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MXCII

Lettres d’abolition en faveur de Guillaume Guérin, demeurant à Frosse, près Mareuil-sur-Lay, pour les crimes et délits dont il s’est rendu coupable pendant les guerres, et en particulier pour les excès qu’il a commis au service de G. de La Trémoïlle, contre les partisans du comte de Richemont.

  • B AN JJ. 177, n° 185, fol. 126
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 29, p. 270-273
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons, etc., nous avoir receu l’umble supplicacion de Guillaume Guerin, natif du païs de Poictou et à present demourant ou villaige de Frosses près Marueil, ou dit païs de Poictou, contenant que dès son jeune aage et le commancement des guerres il nous a servy en nos dictes guerres et fut au siege que, après nostre partement que feismes de nostre ville de Paris l’an iiiic xviii, tenismes devant le Pont Saint Esperit1, soubz ung capitaine [p. 271] appellé Jehan Fol2, et nous servit le seurplus dudit voiage, et fut au siege de Cravant3, et depuis a esté de la garde de nostre corps, ou temps que nostre amé et feal conseiller et chambellan le sire de Pruilly4 en avoit la charge. Et en après nous a servy en nos dictes guerres, soubz plusieurs noz capitaines et chiefz de guerre, sans jamais avoir servy capitaine ne autre qui ait esté à l’encontre de nous. Et aussi a esté icellui suppliant soubz nostre amé et feal cousin le sire de La Trimoïlle, ou ses capitaines, qui estoient en ses places de Poictou, et avec les diz capitaines [p. 272] esté à faire guerre à certains capitaines de Bretons, qui lors nous faisoient guerre et à nostre dit cousin de La Tremoïlle5, et s’est employé en nos dictes guerres tout au mieulx qu’il a peu, et ce jusques à ce qu’il s’en est retrait du tout, qui a esté puis vii. ou viii. ans ença. Pendant et durant lequel temps, icellui suppliant a eu et soustenuz plusieurs maulx, travaulx et durtez en sa personne, pertes et dommaiges de chevaulx, harnois et autres biens, et à ceste cause souventes foiz cheu en grant neccessité, et telement que pour soy entretenir en nostre dit service, il a esté contraint tenir les champs, vivre sur noz subgiez et païs, couru et fait courir, etc.…6 ce que bon lui a semblé, et aucunes foiz raençonné à vivres et autres choses. Et peut estre que, durant le dit temps qu’il a suivy les dictes guerres et tenu les champs, acompaigné de gens d’armes, que aucuns de ses gens ont prins prisonniers plusieurs de noz subgiez et iceulx raençonnez à plusieurs sommes de deniers, vivres et autres choses, iceulx batuz et appatissez. Et aussi fut une foiz avecques autres gens de guerre et communes à courre devant Mervant, où avoit gens qui lors tenoient le parti des Bretons, qui faisoient guerre ès places de Marueil et Saint Hermine7, et à prendre l’eglise dudit lieu de Mervant8 ; mais il n’entra point dedans la dicte eglise ne n’y [p. 273] fist quelque mal. Et a icellui suppliant fait et commis autres grans cas et deliz, etc., etc.9, à icellui Guillaume Guerin, suppliant, avons aboly, remis, quicté et pardonné, etc. Si donnons en mandement, par ces mesmes presentes, aux seneschaulx de Poictou, Xanctonge et gouverneur de la Rochelle, et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Chinon, ou mois d’avril l’an de grace mil iiiic xlv, et de nostre regne le xxiiiie, avant Pasques.

Ainsi signé : Par le roy, vous, les sires de la Varenne10 et de Precigny11 et autres plusieurs presens. Chaligaut. — Visa. Contentor. P. Le Picart.


1 L’événement rappelé ici remonte au voyage de six mois (21 déc. 1419-8 juin 1420) que le dauphin Charles accomplit en Languedoc, où la faction bourguignonne dominait encore presque complètement, et qu’il réussit à soustraire à cette influence. La ville du Pont-Saint-Esprit était occupée alors par les Bourguignons du prince d’Orange. Dès le commencement de mars 1420, Louis de Culant et Guillaume de Meulhon, sénéchal de Beaucaire, avaient mis le siège devant la place. Charles y arriva le 2 mai. De Nîmes, il avait envoyé un de ses maîtres d’hôtel chercher à Aix la grosse bombarde de cette ville ; le 7 mai l’assaut fut donné et la garnison forcée de se rendre. (Dom Vaissète, Hist. de Languedoc, nouv. édit., Toulouse, Privat, t. IX, 1885, p. 1059 ; de Beaucourt, Hist. de Charles VII, t. I, p. 201.)

