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DXXX

Confirmation du don fait par le duc de Berry à Jean de Saumur, bourgeois de Saint-Jean-d'Angély, des biens de Guichard d'Angle et du seigneur de Castillon situés en Saintonge.

  • B AN JJ. 104, n° 46, fol. 20
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 19, p. 172-176
D'après a.

Karolus, Dei gracia Francorum rex, universis presentes litteras inspecturis, salutem. Major, burgenses et habitatores ville Sancti Johannis Angeliacensis nobis humiliter supplicaverunt ut, cum ad ipsorum supplicationem carissimus frater et locum tenens noster, duc Biturie et Alvernie, comes Pictavensis, Matisconensis, Angolismensis et Xanctonensis, minagium cum suis juribus, appartenenciis, deppendentiis et emolumentis universis quibuscunque dicti minagii dicte nostre ville Sancti Johannis Angeliacensis, [p. 173] Johanni de Salmurio, burgensi ejusdem ville, dederit et concesserit per suas litteras, quarum tenor dicitur esse talis :

Jehan, filz de roy de France, duc de Berry et d'Auvergne, conte de Poitou, d'Angolesme, de Xanctonge et de Masconnois, à tous, presens et avenir, salut. Comme par le don du dit pais de Xanctonge à nous fait par monseigneur le roy, tous les biens, tarit meubles comme heritages que le seigneur de Castillon1 et messire Guichart d'Angle2, chevalier, ennemi, rebelle et tenant le parti du roy d'Angleterre, adversaire de mon dit seigneur et de nous, souloient tenir en nostre dit païs, nous soient venuz et escheuz par confiscacion, savoir faisons que nous, pour consideracion des bons et agreables [p. 174] services que nostre amé Jehan de Saumur, bourgois de nostre ville de Saint Jehan d'Angely, nous a fais ou temps passé, fait de jour en jour, et esperons qu'il face ou temps avenir, nous à ycellui Jehan avons donné et octroie, par la teneur de ces presentes, donnons et octroions, de nostre certaine science et grace especial, tout les droiz que les [dessus] nommez prenoient et ont acoustumé de prendre ou minage et ville de Saint Jehan d'Engeli, avecques tous les droiz et proffiz appartenans et descendans du minage, de quelque valeur et estimacion qu'il soient, à tenir, avoir joir et possider hereditablement et perpetuelment par le dit Jehan de Saumur, ses hoirs et successeurs, et ceulx qui de lui auront cause. Si donnons en mandement à nostre seneschal de Xantonge et à tous nos autres justiciers et officiers, presens et avenir, et à leurs lieux tenans, si comme à eulx et à chascun d'eulx appartendra et pourra appartenir, que le dit Jehan mettent et facent tenir en possession et saisine du dit minage et appartenances, à nous appartenans et confisquiez, comme dit est, et en ycelle possession et saisine le gardent et maintiennent, en faisant le dit Jehan joir et user paisiblement de nostre dit don. Mandons en oultre à tous noz officiers, justiciers et [p. 175] subgiez que au dit Jehan obeissent et entendent, en exercent, prenant et cueillant le dit minage. Sauf toutevoies en autres choses le droit de mon dit seigneur, le nostre et l'autrui en toutes. Et que ce soit ferme chose et estable, nous avons fait mettre à ces lettres nostre seel, Donné en nostre ost devant Surgieres, l'an de grace mil ccc. lxxii, ou mois de septembre3.

Nos illam donationem et hereditagii concessionem per dictum fratrem nostrum dicto Johanni [factam], ratam et gratam habere vellemus ; nosque ea propter notum facimus quod nos dictorum majoris, burgensium et habitancium supplicacioni favorabiliter annuentes, predictum Johannem de Salmurio in dicta donacione et concessione dicti minagii, de qua superius fit mencio, juxta doni et litterarum dicti fratris et locumtenentis nostri, de quorum originali liquebit, quas ratifficamus, tenorem volumus remanere, ac eidem Johanni et suis heredibus illud minagium cum juribus [p. 176] universis ex ampliori gracia, ex nostris certa sciencia et auctoritate regia, damus et concedimus per presentes, per eundem tenendum, possidendum et exercendum perpetuum in hereditagium. Senescallo Xanctonensi moderno et futuro, vel ejus locumtenenti, mandamus quatinus supradictum Jobannem de minagio ac juribus, pertinenciis, commodis et emolumentis ad illud pertinentibus, uti et gaudere, et ipsum in possessionem et saisinam illius minagii corporalem et realem instituat pacifice et defendat. Proviso tamen quod, in casu quo prefati rebelles ad nostram obedienciam venirent, volumus quod dictum minagium cum juribus suis universis ad eos reveniat. Quod ut firmum et stabile perseveret, nostrum presentibus litteris fecimus apponi sigillum. Nostro in aliis et alieno in omnibus jure salvo. Datum Parisius, in castro nostro de Lupera, decima die mense decembris anno Domini millesimo ccc. lxxii°, et regni nostri nono.


