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MLXXXII

Rémission accordée à Charles de Varennes, écuyer, servant en la compagnie du sire d’Orval, pour un meurtre commis à la suite [p. 231] d’une querelle, pendant la dernière expédition d’Allemagne, sur un homme de sa compagnie.

  • B AN JJ. 177, n° 133, fol. 88
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 29, p. 230-235
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons, etc. nous avoir receu l’umble supplicacion de Charles de Varennes, escuier1, aagé de vint trois ans ou environ, contenant que, ou mois de septembre mil iiiic xliiii, le dit suppliant et Jehan Esgrin, son cousin germain, estans ou païs d’Almaigne, en la compaignie de nostre chier et amé cousin le sire d’Orval, ou voyage qui derrenierement a esté fait ou dit païs d’Almaigne2, nostre dit cousin et sa compaignie, logiez en une ville dudit païs nommé en françois le Petit Ague, le dit suppliant [p. 232] et le dit Esgrin furent logiez ensemble en la dicte ville, en la maison d’un homme d’icelle nommé en alment Aguez, lequel estoit charpentier. Et soit ainsi que nostre dit cousin et sa dicte compaignie estans ainsi logiez en icelle ville, ung nommé Philippon de Rodes de la dicte compaignie, pour ce qu’il se congnoissoit à prendre places par eschielles, et qu’il ne povoit avoir ne faire eschielles, sans aide de charpentier, requist à nostre dit cousin qu’il lui feist avoir ung charpentier, car autrement il ne povoit faire ses eschielles et habillemens qu’il vouloit faire. Et alors icellui nostre cousin commanda audit suppliant et Esgrin, son cousin, qu’ilz baillassent audit Philippon leur hoste pour aidier à faire aucuns habillemens que lui faloit faire ; ce que les diz Charles et Esgrin firent voulentiers. Et ce pendant que le dit charpentier besongnoit avecques le dit Phelippon, furent prinses, comme l’en disoit, deux robes de violet en l’ostel dudit charpentier, lesquelles estoient à lui et à sa femme. Laquelle, si tost qu’elle s’en apparceut, elle le courut dire à son mary ou dit logeiz dudit Phelippon de Rodes, et incontinant le dit charpentier laissa la besongne dudit Phelippon et s’en vint en son hostel, acompaigné dudit Phelippon, pour faire ausdiz Charles et Esgrin la complainte de sa perte. Lesquelz ilz trouverent en son hostel, leur logeiz, comme dit est, et adone fist dire le dit charpentier ausdiz suppliant et Esgrin par ung truchement comment on lui avoit prins deux robes de violet, de quoy il en avoit une pour lui et l’autre pour sa femme ; lesquelz lui respondirent qu’ilz en estoient bien marriz et qu’ilz ne savoient qui ce avoit fait, et que du commancement qu’ilz logerent en son hostel, qui lui baillerent de trois chambres qui y estoient l’une fermant à clef, en laquelle ils ne aloient ne ne venoient, ne varletz ne paige qu’ilz eussent, et pour le supporter couchoit lui et sa femme en bon lict, et couchoient en la paille, et qu’ilz ne l’endureroient plus, et que dores en avant ilz [p. 233] coucheroient comme lui, et ses biens auroient devers eulx, afin qu’il ne perdist plus riens qu’ilz ne sceussent comment ; et ce qu’ilz lui avoient souffert, ce n’estoit que de leur grace, en tant que les autres de la dicte compaignie et garnison estant en icelle ville, ne laissoient riens à leur hoste. Et sur ce print les parolles le dit Phelippon, en disant que c’estoit mal fait et qu’ilz feroient que folz, s’ilz prenoient riens du sien et qu’ilz s’en donnassent bien garde comment ilz feroient, et qu’ilz n’avoient si bon cheval qu’il n’y encourust (sic), veu que nostre dit cousin le sr d’Orval lui avoit baillé. A quoy respondirent les diz supplians et Esgrin qu’il entreprenoit les paroles trop haultes et qu’il n’en avoit que faire, veu qu’ilz n’entreprenoient riens sur lui, et qu’il s’en avoit beau passer. Lequel Phelippon respondi que pour eulx il n’en laisseroit jà à parler et que ainsi n’yroit il pas. Et le dit suppliant lui dist qu’il s’en alast bien tost à leur logeiz et