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MLXII

Lettres permettant à l’abbesse et aux religieuses de Sainte-Croix de Poitiers de fortifier leurs manoirs de Sainte-Radegonde de Saix et de Pouillé.

  • B AN JJ. 176, n° 207, fol. 152
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 29, p. 168-171
D'après a.

Charles, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receu l’umble [p. 169] supplicacion de noz bien amées les religieuses, abesse et convent de l’abbaye de Sainte Croix de Poictiers1, estant de fondacion royale, contenant que, pour la seureté, retrait et salvacion d’elles, de leurs mestaiers, hommes et subgiez, et de leurs biens, et pour obvier aux grans roberies, pilleries et dommaiges que elles et leurs diz mestaires, hommes et subgiez seuffrent chascun jour à l’occasion des logeys et courses que les gens de guerre estans en nostre service leur ont fait et font très souvent, elles ont puis nagueres eu entencion et voulenté de faire fortiffier et emparer leurs hostelz de Sainte Ragond de Sayz et de Pouillé, scituez en nostre bailliage de Touraine, et de fait les ont jà fait commencer de fortiffier et amener des matieres [p. 170] pour les parachever, mais elles n’oseroient bonnement plus avant faire besongner ès dictes fortifficacions et emparemens, sans noz congié et licence, doubtans que sur ce nostre procureur en nostre dit bailliaige de Touraine ou autre ne leur y meist ou feist debat, controverse ou empeschement, requerans sur ce nostre provision. Pour ce est il que nous, ces choses considerées, desirans les dictes religieuses qui sont de fondacion royal, comme dit est, et leurs diz mestaiers et subgiez estre preservez et gardez en seureté, tant en leurs personnes que en leurs biens, à icelles religieuses, abesse et convent avons donné et octroyé, donnons et octroyons, de grace especial, par ces presentes, congié et licence de faire fortiffier et emparer leurs diz hostels de Sainte Ragond de Sais et de Pouillé de murs, tours, portaulx, fossez, palliz, pont leveyz, guerites, barbecannes et autres fortifficacions et emparemens, telz que bon leur semblera, et, se mestier leur est et besoing leur fait, d’en icelles forteresses faire comprendre chemins publicques, tant que besoing leur sera, en baillant d’autre terre à eulx appartenans de plus prochaine qu’elles ont des diz chemins, pour faire iceulx chemins, pourveu toutesvoyes que ceulx qui demoureront et habiteront ès dites places ainsi fortiffiées feront guet et garde ou lieu ou d’ancienneté ilz avoient acoustumé le faire. Si donnons en mandement par ces dictes presentes à nostre bailli dudit bailliage de Touraine et des ressors et Exempcions d’Anjou et du Maine, ou à son lieutenant, en commettant, se mestier est, que les dictes religieuses, abesse et convent, et leurs diz mestaiers, hommes et subgiez facent, seuffrent et laissent joïr et user plainement et paisiblement de noz presente grace, congié et licence et octroy, sans leur faire, mettre ou donner, ne souffrir estre fait, mis ou donné aucun ennuy ou destourbier au contraire. Car ainsi nous plaist il estre fait, non obstans quelzconques ordonnances, mandemens ou deffences à ce contraires. Et afin que ce [p. 171] soit chose ferme et estable à tousjours, nous avons fait mettre à ces presentes nostre seel ordonné en l’absence du grant. Sauf en autres choses nostre droit et l’autruy en toutes. Donné aux Montiz lez Tours, ou moys de may l’an de grace mil cccc. quarante et quatre, et de nostre regne le xxiime.

Ainsi signées : Par le roy, les sires de Trinel2 et de Maupas3, maistre Jehan Bureau4 et autres presens. Ja. Aude. — Visa. Contentor. P. Le Picart.


1 L’abbesse de Sainte-Croix de Poitiers, à cette époque, se nommait Raymonde du Peyrat, aliàs de Pérat. La Gallia christiana ne fournit aucun renseignement sur elle, et dit simplement qu’elle était abbesse en 1424, 1432 et 1454. (T. II, col, 1303.) Les archives de ce monastère renferment un grand nombre d’actes, entre ces dates extrêmes, relatifs à l’administration de Raymonde. Il serait facile mais trop long de donner la liste de toutes les chartes où il est question d’elle. Les lettres de mai 1444, permettant de fortifier les manoirs de Saix et de Pouillé, ne figurent pas dans ce fonds, du moins autant que l’on en peut juger par l’excellent inventaire manuscrit qu’en a dressé L. Rédet en 1844. (Arch. nat., F2 350.) En revanche, on y trouve d’autres lettres de Charles VII, de mai 1443, autorisant l’abbesse et les religieuses de Sainte-Croix à bâtir une forteresse au village de Maillé près Montreuil-Bonnin (original scellé avec l’attache de Pierre de Brézé, sénéchal de Poitou) ; des lettres royaux obtenues par les religieuses, le 13 juillet suivant, à l’encontre de Laurent Vernon, seigneur de Montreuil-Bonnin, qui s’opposait aux travaux commencés pour fortifier l’hôtel de Maillé, parce que les religieuses n’avaient pas voulu recevoir le capitaine qu’il prétendait y placer (liasse 36) ; un mandement de Charles VII, daté de Poitiers, le 15 juillet 1443, pour maintenir l’abbaye dans le droit de prendre toutes les semaines sept charretées de bois de chauffage dans la forêt de Moulière, suivant l’autorisation qu’elle en avait obtenue des rois, ses prédécesseurs (liasse 95, d’après l’inventaire Rédet). Le même roi avait encore accordé à l’abbesse et aux religieuses de Sainte-Croix une confirmation de tous leurs privilèges, par lettres patentes données à Poitiers, le 20 avril 1438, lettres qui ne sont pas mentionnées non plus dans l’inventaire des archives de cet établissement. Elles furent enregistrées au Parlement le 6 juin 1545 seulement, avec une nouvelle confirmation octroyée par François Ier en juillet 1515. (Arch. nat., X1a 8615, fol. 133.) Ces lettres sont d’ailleurs imprimées dans le recueil des Ordonnances des rois de France, in-fol., t. XV, p. 341.

