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MLXXXVI

Lettres d’abolition en faveur de Guillaume Perceval, écuyer d’écurie du roi, et de deux de ses serviteurs, Guillaume Mosnier et Jean de Launay, pour tous les excès, crimes ou délits dont ils ont pu se rendre coupables à la guerre, depuis trente ans.

  • B AN JJ. 177, n° 170, fol. 113 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 29, p. 253-256
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons, etc. nous avoir receu l’umble supplicacion de Guillaume Perseval1, nostre escuier [p. 254] d’escuirie, et de Guillaume Mosnier et Jehan de Launay, ses serviteurs, contenant que, puis trente ans ença ou environ, le dit Perseval a esté capitaine et a eu charge et gouvernement de certain nombre de gens de guerre qu’il a tenuz soubz lui, et lesquelz en sa compaignie et autrement souventes foiz ont tenu les champs et vescu sur et aux despens de nostre peuple, en prenant vivres en telle quantité que bon leur sembloit, sans ordre quelconque, pillant aussi, robant et destroussant toutes manieres de gens qu’ilz povoient trouver et raençonner à leur avantaige, ont aussi raençonné plusieurs villes et lieux de nostre obeissance et prins et exigé des habitans en iceulx grans sommes de deniers, pour empeschier que les dictes gens de guerre ne alassent logier et vivre ès dictes villes et lieux, prins et constituez prisonniers en griefves et dures prisons plusieurs de noz subgiez, et iceulx raençonnez à grans et excessives sommes, comme s’ilz eussent esté noz ennemys, ont abatu et demoly maisons, bouté feux, violé eglises, tué et murdri gens, et fait plusieurs autres maulx. A aussi le dit Perseval par aucun temps esté capitaine de la place et forteresse de la Bataille, durant lequel temps, à l’occasion de ce que Guion Flatereau, demourant audit lieu de la Bataille, ferma une foiz la porte de la dicte forteresse [p. 255] audit Perseval, afin que point n’y entrast, icelluy Perseval print le dit Flatereau et le raençonna à deux tonneaulx de vin que lors il en eut. Et si a bien dix ou douze ans ou environ que icellui Perseval print Pierre d’Arragon, demourant à Saint Savinien sur Charente, dont le dit Perseval estoit lors capitaine, et le raençonna à quarante escuz d’or, pour ce qu’on disoit que le dit d’Arragon vouloit livrer et mettre la dicte place ès mains de certaines gens de guerre du païs de Bretaigne, qui lors faisoient guerre audit Perseval2 ; et lesquelz xl. escuz icellui Perseval a depuis restituez et paiez. Et en icellui temps mesmes print et osta ledit Perseval, de son auctorité, sans paier, du curé de Nouaillé ung sien cheval du pris de v. escuz d’or. De tous lesquelz cas ou de la pluspart d’iceulx les diz Guillaume Mosnier et Jehan de Launay, ses serviteurs, ont esté consentans ou presens à iceulx commettre et perpetrer. Et se doubtent les diz supplians que, à l’occasion d’iceulx, on en peust ou voulsist, ores ou pour le temps avenir, faire contre eulx aucune poursuite, et les mettre en justice, se nostre grace et misericorde ne leur estoit sur ce impartie, ainsi qu’ilz nous ont fait dire et remonstrer, requerans humblement, comme ces choses aient esté faictes soubz umbre de la guerre et que le plus souvent ilz n’aient esté paiez de leurs gaiges et par ce ayent esté contrains de faire les diz maulx, nous plaise les diz cas leur abolir, quicter et pardonner, et sur ce leur impartir nostre grace. Pour ce est il que nous, ces choses considerées et les grans et bons services que iceulx supplians nous ont faiz en autres manieres, tant du fait de noz guerres comme autrement, le [p. 256] temps passé, et mesmement à la reducion, par le dit Perseval et par son moyen faicte, puis six ans ença, en nostre obeissance des ville et chastel de Melle3, font de jour en jour, et esperons que encores facent ou temps avenir, et pour autres causes et consideracions à ce nous mouvans, avons à iceulx supplians et à chascun d’eulx quicté, remis, pardonné et aboly, etc. tous les cas et crimes dessus diz et tous autres par eulx commis le temps passé, ou dit fait de la guerre, jusques au jour de la dicte reducion faicte en nostre dicte obeissance des dicte ville et chastel de Melle, avec toute peine, offense et amende, etc. Si donnons en mandement, par ces mesmes presentes, à nos amez et feaulx conseillers les gens tenans nostre Parlement, aux seneschaulx de Poictou et de Xanctonge et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Chinon, ou mois de mars l’an de grace mil cccc.xlv, et de nostre regne le xxiiiie.

Ainsi signé : Par le roy, l’evesque de Castres4 et autres presens. E. Chevalier. — Visa. Contentor. E. Du Ban.


