MLXV
Rémission accordée à Regnaut Nepveu, de la Garnache. Ayant fait ouvrir les portes de la place à Alain Rondeau, cousin de sa femme, et à un nommé Jean de Surville, originaire d’Allemagne, tous deux hommes d’armes de la compagnie du sr de Bricqueville, logés aux faubourgs de la Garnache, et ceux-ci ayant enlevé le fils d’un riche marchand allemand, élevé en l’hôtel de l’abbé de l’Isle-Chauvet, pour apprendre le français, ledit Nepveu, rendu responsable de ce fait, courut après les ravisseurs et leur reprit l’enfant, après avoir frappé à mort ledit de Surville d’un coup de javeline.
- B AN JJ. 176, n° 213, fol. 158 v°
- a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 7 p. 177-185
Charles, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receu l’umble [p. 178] supplicacion de Regnault Nepveu, contenant que, environ le jeudi xxvime jour de fevrier derrenier passé, Regnault de Dresnay1, chevalier, soy portant lieutenant de nostre amé et feal conseiller et chambellan, le sire de la Varenne, nostre seneschal de Poictou2, acompaigné de certain grant nombre de gens d’armes et de trait jusques au nombre de iiM. chevaulx [p. 179] ou environ, logea avec sa dicte compaignie à Beauvoir sur mer, en nostre païs de Poictou ; lequel jour, [p. 180] Rogier de Briqueville3, chevalier, acompaigné jusques au nombre de douze compaignons, logea semblablement à l’abbaye de l’Ysle Chauvet en la chastellenie de la Ganache, près dudit lieu de Beauvoir de deux lieues ou environ. Esquelz lieux de Beauvoir et l’Isle Chauvet les diz de Drenezay (sic) et Briqueville, avec leurs gens, demourerent jusques au mercredi ensuivant ; lequel jour de mardi (sic), ilz deslogerent et alerent loger au lieu de Coix en la chastellenie d’Apremont. Et après que ledit de Drenezay et Briqueville, mesmement ledit de Briqueville, firent desloger ung nommé Alain Rondeau, et avec lui ung nommé Jehan de Surville, natif du païs d’Alemaigne, de la compaignie dudit Briqueville, s’en alerent au lieu de la Gasnache, qui est près de la dicte abbaye de l’Isle Chauvet demye lieue ou environ, et logerent leurs chevaulx ès fauxbours du dit lieu de la Ganache, et après qu’ilz eurent logé leurs diz chevaulx, ilz alerent incontinant à la porte de la dicte ville de la Ganache, à la quelle porte estoient le dit Regnault Nepveu, suppliant, mary de la cousine germaine dudit Alain Rondeau, et autres en sa compaignie, qui gardoient la porte de la dicte ville et lieu de la Ganache. Lequel Alain Rondeau dist audit Nepveu qu’il ouvrist ou fist ouvrir la dicte porte à lui et à son compaignon, disant qu’il voulloit aler veoir la femme dudit Nepveu et aussi Ysabeau Rondelle, mere de la femme dudit Regnault. Au quel Alain le dit Regnault Nepveu respondit que, attendu qu’ilz [p. 181] venoient de la compaignie des gens d’armes et qu’il y en avoit plusieurs logez ausdiz faux bours, qu’ilz ne l’oseroient laisser entrer sans congié, mais lui dist qu’il attendist ung pou et qu’il yroit demander congié pour faire ouvrir la dicte porte à lui et à son dit compaignon. Et tantost se parti d’illec le dit Regnault et ala demander congié à Alain Boylesve, qui pour lors avoit la garde et gouvernement de la dicte place de la Ganache pour Edouart Boylesve4, son frere, cappitaine dudit lieu. Et dist audit Boylesve le dit Nepveu, qui ne se pensoit à aucun mal, mais seulement que à faire audit Rondeau plaisir, que les diz Rondeau et son dit compaignon estoient à la porte, et lui pria qu’il lui pleust donner congié audit Rondeau et à son dit compaignon d’entrer dedens la dicte place et leur faire ouvrir la dicte porte. Lequel Alain Boylesve respondi et dist ces motz ou semblables : « Regnault, je me rapporte bien à vous de les mettre seans, mais croiez que s’ilz ne font chose qui ne soit bonne, que vous en respondrés ». A quoy le dit Regnault respondit qu’il en estoit content ; et après la dicte response et parolles, le dit Regnault retourna à la porte, laquelle il ouvry audit Alain Rondeau et Surville, son compaignon, lesquelz entrerent dedens la dicte forteresse, et les mena le dit Regnault Nepveu à sa maison, en la quelle il les fist boire et manger, et leur fist très bonne chiere ; et beurent et mangerent les diz Rondeau et Seurville en plusieurs autres lieux, tant en l’ostel de l’abbé [p. 182] de l’Isle Chauvet5 que aillieurs ; [lequel abbé] leur donna à boire de son vin et lui habandonna largement de ses biens, et leur donna de l’avoinne pour leurs chevaulx. Aussi leur en avoit donné ledit Regnault. Lequel abbé avoit en son hostel, audit lieu de la Ganasche, ung enfant natif d’Alemaigne que on lui avoit baillé pour son serviteur et aussi afin que le dit enfant, qui estoit filz d’un riche marchant dudit païs d’Alemaigne, aprint à parler le langaige françoys. Pendant lequel temps que les diz Rondeau et Surville estoient audit lieu de la Ganasche, le dit Seurville, compaignon dudit Alain Rondeau, qui estoit d’Alemaigne, comme dit est, parla audit enfant et tant fist