[p. 286]

DLV

Confirmation du don fait par le connétable Du Guesclin à Alain Saisy, écuyer, seigneur de Mortemart, des forteresses, châteaux et terres de Vivonne, de Cercigny, de Saint-Vertunien, de Saint-Germain [p. 287] et autres, que possédait Aimery de Rochechouart, tant en Poitou qu'en Limousin.

  • B AN JJ. 104, n° 38, fol. 16
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 19, p. 286-292
D'après a.

Charles, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir veu les lettres de nostre amé et feal connestable Bertran de Guesclin, duc de Mouline, contenans la fourme qui s'ensuit :

Bertran de Guesclin, duc de Mouline, connestable de France, à tous ceulx qui ces presentes lettres verront, salut. Savoir faisons que, en remuneracion de partie des bons et agreables services que nostre bien amé Alain Saisi1, escuier, [p. 288] seigneur de Mortmar, a fais au roy monseigneur et à nous, tant ou fait de la guerre comme autrement, et fait encores chascun jour en ces presentes guerres en nostre compaignie et ailleurs, et esperons qu'il face ou temps avenir, nous au dit Alain Saisy avons donné et octroie, donnons, et octroions par ces presentes à tousjours mais perpetuelment et à heritaige, pour lui et pour ses hoirs et ayans cause de lui, la forteresce, chastel ou fort de Saint Ventriguen, estant ou païs de Lymosin, avecques les terres, prez, vignes, bois, estans, garennes, eaues, pescheries, cens, rentes en blés, deniers, poulailles, moulins, dismes, terraiges, hommes, hommages, toute justice et seigneurie quelconques, et tous autres drois, prouffis, emolumens et revenues quelconques, appartenans et appendans au dit chastel ou forteresce de Saint Ventriguen, quelconques choses que se soient ou puissent estre, le chastel [de] Cerceigné, la ville, forteresce et appartenances de Vivone2 en Poitou, Saint [p. 289] Germain, Verac et toutes les terres, possessions et appartenances que souloit tenir messire Aymery de Rochechouart3, chevalier, tant en Poitou, Lymosin, comme en la duchié de Guienne, non obstant que en ces presentes [p. 290] ne soient toutes particulerement nommez et exprimez, confisquées et acquises les dictes choses au roy mon dit seigneur par la rebellion et desobeissance du dit messire Aymery de Rochechouart, nagaires seigneur des diz lieux, pour ce que lonc temps il a esté et est rebelle, ennemi et desobeissant du roy monseigneur, et tenant le parti du prince de Gales, à avoir, tenir, user et possider et exploitier les dictes choses du dit Alain Saisy, de ses hoirs et de ceulx qui auront cause de lui dores en avant à tous jours mais, ainsi et en la maniere que le dit messire Aymery de Rochechouart les souloit tenir, avoir, posseder et exploitier par avant la dite rebellion ; et en avons mis et mettons le dit Alain en possession et saisine, aux charges [et] devoirs acoustumés. Si donnons en mandement par ces presentes aux seneschaux de Lymosin, Poitou, Xantonge pour le roy mon dit seigneur, qui à present sont et pour le temps avenir seront, et à tous nos autres justiciers, ou à leurs lieuxtenans, et à chascun d'eulx, que des diz chasteaulx et forteresses, et des drois, proufis, emolumens et revenues qui y appartiennent et pevent appartenir, comme dessus est dit, facent, seuffrent et laissent le dit Alain Saisy, ses hoirs ou ceulx qui de lui auront cause, joir, possider et user paisiblement et sans aucun contredit ou empeschement, en deboutant tout autre detenteur ou empescheur d'icelles choses, qui ne les auroit du don du roy mon dit seigneur ou de nous, par lettres precedentes en date de cestes. Mandons aussi et commandons, de par le roy monseigneur et de par nous, aus capitaines des lieux et fors dessus diz que, sur paine de desobeissance envers mon dit seigneur et envers nous, que au dit Alain ou à son certain commandement pour lui, il baillent et delivrent la possession et saisine des dis fors, chasteaulx, lieux et appartenances, pour en ordener à sa pleine volenté, comme de sa propre chose, ainsi comme bon lui samblera. En tesmoing de la quelle chose, nous avons fait mettre nostre seel [p. 291] à ces presentes lettres. Sauf le droit du roy monseigneur en autres choses et l'autrui en toutes. Donné à Poitiers, le ixe jour du moys d'aoust l'an de grace milccc. lxxii.