qu’il ne les otra[ge]ast plus de paroles ou autrement il le feroit marry, et qu’il n’y arrestast plus. Dont le dit Philippon commança à soubrire et secouer la teste, en disant que bien poy le craingnoit. Le quel suppliant, voyant que le dit Phelippon se mocquoit de lui, comme il lui sembloit, tira une dague qu’il avoit et vint vers icellui Phelippon et lui cuida donner de la dicte dague, et lui en eust donné, se n’eust esté le dit Esgrin qui se mist au devant ; et en ce debat et [pendant] que on les departoit, plusieurs oultrageuses paroles se disoient d’un cousté et d’autre. Et après se departit le dit Phelippon, en disant qu’il en y auroit de merriz. Et demourerent les diz suppliant, Esgrin et plusieurs autres devant leur logeiz. Et pour les dictes paroles que le dit Phelippon avoit dictes, icellui suppliant esmeu et courroucié ala tantost prendre ung espieu qui estoit appuyé à la porte de son logeiz, et s’en sailly dehors en la rue. Et ainsi qu’il sailloit hors, ung nommé le Bourc de Bieu, armé d’un jacques et une espée seinte, commança à prendre parolles pour le dit Phelippon, [p. 234] en le soustenant, disant que c’estoit mal fait, et que le dit Phelippon estoit bien homme de bien et que à grant peine se laisseroit il oultraiger sans qu’il ne s’en venjast. Lequel suppliant esmeu, comme dit est, dist audit Bourc de Bieu : « T’en fault il parler ? Se tu ne t’en voiz bientost d’icy, je te donneray de cet espieu que je tien sur la teste ; et t’en va bien tost. » Lequel Bourc de Bieu se remua environ deux toises ou trois de là, en parlant tousjours et disant qu’il ne s’en iroit point de là ou il estoit et qu’il n’en laisseroit jà à parler, et que lui et le dit Phelippon logeoyent ensemble, et pour ce en parleroit. Lequel suppliant se esmeut à aler contre le dit Bourc de Bieu pour le frapper, lequel Bourc de Bieu tourna le doz pour fouyr, et le dit suppliant faigny d’aler après, et toutesvoyes il ne le suivit point pour ceste foiz. Et quant le dit Bourc de Bieu fut tourné et vit que le dit suppliant ne le suivoit point, il tourna le visaige contre icellui suppliant, en disant tousjours parolles agressans et actaignans comme dessus. Lequel suppliant, ainsi esmeu comme dit est, commança à dire en alant contre le dit Bourc : « Truant, en parleras tu meshuy ? » Lequel Bourc tourna le doz, comme s’il s’en voulsist fouyr, et le dit suppliant le poursuit et le frappa du manche dudit espieu qu’il tenoit en sa main sur la teste ung coup. Duquel cop ilz tumberent tous deux à terre ; et se releva incontinant le dit suppliant. Et le dit Bourg fut relevé et emmené ou logeiz de Raymonnet du Chastel, que on disoit estre son oncle. Et la nuyt ensuivant, icellui Bourg par faulte d’appareil, bon gouvernement ou autrement, ala de vie à trespassement. Pour occasion duquel cas icellui suppliant, doubtant rigueur de justice, s’est absenté et ne ose seurement converser ne repairer entre gens et mesmement ses parens et amys, ne n’oseroit, se nostre grace ne lui estoit sur ce impartie, si comme il dit, en nous humblement requerant que, attendu que icellui suppliant nous a bien servi ou fait de noz guerres et [p. 235] autrement, et aussi ont fait plusieurs ses parens et amys, que le dit fait est advenu de chaude colle, et que lesdiz Phelippon et Bourc de Bieu avoient esté et estoient agresseurs de paroles, consideré aussi le jeune aage dudit suppliant et que lui qui est noble et jeune homs griefve chose lui estoit d’avoir esté et d’estre ainsi injurié de paroles, etc., nous lui vueillons sur ce nostre grace impartir. Pour quoy nous, les choses dessus dictes considerées, voulans misericorde preferer à rigueur de justice, audit suppliant avons quicté, remis et pardonné, etc. Si donnons en mandement par ces mesmes presentes au seneschal de Poictou, aux bailliz de Berry et de Saint Pere le Moustier, et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Chinon, ou mois de janvier l’an de grace mil cccc.xlv, et de nostre regne le xxiiiie3.