2 Ce capitaine de routiers n’est pas tout à fait un inconnu ; il a laissé dans plusieurs provinces le souvenir des ravages de ses bandes. Pendant le voyage de Tartas (juin 1442), Jean Fol quitta avec 400 hommes l’armée royale, dans laquelle il était enrôlé, pour aller se loger dans le Beaujolais, où il exerça de grandes dévastations. (Arch. nat., X2a 24, aux dates des 1er et 6 août 1448.) Deux ans plus tard, on le retrouve faisant partie de l’armée que le dauphin Louis conduisit en Suisse, et une enquête judiciaire sur les dommages et excès commis par ces troupes, dans le ressort des terres de Luxeuil et de Faucogney, nous apprend que les gens de ce routier boutèrent le feu dans la ville de Sainte-Marie, en août 1444, y brûlèrent six maisons, prirent une grande partie du bétail, rançonnèrent les habitants, etc. Le 1er novembre suivant, il adressa avec Amé de Valpergue une curieuse sommation, pleine de menaces, aux habitants de Strasbourg. (A. Tuetey, Les Écorcheurs sous Charles VII, t. I, p. 162, 184, 311, 312 ; t. II, p. 346, 349.)

3 Les Français s’étaient emparés de Cravant-sur-Yonne, vers le 24 juin 1423, mais ils furent bientôt forcés de rendre cette ville aux Bourguignons. Charles VII fit alors marcher de ce côté l’armée qui devait aller en Champagne porter secours au sr de Coëtivy. Les ennemis, de leur côté, s’avancèrent en armes ; une bataille s’engagea le 31 juillet. Les Français, commandés par le connétable d’Écosse, Jean Stuart, comte de Darnley, furent complètement battus et subirent des pertes considérables.

4 Il s’agit de Pierre Frotier, sr de Melzéard et de Mizeré en Poitau, baron de Preuilly et du Blanc, à cause de son mariage (vers 1422) avec Marguerite, fille de Gilles de Preuilly, sr de la Roche-Pozay, qui fut premier écuyer du corps de Charles VII, et maître de son écurie, puis éloigné de la cour, le 5 juillet 1425, en même temps que le président Louvet. (Voy. une notice sur ce personnage, dans notre précédent volume, p. 364, note 2.)

5 Les faits visés en cet endroit se rapportent à la période de lutte ouverte entre Georges de La Trémoïlle et le connétable de Richemont (1427-1433).

6 La suite, sauf des variantes insignifiantes, est semblable au texte des lettres précédentes données en faveur de Jean Chauvet (ci-dessus, p. 268-269).

7 Ces places appartenaient à Georges de La Trémoïlle. Mareuil-sur-Lay avait pour capitaine Louis Frontdebeuf et Sainte-Hermine était sous le commandement de Guillaume Chabot, comme on le verra quelques pages plus loin.

8 Cette affaire, dont un épisode est rappelé aussi dans des lettres de même date en faveur de Thibaut Paynnot, écuyer, publiées ci-dessous, se rapporte encore à la guerre entre La Trémoïlle et Richemont, qui désola le Poitou pendant environ six ans. Jean de la Roche, sénéchal de Poitou, instrument du favori, dont les routiers soulevaient alors les réclamations du duc de Bretagne, et Pierre Regnaud de Vignolles, frère de la Hire, avertis que la garnison de Mervent était peu nombreuse, se dirigèrent secrètement de ce côté et surprirent la place le jour de la Pentecôte (8 juin) 1432. Le capitaine de Mervent se nommait Louis Moisan. Richemont, prévenu aussitôt, réunit toutes ses forces à Vouvant. Huit jours après, Mervent était assiégée par Prégent de Coëtivy, lieutenant du connétable, et réduite à capituler. (Bibl. nat., ms. fr. 8819, fol. 1, 47 v° et 51 v° ; ms. fr. 11542, fol. 20 ; E. Cosneau, Le connétable de Richemont, p. 192.) Depuis le décès de Jean Larchevêque, la ville de Mervent, faisant partie de la succession de Parthenay, était en la possession d’Artur de Richemont. Cependant, jusqu’au jour où Charles VII lui confirma pour la seconde fois la donation de l’héritage de Jean Larchevêque, c’est-à-dire jusqu’au 9 avril 1435 n.s. (ci dessus, p. 90), il n’en jouit pas sans contestation. Nous avons dit, dans une note du précédent volume, que Jean Harpedenne, sr de Belleville, réclamait Mervent qui lui avait été donné, disait-il, par Charles VII, en payement d’une somme de 15,000 livres qu’il lui avait prêtée, et qu’après la mort de J. Larchevêque, sr de Parthenay, il continua les poursuites à ce sujet contre les héritiers de celui-ci et particulièrement contre le connétable, détenteur de cette place. (P. 187, note.) Ce procès durait encore en mai 1432, quand Richemont, en vertu du traité de Rennes, obtint un ajournement jusqu’à la S. Martin d’hiver 1433. (Arch. nat., X1a 9200, fol. 36, 42, 147 v°.) Avant l’expiration de ce délai, le connétable parvint à se débarrasser de La Trémoïlle, son mortel ennemi, rentra en grâce auprès du roi et, par les lettres du 9 avril 1435, Charles VII ordonna qu’on cessât tout procès contre Richemont et qu’on le laissât jouir paisiblement de tous ses domaines. (Ci-dessus, p. 95 et note.)

9 La suite comme aux lettres d’abolition en faveur de Jean Chauvet (ci-dessus, p. 269.)

10 Pierre de Brézé, sire de la Varenne, sénéchal de Poitou. (Voy. ci-dessus, p. 178, note 2.)

11 Louis de Beauvau, seigneur de Pressigny, grand sénéchal de Provence, premier chambellan de René d’Anjou, roi de Sicile, mort en 1462.