[p. 339]

MCXII

Lettres d’abolition accordées à Jean du Puy-Aurabier. Servant sous Jean de Montsorbier, il avait été détroussé par les gens de Jean de La Roche, et n’ayant pu obtenir de son capitaine la restitution de ce qu’il avait perdu, il s’était mis sous les ordres de Denis de Saint-Savin, qui occupait alors l’abbaye de la Réau, et avait, entre autres excès, rançonné plusieurs habitants de Vaux.

  • B AN JJ. 178, n° 24, fol. 16 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 29, p. 339-343
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons, etc., nous avoir receu l’umble supplicacion de nostre amé Jehan du Puy Aurabier1, contenant que, dès son jeune aage et qu’il s’est peu armer, il a suivy les guerres, ès quelles il nous a tousjours servi et tenu nostre parti, sans jamais varier ne fait guerre à l’encontre de nous. Et pour ce que, durant le temps qu’il a suivy lesdictes guerres, il a raençonné, pillé, robé et destroussé plusieurs noz subgiez et autres de tous estaz et fait plusieurs maulx, comme ont acoustumé faire gens de guerre ; et aussi que longtemps a, pour estre compensé [p. 340] et restitué de certaine destrousse que firent jà pieça sur lui les gens de feu Jehan de la Roche, en alant avec Jehan de Montsorbier2, lequel avant qu’il le peust mener [p. 341] avec lui, lui promist de lui restituer et rendre tout ce qu’il perdroit, lui estant en sa compaignie, dont, après ladicte destrousse faicte, ledit de Montsorbier fut reffusant, sur ce plusieurs foiz sommé et requis par ledit suppliant ; lequel, pour trouver maniere d’estre recompensé sur ledit de Montsorbier de sa dicte destrousse, s’en ala avec aucuns des gens de guerre de la charge de nostre amé et feal Denis de Saint Savin, chevalier3, lors estant en l’abbaye de la [p. 342] Reau ; et lui estant audit lieu, aucuns des diz gens de guerre alerent courir au lieu de Vaulx, avecques lesquelz ledit suppliant s’en ala. Et quant ilz furent audit lieu de Vaulx, les diz gens de guerre prindrent les bonnes gens d’icellui lieu, tant dedans l’eglise que dehors, par faulte de paiement d’appatiz, comme ilz disoient. Depuis laquelle prinse ainsi faicte, lesdiz gens de guerre sont tous ou la pluspart alez de vie à trespassement. Par quoy ledit suppliant doubte que les dictes bonnes gens dudit lieu de Vaulx, qui lors furent prins ou autres lui vueillent aucune chose demander, combien qu’il n’y eust lors ne depuis part ne butin, et aussi qu’on vueille à la dicte cause proceder contre lui rigoureusement, se nostre grace et misericorde ne lui estoit sur ce impartie, humblement requerant icelle. Pour quoy nous, ces choses considerées, mesmement les diz services à nous faiz par le dit suppliant, voulans, en recongnoissance d’iceulx, favorablement incliner à sa requeste et preferer misericorde à rigueur de justice, aussi qu’il ne savoit riens que les diz gens deussent aler audit lieu de Vaulx prendre les dictes bonnes gens, ne n’y a eu part ne butin, à icellui suppliant avons quicté, remis, pardonné et aboly, etc. les faiz, cas et crimes devant diz et quelzconques [p. 343] autres par lui commis, durant le temps qu’il a suivy lesdictes guerres, jasoit ce qu’ilz ne soient en ces presentes exprimez, etc., excepté toutesvoyes cas de meurdre commis d’aguet apensé, boutemens de feux, ravissement de femmes et de filles et crime de sacrilege, autre que le cas dessus declairé, etc. Si donnons en mandemant, par ces dictes presentes, à noz amez et feaulx conseillers les gens de nostre Parlement, au seneschal de Poictou et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Chinon, ou mois d’avril l’an de grace mil cccc. xlvi, et de nostre regne le xxiiiie, après Pasques.

Ainsi signé : Par le roy en son conseil. Rolant. — Visa. Contentor. E. Duban.


