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CCCCLXXVI

Don à Jean Andrieu, réfugié à Mirebeau pour échapper à la domination anglaise, d'une maison confisquée sur un Anglais, nommé Gautier Spridlington, sise dans la châtellenie de Mirebeau.

  • B AN JJ. 100, n° 265, fol. 76 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 19, p. 4-7
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, que à la supplicacion de Johan Andrieu, clerc, contenant, entre les autres choses, que pluseurs terres, biens et possessions, les quelles de son heritaige ancien il avoit en la duchié de Guyenne, qui povoient bien valoir par an dix livres de rente ou environ, le prince d'Acquitainne li a osté et les donne à autres ses subgiez et demourans en son obeissance, ou les detient à son profit, pour ce que le dit suppliant a delaissié le païs de Guyenne et est lui, sa femme et ses enfans demourans en la ville de Mirebeau, ou païs d'Anjou, soubz nostre obeissance et a mieux volu delaissier du tout ses diz biens que demourer en obeissance ou povoir du dit prince, et que aussi il a souffert et soustenu grans dommages et pertes par les genz des Compaignies qui furent l'année passée, par cinq mois ou environ, sur le pays de Faye et de Mirebeau1, ou quel lieu le dit Johan est demourant, comme dit est. Nous, pour et en recompensacion des choses dessus dites, une maison [p. 5] et ses appartenances, appellée la Corgre2, la quelle Gautier Spridligton3, anglois et tenant le parti de Edoart d'Angleterre et du dit prince, son filz, et demourant soubz leur juridicion et destroit, courant et robant en armes jour et nuyt pluseurs parties de nostre royaume, a et tient ad present en la chastellerie du dit lieu de Mirebeau ; et la [p. 6] quelle maison et appartenances furent jadiz des predecesseurs de la femme du dit Jehan, et tant par le droit que le pere d'icelle femme avoit en la dite maison et appartenances, que par droite succession d'autres ses parens, feust advenue à ycelle femme, se ne feussent aucuns empeschemens et la puissance d'aucuns des officiers de noz predecesseurs, [p. 7] qui de leur volenté et senz cause raisonnable les en debouterent et mistrent hors, si comme il dit, à ycellui Jehan, comme à nous confisquée, ou cas dessus dit, de nostre auctorité royal, certaine science et grace especial, avons donné et octroyé, et par ces presentes donnons et octroyons, à tenir et possider par lui, ses hoirs et successeurs perpetuelment et paisiblement, jusques à la valeur et extimacion de ce qui, comme dit est, li a esté osté et occupé par le dit prince en la dite duchié, parmi ce que, se la dite maison et appartenances valoient plus, la miex vaillance et seurplus tornera et venrra à nostre profit. Et aussi, ou cas que le dit Jehan recouverroit ses biens ainssi empeschiez en la dite duchié, ou le dit Gautier, par revenir à nostre obeissance, ou par autre grace de nous, retornoit à la dite maison et appartenances, ceste presente recompensacion sera de nulle valeur, et nous ne noz successeurs ne serons tenuz de en recompenser aucune chose au dit Jehan ne à ses hoirs, ou temps avenir. Si donnons en mandement, par la teneur de ces presentes, aus seneschaulx deTouraine, d'Anjou et du Maine, et à touz noz autres justiciers, ou à leurs lieux tenans, et à chascun d'eulz, si comme à lui appartendra, en commettant aus diz seneschaulx que le dit Jehan mettent ou facent mettre en possession et saisine des dites choses, et d'icelles choses le facent, ses hoirs et successeurs, joir et user paisiblement et perpetuelment, selon la teneur de ces presentes, sanz l'empeschier ou souffrir estre empeschié en aucune maniere au contraire. Et que ce soit ferme, etc. Sauf, etc. Donné en nostre hostel lez l'eglise de Saint-Pol de Paris, l'an de grace mil ccc.lxix, et de nostre regne le vie, le xxiiie jour du mois de novembre.

Par le roy en ses requestes. Hugo. Visa. Erkeri.


