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DXIV

Denis Basin, en récompense des services rendus au roi, de la captivité et des pertes matérielles qu'il a subies de la part des Anglais, obtient une rente annuelle de 200 livres sur des biens confisqués, et entre autres le lieu de Belhomme en Poitou.

  • B AN JJ. 103, n° 98, fol. 59
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 19, p. 113-117
D'après a.

Charles, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et advenir, nous avoir oye la supplicacion de Denys Basin, nostre povre subget, contenant que comme il ait esté né et demourant ou pays de Guienne et ait esté toute sa vie bon et loyal françois, voulant et pourchaçant de tout son povoir l'onneur et profit de nous et de nostre royaume, et fist et procura de reprendre le chastel de Broce1 et le mettre en nostre obeissance, le quel estoit detenuz et occuppé par noz ennemis, et aussi induist les habitans de Saint Benoit du Saust à eulx rendre et mettre leur fort en nostre dicte obeissance, et, pour la hayne et occasion de ce, le dit suppliant a esté depuis un an en ça, à l'instigation et pourchaz de Pierre Pillon, et d'autres nos ennemis, pris et detenu prisonnier à la Souzterraine2, où il a esté par l'espace de xiii. sepmaines en prison fermée et en deux paire de fers, par Jehan [p. 114] d'Evreux3, anglois, nostre ennemi, et mis à raençon de xiiic francs, et avecques ce tous ses meubles et heritages pris et gastez par nos dis ennemis, les quielx povoient bien valoir trois mille livres, et pour paier la dicte raençon, et par les contraintes et griefs qu'il a euz en la dicte prison, ait convenu que le dit suppliant ait vendu à Oylle le Berthon, anglois demourant à la Souzterraine, trois tonneaulx de vin et trente sextiers de seigle de rente sur tous ses biens ; item à Laurance, femme de Jehan Grant et concubine du dit Jehan d'Evreux, trente sextiers de seigle et un tonnel de vin de rente sur tous ses biens, [p. 115] comme dit est ; item à Rose, mere de la dicte Laurance, pluseurs de ses heritages pour la somme de trente frans, et en la dicte prison a esté et est le dit suppliant si blecié des fers qu'il a euz en une jambe qu'il ne sera de toute sa vie qui ne sente. Et oultre furent en ycellui temps pris et emprisonnez par nos dis ennemis la fame et cinq enffans du dit suppliant, et raençonnez par yceulx nos ennemis à grant et excessive raençon et deux de ses vallès decapitez. Pour les quelles causes, le dit suppliant, sa femme et ses dis enfans sont desers et mis à povreté à tous jours, et en voie de vivre en mandicité, en grant misere et meschief, se par nous ne leur est pourveu de nostre grace, si comme il dient, requerans que, ces choses considerées et le grant peril de mort en quoy il s'est mis pour nostre service et garder sa loyauté envers nous, et aussi les grans pertes et dommages qu'il a souffers et soustenus pour nous, et pour aydier à le relever de ses dictes pertes et dommages, et afin que lui, sa femme et enfans puissent avoir de quoy vivre et soustenir leur estat soubz nous et en nostre obeissance, il nous plaise donner pour lui, sa dicte femme et enfans, et pour leurs hoirs ou aians cause d'eulx à tous jours, les rentes et heritages dessus dis par lui venduz, comme dit est, et tout le droit que les dis acheteurs y pevent avoir, et tous les autres heritages et biens des dis acheteurs que il ont en nostre royaume, et avecques ce tous les heritages et biens du dit Pillon