1 Le Puy-au-Rabier ou le Puy-Rabier était un ancien fief relevant de la châtellenie de Bernay, qui appartenait avant le xve siècle au chapitre de Saint-Hilaire de Poitiers. Les renseignements sur la famille à laquelle il a donné son nom font défaut.

2 Jean de Montsorbier figure en qualité d’huissier d’armes du dauphin Charles, comte de Poitou et régent, sur un registre de comptes de ce prince de l’année 1420. (Arch. nat., KK. 53, fol. 5-7.) Il était fils, ce semble, d’autre Jean de Montsorbier, écuyer, et de Marie de Fontenioux. Celui-ci rendit aveu à Jean duc de Berry, le 5 juillet 1404, de l’hébergement d’« Orilheau » (Orillac) au village de Brion, mouvant de Gençay, qui appartenait à sa femme. (Id., R1* 2171, p. 560.) Jean de Montsorbier le jeune, qualifié alors valet, est inscrit sur les livres des hommages dus au dauphin comte de Poitou, en août 1418, pour ce même fief d’Orillac, pour un cens de 12 deniers que lui devait Pierre Blanchart, et aussi pour son fief dit de Jousserant, sur la route de Mazerolles à l’Orme-Jousserant. (Id., P. 1144, fol. 29 v°, 30 v°.) Philippe de Montsorbier, alors veuve d’Huguet du Chillou et tutrice de ses trois filles mineures, Jeanne, Marguerite et Huguette, rendit aveu, le 10 octobre 1418, au comte de Poitou, des deux hébergements dudit lieu du Chaillou, mouvant de Lusignan ; et deux autres aveux des mêmes fiefs, l’un du 3 août 1423, l’autre du 18 octobre 1447, sont transcrits sous les noms de Jeanne du Chillou et de Jean Caunys, écuyer, son mari. (P. 1145, fol. 68, 70 et 71.)

Le lieu de Montsorbier qui donna son nom à cette famille, connue dès le xiie siècle, était un ancien fief relevant de Gençay. Un Guillemot de Montsorbier, frère ou cousin de Jean dont il est question dans ces lettres, livra, un peu avant le mois de mars 1429 n.s., au comte de Richemont ou aida celui-ci à prendre le château de Gençay, qui appartenait à Georges de La Trémoïlle. Mandé près du roi à Poitiers au sujet de cette affaire, et craignant à justre titre pour sa sûreté, il ne consentit à s’y rendre que quand on eut remis entre ses mains Simon Mouraut, échevin, et deux autres bourgeois de Poitiers, comme otages. Guillemot les fit enfermer dans la prison du château et exigea, avant de les remettre en liberté, une forte rançon. Sur le refus de Mouraut, il le fit mener prisonnier de Gençay à Parthenay (juin 1429), et finalement celui-ci dut payer 300 réaux d’or à Montsorbier et 1500 à d’autres. Une fois libéré, il porta plainte au Parlement. Guillemot ne se laissa pas prendre et se garda bien de venir aux ajournements. Après avoir obtenu quatre défauts contre son adversaire, Mouraut le fit condamner par contumace à lui restituer les sommes extorquées, à 500 réaux de dommages et intérêts, et à une amende de 500 réaux envers le roi, à tenir prison fermée jusqu’au complet payement, etc. (Arrêt du 30 janvier 1434 n.s., prononcé le 13 février suivant, X2a 20, fol. 66 v° ; X2a 21, au 30 janvier. Voy. aussi Arch. de la ville de Poitiers, J. 849.) Dans l’intervalle, avait été arrêté à Poitiers un nommé me Thomas Pelet, qui confessa qu’un jour, à Gençay, Montsorbier lui avait demandé s’il ne lui « sauroit faire chose moyennant laquelle il ne fut en doubte d’homme ». Pour lui donner satisfaction, Thomas, de retour à Poitiers, avait fabriqué « un veu de plomb en certain point des planetes (sic) ». A ce vœu, il y avait deux trous, l’un à l’endroit du cou, l’autre à l’endroit du ventre ; à l’intérieur, il avait placé un écriteau en parchemin vierge, sur lequel étaient inscrits les noms du roi, de plusieurs princes du sang et « d’aucuns du conseil ». Il l’avait fait baptiser à Saint-Porchaire et l’avait ensuite porté à Montsorbier. La connaissance de ce crime appartenait à l’évêque de Poitiers. La cour remontra à celui-ci la « grandeur du cas » et l’invita à faire son devoir. L’évêque envoya à Parthenay demander à Richemont de lui livrer le coupable. Le connétable protesta de sa soumission aux lois de l’Église, mais fit observer que Guillemot de Montsorbier avait des ennemis à Poitiers et qu’il serait préférable qu’on le mit en jugement à Parthenay même ; puis, le promoteur de l’évêque insistant, il proposa Thouars. Les négociations ne purent aboutir. Le procureur général, estimant que Hugues de Combarel, évêque de Poitiers, n’avait point fait tout ce qu’il devait, le mit en cause, ainsi que Pierre, abbé de Saint-Maixent, son vicaire, Jean de la Marche, son official, Jean Menguy et Pierre Ferrandeau, ses promoteurs. Cette curieuse affaire fut plaidée au Parlement le 11 mai 1430. (X1a 9199, fol. 273 v°.) Montsorbier, cependant, sut rester hors d’atteinte ; même, lorsque le connétable fut rentré en grâce auprès de Charles VII, il obtint sa rémission pure et simple, comme on le voit par cet extrait des registres du conseil du Parlement de Poitiers : « Du jeudi 4 fevrier 1434 n.s. Deliberé et conclut a esté par la court que, pour le bien et transquillité du païs de Poictou et de la chose publique du royaume, est expedient obtemperer aux lettres de remission et abolicion données par le roy à Guillemot, estant de present au chastel de Chauvigny, et à ceulx qui sont avec lui, et que s’il vient cy en personne, pour faire le serement dont ès dictes lettres est faicte mencion, la court y obtemperera. » (X2a 21, à la date.)

