École des chartes » ELEC » Correspondance active des duc d'Angoulême, comte de Béthune et abbé de Préaux avec l'autorité royale » Année 1621 » De Préaux à Puisieux

De Préaux à Puisieux

. — Hainburg

Rapport de son voyage en Hongrie auprès de Bethlen
1. Demande de Košice en échange de sa renonciation au titre de roi et au royaume de Hongrie. 2. Menace de recourir aux armes si l'empereur rejette sa propostion. 3. Rappel de l'avancée des Turcs pour inciter à la paix. 4. Conditions de paix proposées à l'empereur par l'assemblée des princes unis à Heilbronn.

Copie XVIIesiècle
  • l-69-B . BnF, Dupuy 205: fol. 232v-233v.

Monsieur

[1.] Je ne vous escrivis point par le dernier ordinaire car j'estois en Hongrie aupres de Bethleem Gabor où j'ai demeuré l'espace de sept jours pour donner quelque acheminement ou plustost tascher de terminer ce traitté qui nous amuse si longuement à Haimbourg. Je trouve que toutes les intentions de ce prince tendent à la paix mais il se veoit mesprisé de l'empereur, ce qui le fait roidir en ses demandes et s'attacher à d'adventage qu'il ne feroit point. Toutesfois son principal but vise à ce point qu'on lui accorde Cassovie durant sa vie soubs cette condition neantmoins qu'il ne la tiendra qu'à titre de fief et hommage de l'empereur, que cela lui estant accordé avec ce qui despend dudit Cassovie qui est dix comtez en tout qui peuvent valoir de revenu soixante et quinze mil livres; qu'il se despouillera et du titre de roy de Hongrie et des pretentions du royaume; que ce qu'il demande est juste par toute sorte de raison, attendu que Cassovie estant proche de sa Transilvanie il y tiendra sa court et que les rois d'Hongrie de la maison d'Austriche n'ont jamais accoustumé d'y resider, Vienne ou Prague estant le lieu de la residence des empereurs à qui ce royaume a accoustumé d'estre affecté.

[2.] Il dit qu'il a assez de forces pour se maintenir dans la Hongrie aiant vint deux mil Hongrois et trente mil Tartares et autant de Turcs qu'il peut mettre à la campagne quant il voudra; qu'on doibt considerer que Ferdinand empereur aiant manqué aux conditions que l'empereur Mathias estoit obligé de tenir aux Hongrois, il leur a esté libre puisqu'ils ont leur election libre de choisir un roy, attendu que le royaume d'Hongrie fait les rois et non les rois le royaume; que l'accomodement de cet affaire deppend le repos commun de toute la chrestienté; que comme prince chrestien il fera veoir à tout le monde qu'il n'a veine1 qui soit portée à mettre le feu et le sang parmi les chrestiens, qu'il taschera plustost de l'estreindre y estant obligé par l'interest de sa conscience mais que toutesfois les raisons d'estat estans souvent plus fortes sur nos ames que celles de la foy, il songera aux moiens de se conserver si l'on le porte aux extremitez, si l'on lui refuse les conditions ci dessus particularisée scriptum est in coelis quod non erit pax in terris, humiliavi animam meam usque ad terram coram imperatore cum maxime dedecore meo; putat me esse ita deformatum (il m'a usé du mesme mot) ut non possim resistere viribus suis, videbit brevi, nisi pax fiat, progressum armorum meorum faciat pacem vel ardebit tota christianitas2.

[3.] Voilà ses parolles à quoi lui aiant reparti ce que je debvois, il m'a fait de nouveau paroistre qu'on devoit bien prendre garde à la consequence de la paix d'Hongrie car la Hongrie servant comme de barriere et de boulevard à la chrestienté contre l'ennemi commun, il est tres certain par le sens commun qu'on doibt oster à ces gens ici le sujet d'appeler les Turcs et les Tartares qui sont sur les frontieres n'attendans que de se jetter dans le pais des chrestiens aux premieres occasions. Il est d'ailleurs assez et trop assuré que le Turc marche en personne sur le 3me d'avril avec une armée de deux cens cinquante mille Turcs et cent cinquante mille Tartares contre les Polonois. Si de ces deux armées unies il emprunte soixante mille hommes, dit Bethleem Gabor, leurs forces ne seront pas plus foibles et les joignant à mon armée de 22 mil hommes qui me fera du mal, dit Bethleem, qu'on face donc la paix avec moi, dit-il, et puis apres on verra que j'ai assez de pouvoir pour faire tomber les armes au Turc et le porter à donner la paix aux chrestiens.

[4.] Pour ce qui est de l'Allemagne les princes de l'Union qui sont maintenant assemblez à Heilbrun ont escrit depuis huict jours à monsieur le duc d'Angoulesme offrans de la part du prince palatin qu'il renoncera à la pretention de la couronne de Boheme et des estats qui en dependent à condition qu'on ne procede point contre lui ni contre le prince d'Anhalt et les autres princes de leur ligue à l'execution du ban de l'Empire auquel ils ont esté proscrits3 et que ledit Palatin soit remis dans la jouissance de tous ses biens patrimoniaux qui sont pour la pluspart occupez par Spinola. Cet affaire est d'estat et regarde l'interest des princes voisins; tant y a que l'empereur donne sauf conduit aux ambassadeurs desdits princes de l'Union.

[Preaux]


1 Veine: il faut le comprendre ici dans un sens moral, comme synonyme de désir.
2 Préaux n'a pas jugé utile de traduire le discours de Bethlen, nous le faisons ici: "on écrit dans le ciel que la paix ne sera pas sur terre, j'abaissais mon âme jusqu'à terre devant l'empereur de ma manière la plus indigne; il pense que je suis ainsi dégradé (il m'a usé du mesme mot) pour que je ne puisse pas opposer de la résistance à ses assauts, il verra en peu de temps, si la paix n'est pas faite, que le progrès de mes armes fera la paix ou toute la chrétienté sera en feu".
3 On peut trouver un exemplaire original imprimé (avec son sceau) de ce ban impérial prononcé contre le marquis de Jägerndorf, le prince d'Anhalt et le comte de Holac pour avoir favorisé le parti de Bethlen au folio 32 du manuscrit français 15931 (BnF).