1 Il s'agit peut-être de Florimond de Lesparre, dont il sera question ailleurs et que l'on trouve qualifié « seigneur de Castelhon et viconte d'Orte » dans un sauf-conduit qu'il eut du roi d'Angleterre, « in regnum Anglie veniendo pro arduis negotiis statum Aquitanie concernentibus ». (Th. Carte, Catalogue des rôles gascons, in-fol., t. I, p. 79.)
2 Guichard d'Angle était alors prisonnier en Espagne. Chargé d'aller demander du secours au roi d'Angleterre, il en revint avec le comte de Pembrocke et une armée estimée à vingt mille hommes à destination de la Rochelle. La flotte espagnole mise au service du roi de France par Henri de Transtamare, composée de « xiiii grosses galées toutes armées et fretées », commandée par Ambroise Boccanegra, l'un des meilleurs amiraux de l'époque, était venue jeter l'ancre devant ce port, barrant la route à la flotte anglaise. Pembrocke n'hésita pas à livrer bataille. Les deux armées navales se heurtèrent dans un combat terrible, le 23 juin 1372. La flotte anglaise fut complètement détruite ; pas un vaisseau ne s'échappa. Tous les Anglais qui ne furent pas tués en combattant ou noyés restèrent prisonniers des Castillans. Pembrocke, Guichard d'Angle, Jean de Harpedenne, sénéchal de Saintonge, et beaucoup d'autres personnages de marque furent au nombre de ces derniers. Mis aux fers et emmenés en Espagne, ils y furent traités rigoureusement et n'obtinrent leur mise en liberté moyennant une forte rançon, que dans les premiers mois de l'année 1375. (Froissart, édit. S. Luce, t. VIII, p. xxiv et suiv., 36 et s., 165, 166.)
Le chroniqueur rapporte que tant qu'il fut prisonnier, les possessions de Guichard d'Angle furent respectées par Du Guesclin et ses compagnons d'armes. Ceux-ci, vainqueurs à Chizé et maîtres de Niort, se dirigeaient vers Château-Larcher, où se tenait Jeanne Payen de Montpipeau, dame de Pleumartin, femme de Guichard. Cette dame demanda au connétable un sauf-conduit pour aller trouver le duc de Berry à Poitiers ; il le lui accorda et dirigea son armée d'un autre côté. Le duc de Berry reçut très gracieusement la dame de Pleumartin et lui promit que, tant que son mari serait prisonnier en Espagne, elle demeurerait en paix dans son château, et qu'il ne serait point fait de guerre ni à elle ni à ses gens, ni sur ses terres, pourvu que de leur côté ils ne fissent aucun acte hostile. « Car, ajoute Froissart, quoique messires Guichars fust bons Englès, si n'estoit il point trop hays des François. » (Id. ibid., t. VIII, p. 115, 116.) Guichard d'Angle montra bien qu'il entendait rester bon Anglais. Quand il eut recouvré la liberté, loin de faire sa soumission à Charles V, il alla s'établir en Angleterre, où Richard II, dont il avait été gouverneur, le combla de faveurs et le créa comte d'Huntington. Le 26 avril 1377, par lettres datées de Westminster, il eut commission d'aller traiter de la paix avec le roi de France. (Rymer, Fœdera, t. III, part. II, p. 1076.) Guichard vécut encore trois ans à la cour d'Angleterre. Il fit son testament à Londres le 25 mars et y mourut le 4 avril 1380. (Dugdale et Froissart, édit. Kervyn de Littenhove, t. IX, p. 240-241.)
3 Benon ayant été pris d'assaut, le 15 septembre 1372, après un siège de trois jours, et Du Guesclin ayant vengé la mort de son écuyer favori tué la nuit précédente pendant son sommeil, en faisant mettre à mort tous les Anglais qu'il trouva dans la place, si l'on en croit le récit de Froissart, confirmé par celui de Cabaret d'Orville, la forteresse de Surgères fut attaquée dès le lendemain. L'armée était commandée par les ducs de Berry et de Bourgogne, mais le connétable en dirigeait réellement les opérations. Le siège les retint quatre jours sans désemparer ; la ville se rendit seulement le dimanche 19 septembre. Ces dates absolument sûres nous sont fournies par l'Itinéraire du duc de Bourgogne, dressé à l'aide des comptes de son hôtel par M. Ernest Petit. (Campagne de Philippe le Hardi, p. 10.) Ainsi tombe l'assertion de Froissart que Du Guesclin trouva Surgères sans défenseurs ; suivant lui, la garnison anglaise, redoutant le sort de Benon, aurait évacué la place avant l'arrivée des Français. (Edit. S. Luce, t. VIII, p. 88.) La date des lettres du duc de Berry données « en l'ost devant Surgères » doit donc être fixée entre le 16 et le 19 septembre 1372. D'après l'Itinéraire cité, Saint-Jean-d'Angély ne fit sa soumission que le lendemain de la prise de Surgères, c'est-à-dire le 20 septembre.
C'est pendant le siège de Surgères, la veille de la capitulation, que fut conclue entre le duc de Berry et les chevaliers poitevins enfermés à Thouars, la trêve par laquelle ces derniers s'engagèrent à faire leur soumission le 30 novembre suivant, s'ils n'étaient secourus par le roi d'Angleterre ou le prince de Galles. Il sera question de ce traité dans la note suivante.