1 Guillaume Perceval avait fait partie de la compagnie de Jean de la Roche (La Rochefoucauld), sr de Barbezieux, et est nommé dans les lettres de rémission octroyées, le 9 avril 1431, à celui-ci et à tous ceux qui servaient sous ses ordres, pour tous les excès dont ils s’étaient rendus coupables. (Ci-dessus, p. 12.) Le service qu’il fait valoir de l’assistance prêtée à Charles VII pour reprendre la ville de Melle démontre que Perceval avait rompu avec son chef et ne l’avait pas suivi dans sa rébellion, lors de la Praguerie. Cette preuve de soumission au roi lui valut sans doute, comme récompense, la charge d’écuyer d’écurie, dont il se qualifie ici. Quel était ce personnage, sur lequel les renseignements n’abondent pas ? Peut-être est-il possible de lui constituer un état civil plus précis. Dans la région voisine de Melle, on trouve établie à cette époque une famille de Montferraut, Monferrauld, Monferaut, que l’on a lu parfois, à tort, croyons-nous, Montferrant, ce nom paraissant devoir être identifié avec Monfrault, ancien fief, aujourd’hui hameau dépendant de Celle-l’Évêcault. Plusieurs membres de cette famille prirent, dès le milieu du xive siècle, le surnom de Perceval ou Percevau. Un mandement au sénéchal de Poitou, en date du 30 mars 1451, lui ordonne de faire exécuter un arrêt du Parlement condamnant Hugues Chevalier à payer 25 livres à « Jean de Montferraut, dit Percevau ». (Arch. nat., X1a 13, fol. 22 v°.) Sur le Grand-Gauthier est transcrit un aveu de terres, menus fiefs et rentes tenus du comte de Poitou, à cause de Saint-Maixent, rendu le 12 février 1405 n.s., par « Jehan de Montferraut » (R1* 2172, p. 869.) On voit en outre dans le livre des hommages dus à Charles dauphin, comte de Poitou, en 1418, que Jean Jourdain, « à cause de Philippe de Montferaut, sa femme, fille de feu Jehan de Monferaut », devait hommage lige, 9 livres de plait et 36 sols de service au chef de l’an pour les fiefs qu’il possédait à Villeneuve et à Virsay, paroisse d’Aigonnay dans la mouvance de Saint-Maixent. (P. 1144, fol. 35 v°.) Dans un aveu du 10 juillet 1418, le nom de cette dame est écrit « Philippe de Montferraut ». (P. 1145, fol. 113.) Citons encore un arrêt du Parlement de Poitiers, du 12 septembre 1422, rendu au profit de Colette Alard, veuve de Robin Vaillant, bourgeois de Poitiers, contre « Aimery de Montferraud, écuyer, demeurant près Melle », inculpé de violences et pillages commis au détriment du fermier du lieu de « Montferraud », appartenant à ladite Colette (X1a 9190, fol. 192 v°.) D’autre part, un Perrot Percevaux assista au siège de Parthenay contre Jean Larchevêque, en 1415, comme on le voit par une quittance de gages. (Bibl. nat., coll. Clairambault, reg. 85, pièce 6661.) Ces remarques viennent à l’appui de l’identification, que nous proposons, de Guillaume Perceval, écuyer d’écurie de Charles VII, avec Guillaume de Monferaud (et non Montférand), dit Perceval, écuyer, seigneur de Lusseray et de la Varenne, connu par un échange qu’il passa, le 5 juillet 1459, avec un nommé Michau Gigou, hôtelier de Brioux, et ses enfants. (Invent. des Arch. du château de la Barre, par A. Richard, t. II, p. 278.) Lusseray se trouve entre Brioux et Melle ; la Varenne est aujourd’hui un hameau de la commune de la Bataille, autrefois place forte, dont, comme on le voit dans notre texte, l’écuyer d’écurie fut capitaine. Tout cela concorde parfaitement et permet d’expliquer comment Guillaume Perceval put mettre l’influence dont il usait dans la contrée au service du roi et aider efficacement à remettre la ville de Melle en l’obéissance de Charles VII.

2 Après l’arrestation et la condamnation de Louis d’Amboise, vicomte de Thouars (8 mai 1431), des garnisons bretonnes furent envoyées par Artur comte de Richemont, sous la conduite des srs de Rostrenen et de Beaumanoir, dans les places de Châtelaillon, Marans, Benon, et dans l’île de Ré, et, d’autre part, le sire d’Albret, lieutenant général du roi, et le sénéchal de Saintonge vinrent les combattre. C’est un épisode de cette lutte qui est rappelé en cet endroit.

3 On n’a que peu de renseignements sur l’occupation de Melle, au commencement de l’année 1440, par les princes ligués contre le roi. Dans un mémoire qui contient la relation officielle des événements de la Praguerie, il est dit que le duc d’Alençon et Jean de La Roche prirent le château et la ville et y mirent une grosse garnison des gens d’armes dudit de La Roche. (Chronique de Mathieu d’Escouchy, édit. de Beaucourt, t. III, p. 12.) Cette prise de possession eut lieu probablement sans coup férir, car la place appartenait à Georges de La Trémoïlle, l’un des fauteurs de la rébellion. Elle lui avait été donnée par Charles VII, comme sûreté et garantie d’un prêt de 6000 écus d’or, par lettres datées de Mehun-sur-Yèvre, le 20 juillet 1426, enregistrées à la Chambre des comptes de Bourges, le 3 août 1428 (anc. mém. H bis, fol. 93, mentionné dans Arch. nat., PP. 135, p. 154, et Bibl. nat., ms. fr. 21405, p. 91), et le don lui en fut confirmé dans un accord du 28 septembre 1435. (J. 475, n° 91.) Mais on ne sait combien de temps exactement les gens de J. de La Roche y restèrent et dans quelles circonstances la ville rentra dans le devoir. La mention qui s’en trouve ici n’est donc pas dénuée d’intérêt.

4 Il s’agit d’un personnage bien connu par l’influence qu’il exerça sur Charles VII, qui avait été son élève à partir de 1412 et dont il devint le confesseur. Né vers 1380, à Blois, Gérard Machet était proviseur du collège de Navarre en 1418, quand les Bourguignons s’emparèrent de Paris. Il s’enfuit avec le dauphin, fut pourvu de l’évêché de Castres en 1432, revêtu de la pourpre en 1440, et mourut à Tours le 17 juillet 1448.