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MLXXIX

Lettres d’abolition octroyées à Jean de Fresneau, écuyer, pour les pillages, détrousses, mises à rançon et autres excès dont il s’est rendu coupable pendant les campagnes auxquelles il a pris part depuis vingt-cinq ans.

  • B AN JJ. 177, n° 112, fol. 65 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 29, p. 217-220
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons, etc. nous avoir receu l’umble supplicacion de Jehan de Fresneau, escuier, contenant que dès son jeune aage il nous a servi ou fait de noz guerres, l’espace de vint cinq ans ou environ, tant soubz noz très chiers et amez cousins le conte de la Marche1, le sire de Lebret2, nostre amé et feal chevalier Jehan seigneur de Brizay3, et autres estans soubz nos diz cousins, de feu [p. 218] Jehan de la Roche, en son vivant nostre seneschal de Poictou, que de plusieurs autres capitaines et gens de guerre, en quoy il a employé son temps et sa jeunesse, et a esté à plusieurs sieges, rancontres et prises de places sur noz anciens ennemys et adversaires les Anglois, en garnison en plusieurs places et frontieres de nos diz ennemys, en quoy il a despendu grant partie de sa chevance, sans avoir eu de nous aucune recompensacion. Durant lequel temps qu’il a suivy la guerre, pour ce que les capitaines soubz lesquelz il estoit ne lui bailloient point d’argent, dont il peust avoir sa vie, chevaulx, harnois ne autres choses à lui neccessaires, il a tenu et esté contraint tenir les champs, a vesqu sur iceulx et a couru en compaignie d’autres, et fait courir ses varletz et serviteurs de guerre, pillé, robé, destroussé et raençonné toutes manieres de gens qu’ilz ont trouvé sur les chemins et ailleurs, tant nobles, gens d’eglise, bourgois, marchans, gens de pratique et toutes autres manieres de gens, de quelque estat ou condicion qu’ilz feussent, leur a osté leurs chevaulx et autres monteures, leur or, argent, robes, chapperons, saintures, denrées, marchandises et autres biens quelzconques qu’ilz trouvoient sur eulx, vendu et butiné leurs chevaulx, biens et autres destrousses, et a eu le dit suppliant part ès destrousses, pilleries et roberies que ont fait les diz varletz, serviteurs et compaignons de guerre, les [a] soustenuz ès dictes pilleries, couru foires et marchez, et icelles pillées, pris et enmené bestial, partie d’icellui mengié et l’autre vendu et butiné, et fait ce que bon leur a semblé, et aucunes foiz raençonné à plusieurs sommes de deniers, autant ou plus que ne valoit le dit bestial, et aucunes foiz icellui raençonné à vivres et autres choses. Et a esté en compaignie de plusieurs gens de guerre, qui ont assailly eglises fortes, et icelles et iceulx qui estoient dedans prins et raençonné par force, prins à prisonniers les diz estans dedans icelles eglises, comme s’ilz feussent noz ennemys, [p. 219] et icelles eglises pillées, et pour la resistance que faisoient ceulx qui estoient dedans les dictes eglises, lesdiz gens de guerre y ont bouté le feu et aucunes foiz y a eu murtres, sans ce toutesvoyes que le dit suppliant ait commis le dit murtre en sa personne, bouté ledit feu, pillé les dictes eglises ne les biens d’icelles, combien qu’il ait esté present et aucunes foiz aidé à piller les biens des habitans qui estoient retraiz ès dictes eglises ; et puet estre que, durant le dit temps qu’il a suivy les dictes guerres et tenu les champs, en la compaignie de plusieurs cappitaines et autres gens de guerre, que aucuns ont violé femmes, non pas qu’il ait esté present ne consentant à ce. Et aussi durant le dit temps qu’il a suivy les dictes guerres, il a prins à prisonniers plusieurs de nos subgiez et iceulx raençonnez à plusieurs sommes de deniers, vivres et autres choses, iceulz batuz et appatissiez burgades, villages, abbayes, prieurez et autres maisons, et fait et commis plusieurs autres cas, crimes et deliz. Lequel suppliant se veult retraire et faire labourer, vivre du sien et remettre sus son heritaige, mais il doubte que, à l’occasion des choses dessus dictes, aucuns lui voulsissent ou temps avenir donner charge, et que noz officiers ou autres voulsissent contre lui proceder par rigueur et punicion de justice et le tenir et mettre en grant involucion de procès, se nostre grace et misericorde ne lui estoient sur ce imparties, humblement requerant que, attendu qu’il a esté tousjours nostre vray et loyal subgiet et obeissant, et tenu nostre party sans varier, et nous a servy ou fait de noz guerres, où il a employé sa personne et ses biens, sans en avoir eu de nous aucune remuneracion, qu’il a entencion et vouloir de soy retraire et vivre du sien, comme homme de bien doit faire, et n’a personnelment bouté feu, forcé femmes, violé eglises, ne fait meurtre, ne esté consentant, supposé qu’il y ait esté aucunes foiz present, il nous plaise sur ce lui impartir icelles. Pour quoy nous, attendu ce que dit est et voulans misericorde preferer [p. 220] à rigueur de justice, au dit suppliant ou cas dessus dit, pour consideracion des bons et agreables services qu’il nous a fait ou fait de noz guerres et autrement, avons remis, quicté, aboly et pardonné, etc., remettons, quictons, pardonnons et abolissons les faiz et cas dessus diz avec autres quelzconques, que le dit suppliant, à l’occasion des dictes guerres et durans icelles, et le temps qu’il a servy, il a fait, commis et perpetré, lesquelz voulons ici estre tenuz pour exprimez, sans ce qu’il soit besoing d’en faire autre declaracion, avec toute peine, amende et offense corporelle, criminelle et civile4, etc. Si donnons en mandement par ces presentes aux seneschaulx de Poictou, de Xainctonge et de Lymosin, bailliz de Berry, de Touraine et à touz nos autres justiciers, etc. Donné à Razilly lez nostre ville de Chinon, ou mois de decembre l’an de grace mil cccc. xlv, et de nostre regne le xxiiiime5.

