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Révocation du don fait à Jean de Villemur de la ville et de la châtellenie du Blanc, qu'il avait reprise sur les Anglais, et donation dudit lieu à Guy et à Guillaume de La Trémoïlle, parce qu'il avait appartenu à leurs ancêtres.

  • B AN JJ. 100, n° 751, fol. 222
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 19, p. 83-88
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, que, [p. 84] comme par nos autres lettres et pour certaines causes en icelles contenues nous aions donné à heritage le chastel, ville et chastellenie du Blanc en Guienne à nostre amé et feal chevalier, Jehan de Villemur1, lequel le dit chastel et ville, avecques autres nos gens, avoit gaignié sur Gautier Spiriliton2, anglois, et tenus en nostre obeissance, en laquelle il est encores ; nous, considerans que le dit chastel, ville et chastelleniez enciennement ès ancestres et dulinage de noz amez et feaux Guy de La Tremoïlle, chevalier, et Guillaume3, son frere, escuier, li quel nous ont servi et servent chascun jour moult loyalment ou fait de nos guerres, sans espargnier leurs corps ne leurs chevances, et aussi pour autres certaines et justez causez et consideracions à ce nous movens, le dit chastel, ville et chastelleniez du Blanc, avecques toutes les terres, censives, rentes et revenues, eaues, bois, prés, fours, molins, fiez, arrere fiez, hommages, vasselages, appartenances et dependences quelconques des chastel, ville et chastellenies du [p. 85] Blanc dessus dictes, avons donné et donnons, de nostre certaine science et grace especial, par ces presentes, aus dessus diz freres et chascun d'eulx, à tenir, avoir et possider par eulx, leurs hoirs et successeurs et qui d'eulx auront cause perpetuelment, les dis chastel, ville et chastelleniez avecques leurs appartenences dessus dictes, comme leur propre chose et en la forme et maniere que Guillaume Guenant, chevalier, seigneur des Bordes Guenant4, les dis chastel, ville et chastelleniez souloit avoir [p. 86] tenir et possider, sauf et reservé à nous et à noz successeurs, roys de France, la souveraineté et ressort èschastel, ville et chastelleniez et appartenances dessus dictes, non obstant quelconquez don par nous fait par nos autres lettres, comme dit est, au dit Jehan de Villemur, et souz quelconquez forme de paroles qu'elles soient faites et formées. Lequel don, parce que nous serons tenuz et promettons, par ces presentes, de faire audit Jehan et à [p. 87] ses hoirs et successeurs, pour le dit chastel, ville et chastellenies dessus dictes, restitucion et recompensacion aillieurs souffisent et convenable, nous rappellons et revocons du tout par ces presentes. Si donnons en mandement à nos amez et feaulx gens de nostre chambre des comptes à Paris, au seneschal de Berry et à tous les autres justiciers et officiers de nostre dit royaume, presens et avenir, si comme à eulx et chascun d'eulx appartendra et pourra appartenir, en commettant, se mestier est, que les dessus dis freres mettent et facent mettre en possession des dis chastel, ville et chastellenies dessus dictes, et d'icelles choses avecques leurs appartenances et dependences quelconques dessus dictes facent et sueffrent joir et user paisiblement les dis freres et chascun d'eulx, leurs hoirs et successeurs et qui d'eulx auront cause perpetuelment, en la forme et maniere dessus dicte, sanz leur faire ne souffrir estre fait sur ce aucun empeschement ou destourbier en quelconque maniere, non obstant le don des dis chastel, ville et chastellenies avecques leurs appartenences, par nous fait au dit Jehan de Villemur, comme dessuz. Le quel don et lettres sur ce faites nous revocons et anullons par ces presentes, comme dit est, parmi la recompensacion que nous en serons tenus de faire dessus dicte. Et afin que ce soit ferme chose et estable à tousjours, nous avons fait mettre nostre grant seel à ces presentes. Sauf en [p. 88] autres choses nostre droit et en toutes l'autruy. Donné en nostre ostel de Saint Pollez Paris, ou mois de decembre l'an de grace mil ccc. lx. et dix, et de nostre regne le septieme.5.

Par le roy. T. Hocie.