2 Sic au lieu de Trainel. Il s’agit de Guillaume Jouvenel des Ursins, chevalier, baron de Trainel, personnage trop connu pour qu’il soit nécessaire d’insister sur sa biographie. Rappelons seulement que, né à Paris le 15 mars 1401 n.s., il fut d’abord conseiller lai au Parlement de Poitiers (provisions du 20 mars 1424 n.s.), bailli de Sens en décembre 1437, puis institué chancelier de France, en remplacement de Renaud de Chartres, par lettres données à Sarry-les-Châlons, le 16 juin 1445. Il exerça cette charge jusqu’à sa mort survenue le 23 juin 1472. Un de ses frères cadets, Jacques Jouvenel des Ursins, fut nommé le 5 novembre 1449 administrateur perpétuel de l’évêché de Poitiers ; nous aurons à nous occuper de lui par la suite. Tous deux étaient fils de Jean Jouvenel des Ursins, président au Parlement de Poitiers, décédé dans cette ville le 1er avril jour de Pâques 1431, et de Michelle de Vitry, qui survécut à son mari jusqu’au 12 juin 1456. Quelques années après la mort de son mari, Mme de Trainel fut victime d’un vol important, commis à l’aide de fausses clefs dans son hôtel à Poitiers. Le principal coupable était un nommé Marcellot. Sa complice Thomasse Regnaud fut prise et avoua à la cour qu’elle avait eu pour sa part « iiiixx pieces d’or, escuz et moutons vielz ». Par arrêt du 7 décembre 1435, elle fut condamnée à être fustigée, trois samedis consécutifs, par les carrefours et places devant Notre-Dame-la-Grande, de la Regraterie et du Pilori, à être tournée, chacun desdits jours, au pilori et à avoir, l’une des trois fois, les cheveux brûlés au pilori ; en outre, à tenir prison fermée dans la fosse de la tour de la Prévôté de Poitiers, pendant trois mois, au pain et à l’eau. Au bout de ce temps elle devait être bannie du royaume à perpétuité. A la suite de cette affaire, défenses furent faites à tous les serruriers de Poitiers et d’ailleurs de ne plus fabriquer désormais des clefs sur empreintes, à moins que ce ne soit par ordre des propriétaires et pour leurs maisons respectives. Le 20 décembre suivant, Guillaume et Jacques Jouvenel vinrent déclarer, sous la foi du serment, que le montant du vol s’élevait à la somme de 500 écus, sur laquelle ils n’avaient recouvré que 120 écus, et, à leur requête, Thomasse fut condamnée en outre à leur restituer le reste et à demeurer en prison jusqu’à ce qu’elle leur eût donné complète satisfaction. (Arch. nat., X2a 21, aux dates.)

3 Jean du Mesnil-Simon, alors bailli de Berry, était à cause de Philippe de Rochechouart, sa femme, seigneur de Maupas, titre sous lequel il est ordinairement désigné. Le sire de Maupas était dès l’an 1432 au service de Charles VII, comme valet tranchant. Au commencement de l’année 1445, il fut envoyé, par commission du roi, en Poitou et en Saintonge, pour organiser spécialement dans ces provinces le logement et l’entretien des gens de guerre. (Arch. nat., K. 68, n° 14.) Jean du Mesnil-Simon ne mourut que sous Louis XI qui, par lettres du 2 janvier 1462 n.s., lui conféra le titre de son conseiller et chambellan. (A. Thomas, Les États provinciaux de la France centrale, t. I, p. 339 ; de Beaucourt, Hist. de Charles VII, t. IV à VI, passim.)

4 On connaît les services rendus à Charles VII par Jean Bureau et par son frère Gaspard, comme maître de l’artillerie française. D’abord commissaire au Châtelet de Paris (1425-1435), Jean était receveur de cette ville, lorsqu’il fut commis verbalement par le roi au gouvernement de l’artillerie pour le siège de Meaux (juillet 1439) ; après la prise de cette ville (12 août), il fut titulaire de cette charge qu’il continua d’exercer, quoique pourvu, le 2 mai 1443, de celle de trésorier de France et de maître des comptes. Il était en même temps capitaine de la ville et du marché de Meaux et du château de Beauté-sur-Marne, et fut aussi chambellan du roi. De 1444 à 1446, Jean Bureau fut à plusieurs reprises envoyé dans le Poitou, la Saintonge et l’Angoumois, au sujet de l’imposition des aides pour la guerre et le paiement de la gendarmerie. Il mourut à Paris, le 5 juillet 1463. (Le P. Anselme, Hist. généal., t. VIII, p. 135 ; E. Cosneau, Le connétable de Richemont, p. 292, 293.)