Nous, considerans les bons et agreables services que le dit escuier nous a fais en nos dictes guerres, en pluseurs manieres, si comme il nous a esté tesmoingné par nostre dit connestable, en remuneracion des diz services et pour contemplacion de nostre dit connestable, qui sur ce nous a supplié et requis, les lettres dessus transcriptes et le contenu en ycelles avons agreables, et ycelles loons, greons, ratiffions, approuvons et de nostre auctorité et pleine puissance royal, certaine science et grace especial, les confermons, par la teneur de ces presentes, et toutes les choses et chascune d'icelles contenues ès dictes lettres, qui souloient bien valoir pour le temps passé de rente annuele huit cens livres ou environ, si comme l'en dit, donnons de nouveau au dit Alain perpetuelment, pour lui et pour ses hoirs, et pour ceulx qui auront cause de lui, et par la maniere dessus dicte. Si donnons en mandement par ces presentes aux seneschaux de Lymosin, de Poitou et de Xantonge, et à tous nos autres justiciers et officiers, qui à present sont et pour le temps avenir seront, ou à leurs lieux tenans et à chascun d'eulx, que des choses dessus dictes et de chascune d'icelles laissent et facent posseder, joir et user paisiblement le dit Alain, ses hoirs et successeurs, et ceulx qui de lui auront cause perpetuelment, senz contredit ou empeschement aucun, et par la fourme et maniere contenues ès lettres dessus transcriptes. Car ainsi le voulons nous, non obstant quelcunques autres dons faiz par nous ou noz predecesseurs, roys de France, au dit Alain, et qu'il ne soient en ces presentes exprimez ou declarez, ordenances, mandemens ou deffenses, faites ou à faire, au contraire. Et que ce soit ferme chose et estable à tousjours mès, nous avons fait mettre nostre seel à ces presentes. Sauf en autres choses [p. 292] nostre droit et l'autrui en toutes. Donné ou mois de janvier l'an de grace mil ccc. lxxii, et le ixe de nostre regne.

Par le roy. N. de Veires.


