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DXXVII

Lettres données en faveur d Agnès Forget, veuve du sr Mercereau, de Fontenay-le-Comte. Ses biens saisis, après la réduction de cette ville, parce qu'elle avait épousé en secondes noces un Anglais nommé Henry Abbot, lui sont restitués, avec permission de résider dans le royaume.

  • B AN JJ. 103, n° 254, fol. 128 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 19, p. 159-162
D'après a.

Charles, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, de la partie de Agnès Forgete, née de la Ferté Milon, [nous avoir esté exposé] que comme jà pieça Clement Forget, jadis son oncle, l'eust menée en la ville de Fontenay le Conte en Poitou, et là [p. 160] fust mariée à un homme appellé Mercereau1, qui estoit du dit païs, et furent ensemble par aucun temps, depuis lequel ycellui Mercereau soit alez de vie à trespassement, et après ce la dicte exposant estant vefve fust2 mariée à un anglois appellé Hienrry Abbot, qui fust pris de nos gens à la prise du chastel du dit Fontenay, et ne le vit puis ycelle exposant3, du quel englois elle a un filz de l'aage d'environ huit ans ; et soit ainssi que, pour la bonne et vraie amour que les habitans de la dicte [ville] de Fontenay avoient et ont à nous et à nostre très chier et amé frere le duc de Berry, conte de Poitiers, ycelle ville soit naguerres mise en l'obeissance de nous et de nostre dit frere, le quel a donné à nostre amé et feal connestable de France la dicte ville et chastellerie de Fontenay4, et aussi a donné à ses gens et autres [p. 161] tous les biens meubles et heritages que tenoient les Anglois et leurs femmes qui demouroient en ycelle ville de Fontenay, par vertu des quels dons tous les biens meubles et heritaiges de la dicte exposante ont esté pris, occupés, donnez et distribuez5, aussi bien ceulx de son chief comme autres et telement que il ne li est rien demouré dont elle et son dit [filz] puissent vivre, et pour ce soit en aventure de querir son pain et d'estre mendient par le païs, se par nous ne li est pourveu. Si nous a fait humblement supplier que, comme elle soit povre femme, née de nostre royaume et fust6 mariée au dit englois, comme dit est, et aussi que ses biens empeschez et donnés elle avoit, tenoit et possidoit de son cousté, avant le mariage d'elle et du dit anglois, lui voullons sur ce eslargir nostre grace et li octroier que elle et son dit filz puissent doresenavant demourer et converser paisiblement là où bon leur semblera en nostre royaume, comme nos vraiz subgiez et obeissans. Nous, ces choses considerées, aiens de la dicte exposant pitié et compassion, enclinans à sa supplicacion, li avons octroié de grace especial et de nostre auctorité royal, ou cas dessus dit, que elle ait et tiegne les heritages, maisons, terres, prés, vignes et autres heritages que elle avoit, possidoit et tenoit de son chief et cousté, avant le mariage de elle et du dit anglois ; les quels heritaiges nous avons donnez7 [p. 162] à la dicte exposante de nostre dicte grace, et donnons par ces presentes, à tenir, joir et possider perpetuelment à tous jours mais par elle, ses hoirs, successeurs et ceulx qui de elle ont ou auront cause, sans contredit, difficulté ou empeschement, non contrestant quelconques dons fais par nous, par nostre dit frere ou par autres, d'iceulx heritaiges, à autres personnes, les quels nous rappellons et mettons au nient. Et en ampliant nostre dicte grace, nous plaist et voulons que la dicte exposant et son dit filz viegnent en nostre dit royaume, là où bon lui semblera, demourer et converser, comme nos bons et vraiz subgiez et obeissans, et non autrement. Et nous par ces mesmes lettres donnons en mandement au seneschal de Poitou et à tous nos autres justiciers et officiers, presens et avenir, à leurs lieux tenans et à chascun d'eulx, si comme à lui appartendra, que de nostre presente grace facent, seuffrent et laissent joir et user paisiblement la dicte Agnès, exposant, ses hoirs, successeurs et qui de elle ont ou auront cause, contre la teneur de la quelle nostre grace ne les travaillent, molestent ou empeschent par quelque maniere que ce soit, ores ne ou temps à venir, et se ès diz heritages avoit arrest ou empeschement, nous voulons estre ostez sans difficulté, et nous mesmes en ce cas les en ostons par ces presentes. Et pour ce que ce soit chose ferme et estable à tousjours mais, nous avons fait mettre nostre seel à ces presentes. Sauf en autres choses nostre droit, et l'autrui en toutes. Donné à Paris, l'an de grace mil trois cens lxxii. et le ixe de nostre regne, ou mois de novembre.