et de Jehan son frere, de Symonne Garnaude, mere des femmes des dis Pillons, de Jehan Emat, de Denise, sa mere, de Guillaume de Dun, prestre, de Raymon Mignet, de Dun le Paileteau, de Pierre Adjounet, de Jehan Adjounet et de Jehanne, leur mere, comme à nous confisquiez et acquis pour cause de ce que les dessus dis se sont, depuis que ceste darraine guerre commença entre nous et nostre ennemi d'Angleterre, tenus et portez pour nos ennemis et rebelles, et ont tenu et encores tiennent le parti d'iceulx nos ennemiz ; et [p. 116] avec ce nous plaise a eulx donner et octroyer, pour eulx, leurs hoirs et aians cause d'eulx à tousjours, le lieu de Belolme4 avecques ses appartenances assis en Poitou, le quel lieu fut jà pieça de Guillaume de Buffet5, et à present est Robert de Grantdonne nostre ennemi, anglois d'Angleterre, à nous appartenans et confisqués pour la cause dessus dite ; les quelles choses sont situées et assises ou dit païs de Guienne et pevent bien valoir deux cens livres de rente par an ou environ. Pour quoy nous, attendu et consideré ce que dit est, voulans au dit Denis Basin sur ce pourveoir et secourir de remede, et à lui et aux siens extendre nostre grace, à ycellui Denis, pour lui, ses dis hoirs et aians cause d'eulx, avons donné et octroyé, donnons et octroyons, de nostre auctorité royal et grace especial par ces presentes tous les heritages et rentes par lui venduz et transportez aus dis acheteurs, et tout le droit que yceulx acheteurs y pevent et pourroient avoir, avec tous les autres heritages et biens des dis acheteurs, que il ont et pevent avoir en nostre royaulme, et aussi tous les heritages, biens, rentes et revenues de tous les autres dessus nommez estans en nostre dit royaume, à nous advenues et confisquiés par la maniere que dessus est dit, à yceulx biens, rentes et heritages avoir, tenir et possider par lui, ses dis hoirs ou ayans cause de lui perpetuellement à tous jours mes, jusques à la dicte somme de deux cens livres de rente par an. Si donnons en mandement à nos amez et [p. 117] feaulx gens de nos comptes à Paris, à nostre seneschal de Poitou et de Lymosin et à tous nos autres officiers, justiciers et subgiez, à qui il appartendra, ou à leurs lieux tenans et à chascun d'eulx, presens et avenir, que de nostre presente grace et octroy laissent et seuffrent le dit Denis et ses dis hoirs, ou aians cause de lui, joir et user paisiblement, et au dit seneschal que des dis heritages, rentes et possessions mette ou face mettre en possession et saisine, et d'iceulx le face et laisse user et joir, selon la forme et teneur de nostre present octroy, sens ycellui empescher ou souffrir estre empesché en aucune maniere. Toutevoies, il n'est pas nostre entencion que, se la dicte Laurance, Rose sa mere, Pierre Pillon, Jehan son frere, Simone Garnaude, mere des femmes des dis Pillons, Jehan Emat, Denise sa mere, Guillaume de Dun, prestre, Raymon Mignet, de Dun, Pierre Adjounet, Jehan Adjounet et Jehanne leur mere dessus dis, venoient à nostre obeissance, pour quoy les dis heritages ou aucuns d'eulx leur feussent rendus, que nous soions tenuz d'en faire pour ce au dit Denis recompensacion aucune. Et afin que ce soit ferme chose et estable à tous jours, nous avons fait mettre nostre seel à ces presentes lettres. Sauf en autres choses nostre droit et l'autruy en toutes. Donné à Mante, le ixe jour du mois de juing l'an de grace mil trois cens soixante et douze, et de nostre regne le neufviesme.

