol. 288
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 29, p. 258-261
D'après a.

Charles, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion de Bernardon Rousseau, escuier, contenant que dès son jeune aage il s’est emploié en nostre service ou fait de nos guerres à l’encontre des Anglois, noz anciens ennemis, en la compaignie de plusieurs capitaines et gens de guerre, sans avoir tenu autre party que le nostre ne fait guerre à l’encontre de nous, et mesmement a esté ou voyaige que feismes à nostre sacre et couronnement, et depuis assegé par nos diz adversaires en nostre ville de Saint Denis1 ; a aussi esté à la conqueste de nostre païs de Caux et au remparement de la ville de Louviers2, où il s’est depuis tenu longtemps en garnison, et avecques ce a esté ès sieges qui ont esté tenuz de par nous devant les villes de Monstereau, Meaulx et Pontoise3, et en plusieurs autres voyaiges et armées, pendens et durans lesquelz temps icellui suppliant a euz et soustenuz plusieurs maulx, travaulx et durtez en sa personne. Et si a eu de grans pertes et dommaiges en chevaulx, harnois et autres biens, et à la dicte cause souventes foiz cheu en grant soufferté et [p. 260] necessité, et tant que, pour soy entretenir en estat, il a esté astraint de tenir les champs, vivre sur noz païs et subgetz, couru et fait courir ses varlez et serviteurs, pillé, robé, destroussé et raençonné toutes manieres de gens qu’il a trouvé sur les chemins et aillieurs, tant gens d’eglise, nobles, bourgois, marchans que autres gens quelxconques, de quelque estat qu’ilz feussent, leur osté leurs chevaulx et autres monteures, or, argent, joyaulx, robbes, chapperons, marchandises, denrées et autres biens quelxconques, qu’ilz trouvoient sur eulx ou avecques eulx, vendu et butiné leurs diz chevaulx, biens et autres destrousses, et a eu et prins sa part ès dictes destrousses, pilleries et roberies, que ont fait ses diz compaignons et serviteurs de guerre, les a soustenuz, supportez et favorisez ès dictes pilleries, a couru et esté à courir marchiez et foires, et icelles pillées, prins et enmené bestiail, partie d’icellui mengié, l’autre vendu et butiné et fait ce que bon lui a semblé, et aucunes foiz raençonné à vivres et autres choses. Et peut estre que, durant le dit temps qu’il a suivi les dictes guerres et tenu les champs, en compaignie de gens d’armes, que lui et aucuns de ses gens ont prins prisonniers plusieurs de noz subgiez, iceulx raençonnez à plusieurs sommes de deniers, vivres et autres choses, iceulx batuz et appatissez, et fait et commis autres grans cas, crimes et deliz, ainsi que gens d’armes avoient accoustumé de faire, qu’il ne pourroit bonnement dire ne exprimer. Toutesfois ne fut il jamais à ravissement de femmes, meurdre, sacrilege, ne à boutemens de feuz. Et combien que le dit suppliant ait bonne voulenté et entencion de s’en tenir doresenavant sans plus retourner à la guerre, neantmoins il doubte que aucuns sur lesquelx ont esté faiz les diz maulx, pilleries, roberies, destrousses et autres choses dessus declarées, en voulsissent ès temps advenir faire poursuite par justice à l’encontre de luy, et que par ce moien on lui voulsist ès temps advenir donner aucun destourbier ou empeschement, [p. 261] ou aucunement le molester et rigoreusement proceder à l’encontre de lui, ou le punir corporellement, se noz grace et misericorde ne lui estoient sur ce imparties, humblement requerant que, attendu les diz services par lui à nous faiz et ceulx qu’il nous fait encores chascun jour et a bon vouloir de faire, quant le cas y escherra, et que, pour soy entretenir en nostre service, il a esté contrainct à faire et commettre les diz maulx, excès ou delitz, ou plusieurs d’iceulx, et aussi que depuis qu’il s’est ainsi retraict, il s’est bien et grandement gouverné et a esperance de faire ès temps avenir, il nous plaise lui impartir icelles. Pour quoy nous, les choses dessus dictes considerées, voulans en ceste partie misericorde preferer à rigueur de justice, et envers lui recongnoistre les diz services, et pour donner exemple aux autres de eulx liberalement emploier ès temps advenir en nostre service, se le cas le requiert, à icellui Bernardon Rousseau avons aboly, remis, quicté et pardonné, etc., pourveu toutes voies qu’il n’ait esté à ravissement de femmes, meurdre, violement d’eglise ne boutement de feuz. Si donnons en mandement, par ces mesmes presentes, à noz amez et feaulx les gens de nostre Parlement, aux prevost de Paris et seneschaulx de Poictou et Xantonge, et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Chinon, ou mois d’avril l’an de grace mil iiiic xlv. avant Pasques, et de nostre regne le xxiiiie.

Ainsi signé : Par le roy, vous et autres presens. Chaligaut. Visa. Contentor. E. Du Ban.


1 Saint-Denis en France, où commandait le maréchal de Rieux, fut assiégé pendant un mois et demi par Th. de Scales, Talbot et Willougby. Après une belle défense, la famine contraignit les défenseurs de la place à capituler ; ils l’évacuèrent le 4 octobre 1436, avec armes et bagages. (Cf. Journal d’un bourgeois de Paris, édit. Tuetey, p. 306-308.)

2 Louviers fut occupé, vers le mois d’octobre 1410, par Xaintrailles, qui avait pour lieutenants Salazar et Antoine de Chabannes. La ville était désemparée ; « ilz la remparerent et fortifierent du mieulx qu’ilz peurent ». (Jean Chartier, Chronique de Charles VII, édit. Vallet de Viriville, t. II, p. 7.)

3 Les sièges de Montereau (1er septembre-22 octobre 1437), de Meaux (20 juillet-12 août 1439) et de Pontoise (6 juin-19 septembre 1441), où le roi prit une part personnelle importante, nécessitèrent de grands efforts, furent couronnés d’un plein succès et peuvent compter parmi les événements militaires les plus marquants du règne de Charles VII.