qu’il le induist, et promist audit Seurville soy en aler avecques lui en la guerre. Et le dit jour de mardi, environ souleil couchant le dit enfant yssy de la dicte ville de la Ganasche et s’en ala ès diz faux bours, en la maison en laquelle estoient les chevaulx des diz Alain Rondeau et Surville, pour soy en aler avecques eulx. Laquelle chose venue à la congnoissance dudit abbé, qu’ilz emmenoient le dit enfant à la guerre, le dit abbé qui estoit obligé le rendre à ses parens et amis, sur peine de certaine grosse somme d’or, fut très grandement doulant et courroucié. Incontinent se transporterent par devers le dit Allain Boylesve, qui avoit le dit gouvernement de la dicte place et forteresse de la Ganasche, en soy complaignant, et lui dist que Alain Rondeau et son compaignon, qu’il avoit mis en la dicte place, emmenoient son petit alement, et qu’il estoit obligé à le rendre à ses parens et amis, [p. 183] et le pria que, s’il se povoit faire, il le lui fist recouvrer. Après lesquelles parolles et complainte dudit abbé, le dit Alain Boylesve dist audit Regnoust Nepveu qu’il avoit fait entrer en la dicte forteresse, à sa requeste, son cousin Alain Rondeau et l’autre qui estoit avec lui, et qu’il lui avoit dit que, s’ilz faisoient aucune chose de mal, qu’il le repareroit, et qu’ilz emmenoient le petit alement de l’abbé de l’Isle Chauvet, qui est filz d’un riche marchant, et estoit le dit abbé obligé de le rendre à ses amis, et que tout ce mal est [venu] par le dit Regnault, suppliant, et qu’il advisast quel remede il y pourroit mettre. Lequel Regnault, suppliant, soy voyant ainsi chargé et que par bonne amour il avoit fait entrer les dessus diz en la dicte ville, et fut de ce très grandement desplaisant et dolent, parce que on lui donnoit charge d’avoir esté cause de ce que les diz Rondeau et Surville emmenoient le dit enfant, par l’entrée que à iceulx Rondeau et de Surville avoit fait en la ville et forteresse de la Ganasche, et à la requeste dudit Regnault, suppliant ; lequel courroucié ainsi fort et tout esmeu de desplaisir et courroux, monta à cheval, avec lui ungautre nommé Conan de Vielchasteau6 pour recouvrer le dit enfant, et chevaucherent fort et redement, et tant firent que, environ jour faillant ou plus nuit, ilz aconceurent les diz Alain Rondeau et Jehan Seurville, son compaignon, et le dit enfant avecques eulx, bien à deux lieues loing dudit lieu de la Ganasche. Et ainsi que le dit Regnault, qui chevauchoit le premier devant le dit Veilchasteau, vint sur les diz Alain Rondeau et [p. 184] Jehan Surville, se adressa audit Surville qui estoit celui qui avoit induit le dit enfant, et frappa le dit Surville d’une javeline par l’espaule senestre, non cuidant le blecier à mort, et print le dit enfant. Après lequel cop ainsi frappé, le dit Regnault et Conan s’en retournerent et emmenerent audit lieu de la Ganasche le dit enfant avecques eulx, et les diz Rondeau et Surville alerent autre part, et se rendirent à coucher à l’ostel de la Rondeliere, qui est bien à ung quart de lieue loing du lieu où fut frappé le dit cop, et demoura le dit Surville malade, tant audit lieu de la Rondeliere que à la Bademouriere par certains jours. A l’occasion du quel cop, environ le viime jour après, le dit Surville, par deffault de gouvernement ou autrement, ala de vye à trespassement. A l’occasion duquel cas, le dit Regnault, doubtant pugnicion et rigueur de justice, n’ose bonnement converser ne demourer seurement au païs, et est en voye de soy absenter d’icellui, se nostre grace et misericorde ne lui estoient sur ce imparties, humblement requerant que, attendu qu’il est homme de bon fasme, renommée et honneste conversacion, non actaint ou convaincu d’aucun villain cas, blasme ou reprouche, que ledit suppliant avoit esté cause et occasion de faire les diz Rondeau et Surville entrer en la dicte [ville], et que pour la charge que lui donna le lieutenant dudit lieu de la Ganasche d’avoir esté cause dont le dit enfant alement avoit esté emblé audit abbé, il fut esmeu et desplaisant pour ce que, soubz umbre de bonne foy et de cuider faire plaisir audit Rondeau, et cuidoit que le dit Rondeau feust venu en la dicte ville de la Ganasche pour veoir la femme dudit suppliant et autres ses parens et amis, qu’il ne cuidoit pas tuer le dit Surville et frappa le dit cop de la javeline de chaude colle et de plain bont qu’il fut arrivé sur les diz Surville et Rondeau, que les premiers mouvemens ne sont pas en la puissance de l’omme, il nous plaise sur ce lui impartir icelles. Pour quoy nous, attendu ce que [p. 185] dit est, etc., audit suppliant avons remis, quicté et pardonné, etc. Si donnons en mandement par ces presentes aux seneschaux de Poictou et de Xaintonge, gouverneur de la Rochelle et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Tours, ou moys de may l’an de grace mil cccc. quarante et quatre, et de nostre regne le xxiime.
Ainsi signé : Par le conseil. P. Pichon. — Visa. Contentor. P. Le Picart.