1 Les lettres dont il est question ici sont du 23 février 1370 n. s. (JJ. 100, n° 292, fol. 85). Elles ne figurent point dans notre recueil, bien que la ville du Blanc fît alors partie de la sénéchaussée de Poitou, en dehors toutefois des limites ordinaires de cette province dans lesquelles nous nous renfermons, parce que Jean de Villemur n'était pas originaire de notre pays. Néanmoins, comme il prit une part active à la guerre dont les frontières du Poitou furent le théâtre en 1369-1370, et que Charles V le récompensa par la donation conditionnelle de localités poitevines, nous lui avons consacré une notice développée (ci-dessus, p. 41, note).
2 Voir la note touchant Gautier Spridlington, p. 5. note 2 du présent volume. D'après les lettres citées dans la note précédente, la prise du Blanc eut lieu à la fin de janvier ou au commencement de février 1370 n. s.
3 Guy VI et Guillaume de La Tremoïlle étaient fils de Guy V, seigneur de Vazois et de Lussac-les-Eglises, grand panetier de France, mort à Loudun en août 1350, et de Radegonde Guenant (voy. notre vol, précédent, ρ 394 note). Le procès, dont nous avons parlé en cet endroit, entre Guillaume de La Trémoïlle et Marie de Mello, sa femme, d'une part, et Eléonore de Beaufort, veuve d'Edouard de Beaujeu, d'autre, était relatif à une rente de 149 livres restant ce 400 livres, laquelle avait été assise sur le château et la terre de Semur, appartenant à la succession de Beaujeu. La cour déclara cette assiette valable par arrêt du 27 août 1377 (X1a 26. fol. 198).
4 Guillaume III Guenant, seigneur des Bordes (ou des Bordes-Guenant, aujourd'hui château et ferme sur la commune du Petit-Pressigny, Indre-et-Loire), était fils Guillaume II, seigneur des Bordes et du Blanc, et de Brunissent de Thiern. Sa sœur aînée Radegonde avait épousé Guy V de La Trémoïlle ; il était par conséquent oncle des deux frères, donataires de la ville et de la châtellenie du Blanc, et cette donation paraît avoir été faite de son consentement et sans doute moyennant une compensation ; car Charles V n'avait point de motifs pour lui être hostile, tout au contraire Guillaume des Bordes-Guenant avait rendu au roi et au duc de Berry les plus signalés services, pendant les campagnes des années 1369-1370, avec ses compagnons inséparables, Jean de Bueil, Louis de Saint-Julien et le breton Jean de Kerlouët, sur les marches de Poitou et de Touraine. Il avait contribué d'une façon brillante notamment à la prise de la Roche-Pozay (juin ou juillet 1369), au succès de l'affaire de Purnon, à la fin de la même année, et à la prise de Châtellerault, dans les premiers jours de juillet 1370. (Froissart, édit. Siméon Luce, p. xlviii, lxiv, lxxviii, xc). Guillaume Guenant était alors capitaine de la Haye, un auteur ajoute lieutenant général au gouvernement de Touraine. Son nom se trouve uni à celui de Jean de Villemur et autres capitaines de gens d'armes « estans ès parties de Touraine, auxquels Jean duc de Berry envoya porter des lettres le 2 juillet 1370, par un valet de pied (KK. 251, fol. 38 v°). Par acte daté de Paris, le 2 avril 1369, il avait été retenu par le roi pour servir dans les présentes guerres », avec c. payes et à cxx livres de gages pour son état. Le 29 octobre de la même année, il avait sous ses ordres 219 hommes d'armes. Le 1er mars 1370, Charles V ordonne de lui payer ses gages et lui fait présent d'un cheval, le 8 juillet de la même année. (L. Delisle, Mandements de Charles V, in-4°, p. 254, 295, 323 et 354.) Nous avons trouvé à la Bibliothèque nationale une montre de 20 chevaliers bacheliers et de 79 écuyers placés sous les ordres du sr des Bordes, montre reçue à Mirebeau le 16 juillet 1371. Le chef de cette imposante compagnie y est qualifié chevalier bachelier, chambellan du roi. (Ms. Clairambault 234, pièce 1.) Nous nous proposons de publier cette liste intéressante à la suite de l'introduction du présent volume.
