MLXIII
Rémission accordée à Jean Girard, de Thurageau, pour le meurtre de François Brodé, prêtre, qui avait débauché sa femme.
- B AN JJ. 176, n° 210, fol. 155
- a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 29, p. 172-175
Charles, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receu l’umble supplicacion des parens et amis charnelz de Jehan Girart, demourant en la parroisse de Turagueau en nostre païs de Poictou, contenant que ung nommé Françoys Brodé, le quel demouroit en ladicte parroisse avecques Jehan Brodé, son pere, s’acointa, lui estant clerc solut, de Thomasse, femme dudit Jehan Girart, [laquelle], selon qu’il estoit commune renommée, il maintenoit, et pour ce que ledit Brodé n’en povoit pas bien joyr à son plaisir, pour doubte dudit Girart, son mary, ledit Brodé print ladicte Thomasse et l’osta d’avec ledit Girart, son mary, environ [p. 173] la feste saint Michiel derrenierement passé, et l’emmena en nostre ville de Poictiers, avecques plusieurs biens dudit Jehan Girart qu’ilz emporterent, comme draps de lit, couvrechiefs, toille et argent, dont ledit Girart fut très desplaisant et courroucié, et de desplaisir et courroux qu’il en print, il devint comme tout alteré en son entendement. Depuis les quelles choses, Jehan Rousseau, frere de ladicte Thomasse, assez tost après la dicte feste saint Michiel, trouva ladicte Thomasse, sa seur, avec le dit Brodé qui l’avoit emmené, laquelle le dit Rousseau ramena audit Girart, son mari, cuidant qu’elle le voulsist servir bien et loyaulment. Lequel François qu’il (sic) n’estoit pas lors encores prestre, s’en fouy et emporta les diz biens, excepté les draps de lit, lesquelz par le moyen d’aucuns furent rapportez audit Girart. Et depuis le dit Françoys se fist prestre et retourna demourer en la dicte parroisse du Turagueau, et illec frequenta et conversa avec ladicte Thomasse, comme paravant il avoit fait, dont il despleut audit Girard. Lequel, pour le grant desplaisir et hayne qu’il conceut à l’occasion dessus dicte contre le dit Brodé, et la grant doubte qu’il avoit que le dit prestre retournast à la dicte Thomasse, femme dudit Girard, se adressa au dit Françoys et lui dist qu’il lui deffendoit qu’il n’alast plus en son hostel et s’en gardast bien, car s’il lui trouvoit il le courrouceroit du corps ; et lui dist qu’il se gardast de lui, s’il voulloit, car il le deffioit. Auquel Girard le dit prestre respondi qu’il ne le craingnoit riens, et se garderoit bien de lui, mais qu’il eust deux pas avant lui. Et depuis, certain jour de dimenche ensuivant, le dit Girard ala biller ès champs avec aucuns de ses amis et voisins, et après biller, vindrent boire à une taverne en ladicte parroisse, en l’ostel de Jehan Poitereau, ouquel hostel semblablement ala le dit Françoys Brodé, où il trouva le dit Girart et ses diz voisins qu’ilz beuvoient. Lequel Girart, quand il vit le dit Brodé fut bien courroucié, et oncques, puis qu’il l’eut veu, [p. 174] ne fist bonne chiere, et regarda tousjours se le dit prestre partiroit du dit hostel d’amblée ou autrement, pour aler devers la dicte Thomasse, femme du dit Girart. Lesquelz Girard et Brodé estans en la dicte taverne audit Turagueau, ledit Brodé lequel guetoit et espioit quant le dit Girart entendroit à faire bonne chiere, advisa que le dit Girard ne le regardoit point, et entendoit à boire, et ne lui souvenoit plus des dites choses, et se embla et parti secretement du dit hostel et hastivement s’en ala par devers la dicte Thomasse en une cave où elle estoit, en laquelle on ne veoit goute. Et tantost après, le dit Girart s’avisa dudit prestre et regarda où il estoit, et incontinent qu’il apperceut qu’il n’estoit pas oudit hostel, se partit hastivement dudit hostel et laissa ses compaignons, et s’en alla en la dicte cave, en laquelle avoit du feu ; et si tost que le dit prestre et la dicte Thomasse sentirent le dit Girart descendre en la dicte cave, la dicte Thomasse exteignit le feu, et le dit Brodé prestre s’en cuida fouir, mais il rencontra le dit Girart, lequel le print par la robe, et gecta le dit Girart le dit prestre à terre ; lequel appella à son aide la dicte Thomasse, en disant : « Venez moy aidier, Thomasse m’amye ». Et fist tant le dit prestre qu’il se releva de dessoubz le dit Girart deux foiz, et de rechiefle dit Girart remist à terre le dit Brodé, et quant il fut ainsi à terre soubz lui, le dit Girart print ung petit cousteau à copper pain qu’il avoit, et en frappa le dit Brodé plusieurs foiz par les cuisses et par les jambes et lui coppa les ners des jambes tellement que la mort s’en est ensuie, et environ ung jour après le dit Brodé, à l’occasion des dictes bleceures et cops, ala de vye à trespassement. Lequel Brodé, par avant son dit deceps, en la presence de plusieurs personnes, pardonna sa mort ou dit Girard et pria sa mere, ses freres et tous ses amis que, pour l’amour de Dieu, ilz voulsissent pardonner au dit Girart, et qu’il savoit bien qu’il avoit tenu tort au dit Girart. Pour occasion duquel cas le dit Girart, doubtant pugnicion [p. 175] et rigueur de justice, s’est absenté du païs et n’y oseroit jamais retourner, se nostre grace et misericorde ne lui estoit sur ce impartie, humblement requerant que, attendu que le dit Girart a esté et est homme de bon fame et renommée, non actaint ou convaincu d’aucun villain cas, blasme ou reprouche, que le dit Brodé lui avoit fortrait sa dicte femme et detenu ses biens, et lui avoit le dit Girart deffendu sa maison et qu’il ne le trouvast point dedens, et qu’il le trouva en lieu suspect, seul en la dicte cave avec la dicte Thomasse, sa femme, qu’il lui a pardonné sa mort, qu’il perdi toute pacience quant il trouva le dit Brodé avec sa dicte femme en la dicte cave et fut tout esmeu et desplaisant, il nous plaise lui impartir icelles. Pour quoy nous, attendu ce que dit est, voulans misericorde preferer à rigueur de justice, audit Girart, ou cas dessus dit, avons remis, quicté et pardonné, etc. Si donnons en mandement par ces presentes aux seneschaulx de Poictou et de Xaintonge, gouverneur de la Rochelle et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Tours, ou moys de may l’an de grace mil cccc. quarante quatre, et de nostre regne le xxiime.
Ainsi signées : Par le conseil. Pichon. — Visa. Contentor. P. Le Picart.