1 Alain Saisy, écuyer breton, compagnon d'armes de Du Guesclin, avait prêté serment de fidélité en 1371 à Jean, duc de Bretagne. (Acte mentionné par dom Morice, Hist. de Bretagne, Preuves, t. II, col. 33.) Il est appelé ici seigneur de Mortemart, parce que, le 10 juillet 1372, à Chinon, le connétable lui avait déjà fait don de ce fief important de Limousin, confisqué aussi sur Aimery de Rochechouart. Charles V avait confirmé cette première donation par lettres du 22 juillet suivant (JJ. 103, n° 141, fol. 77). Quand Aimery de Rochechouart eut enfin fait sa soumission au roi de France, après la bataille de Chizé, il voulut rentrer en possession de ses biens, comme le portait une clause des lettres d'abolition. Alain les lui disputa vivement, au moins en ce qui concernait Mortemart, ce qui donna lieu à un long procès au Parlement, dont on trouve les premières traces le 25 mai 1375 (X1a 1470, fol. 150 v°) et le 12 décembre suivant (X1a 25, fol. 7), et qui ne fut terminé par arrêt de la cour que le 6 avril 1379. Pendant ce temps, il s'était produit des incidents curieux qui nous sont révélés par ce document important. Outre les lettres de don du connétable et la confirmation royale qui étaient ses seuls titres, Alain Saisy arguait des frais considérables qu'il avait faits pour réparer et fortifier le château dont Du Guesclin l'avait créé capitaine, avant de lui en donner la propriété. Dans sa plaidoirie, il énumère ses services et le grand nombre de forteresses qu'il avait aidé son chef à reprendre sur les Anglais, et estime à plus de 6,000 francs les sommes qu'il avait consacrées aux travaux de défense de son château. Ayant accompagné le connétable en Bretagne, il avait laissé la garde de Mortemart à son frère Jean Saisy, avec une bonne garnison de gens d'armes. Alors Aimery de Rochechouart s'était créé des intelligences dans la place, avait négocié avec une partie de la garnison et s'étant approché secrètement du château, ses partisans l'y avaient introduit, pendant que Jean Saisy était à l'église ; puis il en avait expulsé de vive force ce dernier et les hommes qui lui étaient restés dévoués. Aimery fit valoir dans sa réponse les services qu'il avait rendus au roi de France, avant le traité de Brétigny, déclarant que, s'il avait servi l'Angleterre et accompagné le prince de Galles dans sa campagne d'Espagne et dans d autres expéditions, il y était obligé par la foi jurée, après la cession de son pays, et que dans le fond de son cœur il désirait redevenir français. Il en cherchait les moyens, quand il fut fait prisonnier avec quelques Anglais dans l'île de... (le nom est illisible, mais on remarquera que ce fait est en contradiction avec le récit de Froissart, d'après lequel Aimery de Rochechouart aurait été pris au combat de Chizé). Cet événement, dit-il, le réjouit fort, parce qu'il lui fournissait le moyen de faire sa soumission à Charles V, ce qu'il fît de son plein gré. En récompense, le roi lui accorda abolition pour le passé et lui restitua les châteaux, terres et biens qui lui avaient été enlevés. Quant à sa rentrée en possession de Mortemart, elle s'était accomplie pacifiquement et du consentement de Jean Saisy. Il avait aidé celui-ci à en emporter tout ce qui lui appartenait et lui avait fourni les chariots nécessaires. C'était au contraire Alain Saisy qui, furieux d'avoir été dépossédé, était venu l'attaquer à Mortemart et avait blessé plusieurs de ses serviteurs. Finalement, la cour reconnut les droits d'Aimery de Mortemart et lui donna gain de cause par cet arrêt du 6 avril 1379 (X1a 28, fol. 283 et s.).
2 La terre de Vivonne appartenait à Aimery II de Rochechouart du chef de sa première femme, Jeanne, fille aînée de Jean II d'Archiac, seigneur de Saint-Germain-sur-Vienne, qui n'eut point d'enfant mâle. Ce dernier lui-même la tenait de sa mère, Marie Chasteignier, qui, devenue veuve de Savary IV de Vivonne, se remaria avec Jean Ier d'Archiac et lui apporta la terre de Vivonne, sur laquelle sa dot était sans doute assise, ce qui autorisa son fils du second lit à porter le titre de seigneur de Vivonne. (Beauchet-Filleau, Dict. des familles de l'anc. Poitou, t. I, p. 81.) Le deuxième fils du second lit d'Aimery II de Rochechouart, qui continua la lignée, se qualifiait seigneur de Mortemart, de Vivonne et de Saint-Germain.
3 Aimery II de Rochechouart, seigneur de Mortemart, de Cercigny, Saint-Germain, etc., fils d'Aimery Ier, dont il a été question dans le vol. précédent (p. 162 et note), et d'Ayde de Pierrebuffière. On ne sait à quelle date exactement il perdit son père. Les généalogistes, après l'avoir mentionné dans un acte de 1365, disent qu'il fut tué à l'assaut de Surgères. De quel assaut est-il question ? Lors de la réduction de la Saintonge et du Poitou, à la fin de l'année 1372, Du Guesclin s'empara de Surgères, le 19 septembre, après un siège de quatre jours. (Campagne de Philippe le Hardi en Poitou et Saintonge, p. 10.) Mais il y a beaucoup d'apparence qu'Aimery Ier était mort bien avant cette date. Quant à Aimery II, il fut armé chevalier par Jean Chandos, pendant l'expédition du prince de Galles en Espagne, où il prit part à la bataille de Najara. Froissart, qui rapporte ce fait et qualifie Aimery de « très bon chevalier », dit aussi que, fidèle au parti anglais, même après la capitulation de Thouars, il ne suivit pas l'exemple des autres barons poitevins qui firent alors leur soumission, mais qu'il se retira à Niort, et qu'il assista dans les rangs anglais à la bataille de Chizé (21 mars 1373), où il tomba entre les mains du vainqueur. (Edit. Siméon Luce, t. VIII, p. 111-114, 312). On a vu dans la note qui précède que cette dernière assertion paraît inexacte. Quoi qu'il en soit, ce fut vers ce temps, et après avoir été fait prisonnier, que le seigneur de Mortemart se décida à se remettre sous l'obéissance du roi de France. Les lettres d'abolition et de restitution de ses biens confisqués que lui accorda Charles V portent la date du 29 avril 1373 (JJ. 104, fol. 73). Dès lors on le trouve qualifié dans les actes conseiller et chambellan du roi. En mai 1379, il obtint des lettres de rémission pour avoir enfermé et fait mourir sa première femme, Jeanne d'Archiac, dans la tour du château de Veyrac ; elle avait avoué ses relations avec un écuyer non nommé, qui l'avait rendue mère (JJ. 115, fol. 26 v°). En 1382, Aimery de Rochechouart poursuivait Jean de Clermont, vicomte d'Aunay, en payement d'une somme de 2,000 francs qu'il lui devait. Celui-ci, prisonnier au Châtelet de Paris, fut élargi sous caution le 30 avril de cette année, jusqu'au lundi suivant, à peine d'être déclaré déchu de ses défenses (X2a 10, fol. 142 v°). Aimery. fut institué sénéchal de Limousin, le 21 novembre 1384 (anc. mémorial E de la Chambre des comptes, fol. 41). Il rendit hommage au duc de Berry, comte de Poitou, le 17 août 1386, fut créé capitaine général en Poitou et Saintonge par lettres de ce prince, datées du 19 décembre 1392, fit son testament le 22 février 1393, élut sa sépulture aux Cordeliers de Poitiers et mourut au mois de février 1397. Il avait épousé, en secondes noces, Jeanne d'Angle, dame de Montpipeau (par donation d'Amaury Pean ou Payen, chanoine de Chartres, son oncle), fille de Guichard d'Angle et de Jeanne Payen de Montpipeau. La généalogie de la famille de Rochechouart donnée par le P. Anselme, t. IV, p. 676 et s., a été reproduite textuellement par La Chenaye-Desbois.