Ainsi signé : Par le roy, vous, le conte de Tancarville, les sires de la Varenne, de Precigny4 et de Maupas5 presens. — Visa. Rolant. Contentor. E. Du Ban.


1 Ces lettres étant adressées au sénéchal de Poitou en première ligne, on doit admettre que ce Charles de Varennes avait sa principale résidence dans les limites du ressort de la sénéchaussée. Nous n’avons par ailleurs rien trouvé relativement à ce personnage. Les registres du Trésor des chartes contiennent une rémission en faveur sans doute d’un membre de la même famille, mais que nous n’avons pas publiée, parce qu’elle est à l’adresse du sénéchal de Saintonge. Pierre de Varennes, qualifié chevalier, s’était rendu coupable du meurtre de frère Jean Bouer, prieur de Tonnay-Boutonne, « homme brigueux, rioteux, efforceur de femmes, etc. » Les lettres qui lui furent octroyées, en mars 1380, relatent avec détail et précision les services militaires de ce Pierre de Varennes, sa participation à la bataille de Cocherel, sa prise avec Du Guesclin, etc. (JJ. 116, fol. 154.)

2 Arnaud-Amanieu d’Albret, seigneur d’Orval, était le troisième fils de Charles II sire d’Albret et d’Anne d’Armagnac. Dans des quittances des 18 avril 1448, 15 octobre 1449 et 14 juin 1451, scellées de son sceau, mentionnées par le P. Anselme, t. VI, p. 217, il est qualifié « Amenion de Lebret, seigneur d’Orval, capitaine de cent lances et des archers de la grande retenue du roi ». Le sire d’Orval fut aussi conseiller et chambellan de Charles VII et lieutenant général pour le roi en Roussillon, où il mourut l’an 1463. Le voyage d’Allemagne dont il est question ici est l’expédition dirigée par le dauphin Louis dans la Haute-Alsace, sous prétexte de porter secours à la maison d’Autriche contre les Suisses, mais dans le but plus réel de débarrasser le royaume des compagnies d’aventuriers qui le désolaient et, se trouvant sans emploi depuis la trêve conclue avec l’Angleterre, se livraient plus que jamais au pillage. L’armée du dauphin, dont le sire d’Orval était l’un des principaux capitaines, se composait en effet de routiers de toutes les nations et comprenait trente mille hommes au moins. Elle s’était concentrée à Langres au mois de juillet 1444. M.A. Tuetey a fait de cette campagne une étude très approfondie et abondamment documentée. (Les Écorcheurs sous Charles VII, 2 vol. in-8°, t. I, p. 148 et s.)

3 M. Tuetey a imprimé le texte de ces lettres de rémission parmi les pièces justificatives de son ouvrage Les Écorcheurs sous Charles VII, t. II, p. 395.

4 Il a été question à plusieurs reprises de ces trois personnages dans les pages qui précèdent.

5 Jean du Mesnil-Simon, seigneur de Maupas à cause de Philippe de Rochechouart, sa femme. (Cf. ci-dessus, p. 171, note 2.)