Par le roy, J. Tabari. — Visa.


1 Voy. sur la prise du château de Brosse par les Anglais, qui voulaient se venger de la défection du sire de Chauvigny, le vol. précédent, p. 413 note.
2 On trouve de curieux détails sur l'occupation de la Souterraine par les Anglais dans deux lettres de rémission, l'une de juillet 1378, l'autre de juillet 1379 (JJ. 112, n° 345, fol. 172 v°, et JJ. 115, fol. 84, n° 177). Les premières sont accordées à Roland Blanchard, habitant de cette ville, âgé de vingt-cinq ans, qui à l'âge de huit ans avait été enlevé par les Anglais et avait été obligé de les servir en qualité de page. Les secondes sont données en faveur de Pierre Maréchal, de Champagnac. Il avait fait partie d'une compagnie qui avait enlevé du bétail qu'emmenaient des Anglais de la garnison de la Souterraine et avait tué deux de ces pillards.
3 Jean Devereux, suivant l'orthographe anglaise (d'Evrues, Froissart), chevalier anglais d'origine normande, fut l'un des plus valeureux compagnons du Prince Noir en Guyenne. En 1369, il était sénéchal de Limousin. Les chefs des compagnies anglaises qui s'étaient emparés par surprise du château de Belleperche, où se trouvait la duchesse de Bourbon, vers le milieu d'août de cette année, et avaient pris Sainte-Sévère en revenant de cette expédition, livrèrent cette dernière place à Jean Devereux. Pendant l'hiver suivant, au commencement de 1370, il tenait garnison à la Souterraine, au moment où Louis duc de Bourbon, dans le but de délivrer sa mère, vint mettre le siège devant Belleperche. Les assiégés lui envoyèrent demander secours, et comme il n'était pas en état de les aider efficacement, il se rendit à Angoulême, d'où il revint avec les comtes de Cambridge et de Pembroke, à la tête d'une forte armée. Ceux-ci, malgré leur nombre, ne purent forcer le duc de Bourbon dans ses retranchements et durent se contenter de faire évacuer Belleperche et d'emmener la duchesse, que Jean Devereux fut chargé d'escorter en Guyenne. (Froissart, édit. S. Luce, t. VII, p. lxxi, xci, 156, 214, 219.) On voit par les lettres publiées ici que ce dernier était encore à la Souterraine au milieu de l'année 1371. Quand les barons poitevins fidèles au prince de Galles étaient assiégés dans Thouars, en septembre 1372, Jean Devereux, alors à Niort, dont il était capitaine, s'efforça inutilement de leur porter secours. Il fut fait prisonnier au combat de Chizé, à la suite duquel Niort tomba au pouvoir de Du Guesclin. (Id. édit. Kervyn de Lettenhove, p. 164, 185, 209, 218, 220, 225-234.) Le duc de Berry, alors à la Souterraine, envoya, le 30 mars 1373, un message à la duchesse pour lui annoncer la nouvelle de la défaite et de la capture de ce redoutable adversaire. (Reg. de comptes KK. 251, fol. 93 v°,) Cette date d'une authenticité incontestable prouve que Froissart, en fixant au 21 mars la bataille de Chizé, s'il n'est pas d'une exactitude absolue, ne s'éloigne pas sensiblement de la vérité en cette occurrence. Vers 1379, on retrouve Jean Devereux capitaine de Douvres, fonctions qu'il remplit pendant plusieurs années. En 1387, il devint connétable de Douvres et mourut en 1393 ou 1394. Les Devereux ont été les ancêtres des comtes d'Essex.
4 Cette terre confisquée sur Robert de Grantonne, receveur de Poitou et de Saintonge, avait été donnée à divers autres serviteurs de Charles V, comme nous l'avons vu (ci-dessus, p. 64, note 2), et entre autres, par le duc de Berry à Renaud de Montléon, chevalier, seigneur de Touffou. Charles V confirma cette dernière donation le 16 décembre 1374, par lettres qui sont publiées plus loin, à leur date. Du Chesne dit que la seigneurie de Belhomme, qu'il appelle Bellosme, était située en la paroisse de Lavoux, près de Touffou, (Hist. généal. de la maison des Chasteigners, p. 240.) Cf. Redet, Dict. topogr. de la Vienne, v° Belhomme.
5 Il s'agit sans doute de Guillaume de Buffet que nous avons vu prévôt fermier de Montmorillon, en 1338. (Voy. notre second volume, p. 145.)