MCXVIII
Rémission octroyée à Etienne Lévêque, pour un meurtre accompli, à la suite d’une querelle, sur la personne de Jean Dujardin qui voulait lui interdire l’accès et le déposséder d’un bois, dont ils étaient co-propriétaires, à Saint-Georges-lès-Baillargeaux.
- B AN JJ. 177, n° 226, fol. 149 v°
- a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 29, p. 361-364
Charles, etc. Savoir faisons, etc. nous avoir receu l’umble supplicacion de Estienne Levesque, povre homme de labour, aagé d’environ trente ans, chargié de femme et de trois petiz enfans, contenant que, à cause de sa femme lui compette et appartient la quarte partie d’une piece de bois situé et assis en la terre du prevost de Saint George, et à ung nommé Jehan Badaaon, frere de sa dicte femme, une autre quarte partie. Ce non obstant, puis nagueres, il a entendu que ung nommé Jacques Lejay, demourant audit lieu de Saint George, jasoit ce qu’il n’eust en icellui bois que la moictié, avoit icellui tout vendu à ung nommé Jehan Dujardin, et que icellui Dujardin l’avoit entierement fait coupper et avoit entencion de le faire mener en son hostel. A ung jour de mardi xviime jour de ce present mois de may, et pour pourveoir à ce, veans que en ce faisant on leur faisoit tort, et que lui et le frere de sa dicte femme pourroient perdre la part de leur dit bois et le bon droit qu’ilz y pretendoient avoir, avecques ce qu’ilz seroient desappoinctez de leur possession, s’il le souffroyent, conclurrent et proposerent entre eulx de aler audit jour de mardi, avec leurs beufz et charettes audit bois, pour en [p. 362] avoir leur part. Et de fait, pour entretenir leur dicte possession, en alerent querir et en admenerent deux charrettées, et pour en avoir plus largement y alerent à tout deux charettes de rechief, et en leur compaignie ung nommé Denis Espiart, avec ung jeune enfant, aagé de xiiii. à xv. ans. Lesquelz trouverent ledit Dujardin à l’entrée dudit bois, qui leur demanda où ilz aloient. A quoy ilz respondirent que la moictié dudit bois leur appartenoit, c’est assavoir audit suppliant et audit Badaon, frere de sa dicte femme, à chascun d’eulx une quarte partie, et que ilz le vouloient emmener en leurs maisons. Lors icellui Dujardin leur dist qu’ilz n’entreroient point audit bois, et de fait se efforça de perturber et empeschier les beufz attelez ausdictes charettes de y entrer, d’une coignée qu’il tenoit en sa main ; mais non obstant lequel empeschement, ledit suppliant et autres dessus diz toucherent leurs diz beufs et entrerent en icellui bois. Laquelle chose veant, ledit Dujardin, saichant que certain nombre de bouviers et charretiers venoient pour mener pour lui ledit bois, tira au devant d’eulx et dist à l’un d’eulx qu’il alast querir des sergens dudit lieu de Saint George, pour empeschier iceulx suppliant, ledit frere de sa dicte femme et autres dessus diz, afin qu’ilz n’emmenassent d’icellui bois. Et ce fait, retourna audit bois, une coignée en sa main, et trouva que iceulx suppliant, ledit frere de sa dicte femme et autres dessus diz chargoient d’icellui bois en l’une de leurs charrettes, dedans laquelle estoit ledit Denis Lespiat (sic), et au bas estoient iceulx suppliant et Badaon. Et afin qu’ilz n’emmenassent point, quant les perches dudit bois estoient en ladicte charette, icellui Dujardin les tiroit à terre le plus qu’il povoit, et de fait les y eust toutes mises, se ne feust ce que le dit Espiart les contretenoit à l’encontre de lui. Et qui plus est, pour ce que ledit Dujardin ne povoit gecter à terre tout ledit bois estant desjà chargié en ladicte charrette, vint ou lieu où estoient iceulx suppliant et Badaon, qui prenoient les dictes perches de bois, l’un [p. 363] par ung bot, l’autre par ung autre, pour les chargier, et se mettoit au travers ou milieu le ventre dessoubz, afin qu’ilz ne meisssent les dictes perches en ladicte charrette, et telement se y tenoit que iceulx suppliant et Badaon l’enlevoient bien hault, et tousjours cryoit tant qu’il povoit à haulte voix : « Au meurdre ! » jassoit ce qu’ilz ne le touchassent. Pour lequel empeschement que faisoit le dit Dujardin aux dessus diz, ilz delaisserent à chargier la dicte charrette, pour en chargier une autre qui n’estoit pas loing d’ilec, où ilz mirent des dictes perches ; et pendant ce qu’ilz les y mettoient, icellui Dujardin, veant qu’ilz avoient laissé à chargier la premiere charrette, monta dedans icelle et en getta jus une partie des perches et bois qui y estoient, et après ce en descendit et s’advisa qu’il y avoit ung instrument nommé crochere1, sans lequel les beufz estans à ladicte charrette ne pourroient charroier, lequel il print et icellui mist sus une piece de bois, et se mist d’un genoil à terre pour la copper de sa coignée, qu’il tenoit en sa main. Laquelle chose veant, le dit suppliant, indigné et courroucié de l’empeschement que leur faisoit ledit Dujardin sans cause, afin qu’il ne coppast ladicte crochere, se approcha hastivement près de lui, sans avoir voulenté de lui mal faire, et en y venant, trouva ung baston en son chemin, lequel il print et en cuida bailler par les espaules audit Dujardin, qui coppoit ladicte crochere ; mais icellui Dujardin se baissa pour fouyr ledit cop et fut actaint parmy la teste d’un coup seulement, par le moyen duquel il ala, la nuit ensuivant, de vie à trespassement. A l’occasion duquel cas, icellui suppliant, lequel est chargié, comme dit est, de femme et de trois petis enfans, et a esté et est tout son temps homme paisible, de bonne vie, renommée et honneste conversacion, sans oncques avoir [p. 364] esté actaint ne convaincu d’aucun autre villain cas, blasme ou reprouche, ne avoir esté rioteux ou noiseux à personne quelconque, mais vivant bien et doulcement de son labour, n’oseroit jamais bonnement ne seurement demourer ne converser ou païs, ainçoiz l’en convendra piteusement aler mendier sa vie, et aussi à ses dicte femme et enfans, se noz grace et misericorde ne lui estoient sur ce imparties, si comme il dit, humblement requerant icelles. Pour ce est il que nous, voulans en ceste partie misericorde estre preferée à rigueur de justice, audit suppliant avons oudit cas quicté, remis et pardonné, etc. Si donnons en mandement par ces mesmes presentes aux seneschaulx de Poictou et de Xanctonge, et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Chinon, ou mois de may l’an de grace mil cccc. xlvi, et de nostre regne le xxiiiime.
Ainsi signé : Par le roy, à la relacion de conseil. Rippe. — Visa. Contentor. E. Duban.