Par le roy, en ses requestes. Baudoin. — A Boistel.


1 On remarque un Jean Mercereau sur la liste des habitants de Fontenay-le-Comte qui prêtèrent serment de fidélité au prince de Galles, le 2 octobre 1361, lors de la prise de possession de cette ville par Jean Chandos, commissaire du roi d'Angleterre. (Bardonnet, Procès-verbal de délivrance, etc., p. 164.) Des lettres de janvier 1373 ci-dessous nous apprennent que le prénom du premier mari d'Agnès Forget était précisement Jean.
2 Ici un membre de phrase biffé : « Par force et contrainte du prince de Galles ou de ses gens qui lors tenoient la dicte ville de Fontenay. » A la marge, en regard de ces mots, on lit : « corrigé par Monseigneur. »
3 « Et mieulx croit que il soit mort que autrement, » mots également barrés et semblable mention à la marge.
4 Tous les historiens et généalogistes mentionnent le don de la ville et châtellenie de Fontenay-le-Comte, fait par Charles V à Bertrand Du Guesclin, sans en préciser la date. Nous avons vainement cherché le texte de ces lettres. On verra dans une note de ce volume, à l'occasion d'un autre acte de restitution à la même Agnès Forget de ses biens de Fontenay, que cette ville se rendit le 9 octobre 1372, et que le château fut pris le lendemain. La donation rappelée ici était donc toute récente ; la date doit en être fixée à la fin d'octobre ou au commencement de novembre. Si l'on ne retrouve plus les lettres de donation en faveur de Du Guesclin, on possède en revanche l'acte de cession qu'il fit au duc de Berry, le mardi 1er décembre 1377, des châtellenies de Fontenay-le-Comte et de Montreuil-Bonnin, ainsi que de trois mille livres de rente que le comte de Poitou avait promis au connétable de lui asseoir dans lesdites châtellenies ou au plus près, savoir : 2000 livres en héritage et 1000 livres à titre purement viager. Cet abandon se fit moyennant 25000 francs d'or que Du Guesclin déclare et reconnaît lui avoir été payés. Il ordonne dans le même acte à Alain de Burlion, son capitaine et châtelain de Montreuil-Bonnin, et à Pierre Maigny (aliàs Perrot Maingny), son capitaine et châtelain de Fontenay, de mettre le duc de Berry ou ses gens en saisine desdites villes, châteaux et châtellenies, sans attendre autre mandement. (Acte passé par-devant notaires à Paris, original scellé, Arch. nat., J. 185B, n° 39.) Cette cession fut enregistrée à la Chambre des comptes. (Mémoriaux reconstitués, P. 2295, p. 531.)
5 Des lettres de Du Guesclin, datées de Marans, en septembre 1372, donnent à Perrot Maingny, son écuyer, les biens qu'Henry Abbot, le second mari d'Agnès Forget, possédait dans la châtellenie de Fontenay-le-Comte. Elles sont publiées ci-dessous avec une confirmation de Charles V, datée de janvier 1373
6 Le mot contrainte a été biffé, comme plus haut.
7 Des lettres de janvier 1373 publiées ci-dessous réduisent cette restitution de moitié, ou du moins la règlent d'une manière différente.