Ainsi signé : Par le roy, le mareschal de la Fayette, les sires de la Varenne, de Precigny6 et de Blainville7, maistre Jehan Bureau8 et autres presens. J. de La Loere. — Visa. Contentor. E. Du Ban.


1 Il s’agit peut-être de Jacques de Bourbon, comte de la Marche et de Castres, lieutenant général en Languedoc de mars 1424 à avril 1425, qui se fit cordelier à Besançon en 1435, après la mort de sa seconde femme Jeanne, reine de Naples et de Sicile, et dont le décès arriva le 24 septembre 1438, ou plus vraisemblablement de son gendre Bernard d’Armagnac, comte de Pardiac, qui lui succéda comme comte de la Marche et dont le rôle militaire fut beaucoup plus actif. (Voy. ci-dessus, p. 152, note 1.)

2 Charles II, sire d’Albret, comte de Dreux, vicomte de Tartas, né en 1401 ou 1402, mort en 1471, fils de Charles Ier d’Albret, connétable de France, et de Marie de Sully (cf. notre précédent volume, p. 39 note). Il avait pour femme Anne, fille de Bernard VII comte d’Armagnac et de Bonne de Berry, et leur plus jeune fille, Jeanne, avait épousé le connétable de Richemont, sire de Parthenay, le 29 août 1442, et mourut à Parthenay à la fin de septembre 1444.

3 Jean seigneur de Brizay ou Brisay en Mirebalais a été l’objet d’une courte notice biographique ci-dessus, p. 111, note 2.

4 On remarquera qu’il n’est fait ici aucune réserve de réparation civile, omission qui est fort rare dans les lettres de rémission ou d’abolition.

5 Le texte des lettres d’abolition octroyées à Jean de Fresneau a été publié, sauf les signatures ci-dessous, par M.A. Tuetey, Les Écorcheurs sous Charles VII, 2 vol. in-8°, 1875, t. II, p. 471.

6 Gilbert de La Fayette, maréchal de France depuis l’an 1421, décédé le 23 février 1462 (cf. ci-dessus, p. 99, note 10) ; Pierre de Brézé, sire de la Varenne, sénéchal de Poitou de 1441 à 1451 (voir sa notice, p. 178, note 2) ; Bertrand de Beauvau, sr de Pressigny (id., p. 99).

7 Il s’agit de Jean d’Estouteville, seigneur de Blainville, puis de Torcy après la mort de son père, Guillaume, grand maître et général réformateur des eaux et forêts de France, décédé le 19 novembre 1449, auquel sa femme, Jeanne de Mauquenchy, avait apporté en mariage la terre de Blainville. Jean, né en 1405, fut chambellan de Charles VII, prévôt de Paris le 27 mai 1446 et grand maître des arbalétriers de France en 1449. Il se distingua à la conquête de la Normandie (1450) et servit fidèlement Charles VII et Louis XI ; on le trouve encore combattant à Guinegate (1479) ; il mourut fort âgé le 11 septembre 1494. (Le P. Anselme, Hist. généal., t. VIII, p. 87, 98.)

8 Sur Jean Bureau, maître de l’artillerie, voy. ci-dessus, p. 172, note 3.