Au milieu de l'année 1372, quand Du Guesclin poursuivait ses succès contre les Anglais, Guillaume Guenant était à la Roche-Pozay. Il prit part, cette même année, au siège de Saint-Jean-d'Angély (20 septembre), et l'année suivante à celui de la Roche-sur-Yon. (Froissart, édit. Kervyn de Lettenhove, t. VIII p. 56, 180. 259.) Il servait en Bretagne, en 1373, suivant le même chroniqueur, quand il fut rappelé par Charles V pour tenir tête à l'armée d'invasion que le duc de Lancastre venait de débarquer à Calais (20 juillet) ; il aurait été alors nommé capitaine de Saint-Quentin et aurait pris part au combat d'Oulchy-le-Château (septembre 1373) (id., p. 282, 286, 289, 292, 295). Ces passages peuvent à la rigueur s'appliquer à notre Guillaume Guenant. Mais sa nomination comme capitaine de Montereau (déc. 1376), d'Ardres (1377), puis de Valognes, et sa capture par les Anglais devant Cherbourg (1379) (id. p. 415 ; t. IX, p. 96, 134, 335 ; Delisle, Mandements de Charles V, p. 521, 737), sont beaucoup plus suspectes, les auteurs ayant confondu Guillaume Guenant, sieur des Bordes, et Guillaume des Bordes, qui devint porte-oriflamme de France par lettres du 27 octobre 1383, et fut tué à la bataille de Nicopolis (1396). (Le P. Anselme, Hist., généal., t. VIII, p. 206 ; Carré de Busserolles, Dict. géogr. d'Indre-et-Loire, t. I, p. 308.) Froissart les appelle tous deux Guillaume des Bordes, sans distinguer.
Ce qui est certain, c'est que Guillaume Guenant, sieur des Bordes, se trouvait à Saint-Jean-d'Angély le 18 avril 1374, où il reçut un messager du duc de Berry (KK. 252, vol. 29 v°). L'année suivante, il était en procès au Parlement, à cause de sa femme Annette d'Amboise, contre la dame d'Amboise. Il s'agissait d'une obligation de 32,000 florins vieux à l'écu souscrite par le feu sire d'Amboise. La cour décida, le 21 novembre 1375, que ladite dame ne serait pas tenue de reconnaître ou de nier le sceau appendu à cet acte, comme le demandait la partie adverse, et qu'il serait passé outre (X1a 25, fol. 3). Le même Guillaume Guenant eut aussi des démêlés avec le chapitre de Poitiers au sujet de la terre de la Patrière. Cette affaire ayant été soumise d'abord à la cour du duc d'Anjou, puis dévolue au bailli de Touraine, le chapitre ne se fit point représenter et se laissa condamner par défaut ; mais il en saisit le Parlement, où il prétendait avoir le privilège de porter directement ses causes. Devant cette cour, le chapitre déclara que pour le présent il ne voulait rien produire sur le fond de l'affaire contre Guenant, et qu'il tenait simplement à faire constater son privilège. Guillaume prétendant, de son côté, que l'affaire était terminée, puisqu'il avait une sentence du balli de Touraine en sa faveur, les parties furent mises hors de cour, par arrêt du 19 juin 1376 (Xa 25, fol. 223 v°). Ce procès fut repris quelques années après et n'était point jugé le 1er février 1399 ; on trouve à cette date un arrêt de procédure rendu entre le chapitre de Poitiers, Guillaume Guenant, Perrot du Plessis, écuyer, son frère, ceux-ci accusés d'avoir envahi et occupé de force la Patrière et le domaine du Puy, appartenant au chapitre (X1a 46, fol. 165 v°). Guillaume vivant encore à cette époque, c'est la preuve que le Guillaume des Bordes tué à Nicopolis et celui qui nous occupe étaient deux personnages différents. Le porte-oriflamme du reste avait épousé Marguerite de Bruyère, dame de Cayeu et de Boulencourt, en Picardie ; leurs procès avec le comte d'Eu concernaient des biens situés en Picardie (deux arrêts du Parlement de février 1378, X1a 27, fol. 113 v° et 114 v°), tandis que Guillaume Guenant, sr des Bordes, et sa femme Annette d'Amboise, avaient leurs établissements dans leur pays d'origine, la Touraine. et quelques terres en Poitou.
5 Ces lettres ont été publiées tout récemment par M. le duc de La Trémoïlle, sur l'indication fournie par nous à son collaborateur M. l'abbé Ledru. (Livre de comptes, 1393-1406. Guy de La Trémoïlle et Marie de Sully, in-4°, Nantes, 1887, p. 147.)