1 Il a été question des courses des grandes Compagnies dans ces parages et de la prise de Faye-la-Vineuse dans un document publié dans le précédent volume, p. 418-420. Cet événement est mentionné encore dans un acte de novembre 1370 (ci-dessous n° DIV).
2 Peut-être doit-on lire la Corgée. Cf. ci-dessous, dans un acte d'avril 1370, « un hostel appellé la Courgée », ayant appartenu à Adam de la Courgée, dans la châtellenie de Mirebeau. Il est vraisemblable, d'après un passage des présentes lettres, que Jean Andrieu avait épousé la fille de cet Adam de la Courgée.
3 Les variantes orthographique de ce nom anglais rendent fort difficiles les recherches dans les textes de l'époque. Outre la forme Spridligton qui paraît assez satisfaisante, on trouvera dans le présent volume ce personnage nommé tantôt Spiriliton, Sperlinton, Spiriton, tantôt Spelliton, Speleton et même Spinton. Dans sa chronique de Louis duc de Bourbon, Cabaret d'Orville l'appelle Vautier Spurton. L'orthographe la plus anglaise de ce nom nous est fournie par le Procès-verbal de délivrance du Poitou, etc., au prince de Galles, publié par M. Bardonnet : c'est Spridlington. Ce document nous apprend que Gautier Spridlington et Guillaume d'Appelvoisin furent institués par Jean Chandos, le 23 septembre 1361, châtelains de Poitiers et maîtres des eaux et forêts de Poitou. Les actes que nous publions concernent spécialement la confiscation des biens de ce chevalier anglais. Il avait épousé, vers cette époque, une Poitevine, Colette, veuve de Philippon le Boulanger, et possédait, soit du chef de sa femme, soit par acquisition ou dons du prince de Galles, des domaines importants dans notre province. Nous citerons, d'après nos textes, plusieurs maisons à Poitiers, la terre de Latillé qui avait appartenu à Philippe du Paile, dans la châtellenie de Montreuil-Bonnin, l'hôtel de la Courgée en Mirebalais, la terre de Bellefoye près Neuville, et les biens d'Amaury de Bauçay que celui-ci, prisonnier des Anglais, avait dû engager à Philippon le Boulanger et que la veuve de ce dernier avait apportés à son second mari. Ces possessions et d'autres en Poitou et en Saintonge, qui ne sont souvent désignées que d'une façon assez vague, furent donnés par Charles V, en bloc ou en détail, à plusieurs de ses serviteurs. Ces générosités souvent contradictoires furent la source, après la conquête du Poitou, de bien des difficultés entre les différents donataires. Nous en verrons un exemple dans le procès qui eut lieu entre Gilles Malet et Jean de Vaudétar, d'une part, et deux chevaliers bretons, Geoffroy Budes et Geoffroy de Kérimel, d'autre (ci-dessous, lettres du 29 septembre 1372, note).
Gautier Spridlington commandait au Blanc pour les Anglais, lorsque Jean de Villemur reprit cette ville, au commencement de l'année 1370 (JJ. 100, n° 751, fol. 222). Il contribua activement aux opérations militaires de cette année et des années suivantes. Après la capitulation de Poitiers, il s'enferma dans Niort. L'auteur de la chronique du duc de Bourbon raconte un fait d'armes qui est tout à son honneur. Quand l'armée des ducs de Bourgogne, de Berry et de Bourbon se dirigeait sur Fontenay-le-Comte, Spridlington (Vaultier Spurton), sorti de Niort avec trois mille combattants, lui vint « entre marès, en lieu fort, presenter la bataille... et demourerent ung jour et une nuit François et Anglois les ungs devant les autres. Et les seigneurs estans en telle adventure qu'ils ne pouvoient assembler aux Anglois, leur vint nouvelles que le duc de Bretagne, à grant povoir, se venoit joindre avec les Anglois, pour les combattre ». Après délibération, les ducs résolurent d'abandonner la partie et d'aller au-devant des Bretons. Ils vinrent loger devant Fontenay-le-Comte, dont une partie de la garnison « estoit issue pour aller gaigner sur François », et la place fut prise d'assaut. (Cabaret d'Orville, La chronique du bon duc Loys de Bourbon, édit. Chazaud, in-8°, p. 36, 37) On verra ailleurs que Fontenay-le-Comte se rendit le 9 octobre 1372. Le même chroniqueur rapporte plus loin que Gautier Spridlington se porta au secours de Moncontour, assiégé par Clisson, et qu'il aurait réussi à le déloger, si des renforts n'étaient venus se joindre aux Français (id. ibid., p. 88). Ce dernier événement se produisit environ quatre mois avant celui qui précède ; mais les chroniqueurs du xive siècle ont rarement souci de la chronologie.
Une remarque curieuse que nous avons faite, c'est que Froissart ne parle nulle part, sous aucune des formes citées plus haut, de Gautier Spridlington, qui cependant était un personnage de marque et joua un rôle important. D'autre part, chaque fois que nous nous attendions à rencontrer ce nom dans ses chroniques, à l'occasion de faits auxquels l'on sait de bonne source que notre Gautier fut mêlé, il s'en présente un autre : celui de Gautier Hewet. Comme Froissart était à même d'être bien renseigné sur les héros anglais de la guerre de Cent Ans, une question se pose. Gautier Hewet et Gautier Spindlington ne sont-ils pas une seule et même personne ? Nous sommes tenté de le croire, d'autant que dans les actes publiés par Rymer, on trouve, à la date du 20 mai 1362 (Fœdera, t III, part. II, p. 650), des provisions de l'office de maître des eaux et forêts de Poitou en faveur de Gautier Hewet, office dont nous avons vu, d'après un document officiel, Gautier Spridlington investi par Jean Chandos, quelques mois auparavant. Dans ce cas, il faudrait tenir Spridlington pour un surnom. Froissart dit que ce Gautier Hewet retourna en Angleterre aussitôt après la capitulation de Thouars (édit. Kervyn de Lettenhove, t. VIII, p. 220), et qu'il revint en France, l'année suivante, avec le duc de Lancastre, lorsque celui-ci débarqua à Calais, le 20 juillet 1373, à la tête d'une armée de plus de vingt mille hommes ; mais il fut tué, peu de temps après, au combat d'Oulchy-le-Château (Aisne). Dans son récit de cette action, le chroniqueur dit que Gautier « estoit ung grant capitaine englès » (id. p. 293-295). Le combat d'Oulchy, d'après les Grandes Chroniques (t. VI, p. 340), eut lieu le 9 septembre 1373.