3 Bien qu’il ne soit pas nommé sur le petit tableau généalogique des seigneurs de la Tour-aux-Cognons de la famille de Saint-Savin, de 1325 à 1538, dressé par M. le baron d’Huart (Persac et la châtellenie de Calais, études hist. sur la Marche de Poitou, Mémoires de la Société des Antiquaire de l’Ouest, t. X de la 2e série, 1887, p. 434), Denis appartenait indubitablement à cette branche. Il paraît être le fils aîné de Pierre, écuyer, sr de la Tour-aux-Cognons (1380-1406) ; mais on ne saurait dire quels liens de parenté l’unissaient aux membres de cette famille nommés ci-dessus, p. 298, et à ceux dont il va être question dans la présente note.

Le 16 janvier 1422 n.s., Denis de Saint-Savin, alors écuyer, était prisonnier à la Conciergerie du Palais de Poitiers. La cour avait confié à la garde de Guillaume Taveau, chevalier, sr de Mortemer et de Lussac, et de sa femme, une demoiselle nommée Jeannette de Faugère, en attendant l’issue d’un procès pendant à cause du bail et tutelle de celle-ci. Denis, qui la voulait épouser, n’avait pas hésité à l’enlever des mains de ceux qui avaient charge de la protéger contre ses entreprises, condamnées par une partie de la famille. Jeanne était d’ailleurs consentante et le mariage fut célébré aussitôt. Les jeunes époux furent poursuivis à la requête du procureur général, ainsi que « Madame Bienvenue Orlue », Jean de Saint-Savin et Jeanne Palardy, mère de ladite Jeanne de Faugère et veuve de Gilles de Saint-Savin (sans doute son second mari). Le 17 janvier, Denis obtint son élargissement parmi la ville de Poitiers, en attendant l’enquête, et promit de se présenter en personne à toute réquisition, sous peine de 1000 écus d’or. La cour accorda aussi la récréance des biens saisis, interdit l’aliénation des immeubles et décida que les garnisaires qui avaient été mis en « l’ostel de la Tour aux Connioux » en seraient retirés, après payement par les inculpés de leurs dépenses et salaires, et à condition que tous les défendeurs se constitueraient pleiges l’un pour l’autre. Les 18 et 19 janvier, les cinq inculpés firent les soumissions requises. (Arch. nat., X1a 9197, fol. 19 v° et 20.)