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DLXV

Confirmation des lettres de rémission accordées par le comte de Poitou à Jean Delacroix, de Provins, qui, après avoir suivi de force les Anglais, avait fait sa soumission au sénéchal de Poitou. Grâce à lui, Guillaume Gabel, chanoine de Mirebeau, prisonnier au château de Montignac, avait recouvré sa liberté sans payer de rançon.

  • B AN JJ. 105, n° 145, fol. 83 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 19, p. 316-319
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir veu les lettres dont la teneur s'ensuit :

Jehan, fils de roy de France, duc de Berri et d'Auvergne, conte de Poitou, de Xanctonge et d'Engomois1, lieutenant [p. 317] de monseigneur le roy ès diz pays et en pluseurs autres parties de son royaume. Savoir faisons à tous, presens et avenir, [que] Jehan Delacroix, de Provins, nous a exposé, disans que au temps que le prince de Gales chevaucha en Espaigne pour grever le roy d'Espaingne et son pays, les Anglois eussent prins le dit Jehan et le vouloient mettre à mort, se il ne leur paiast grande rançon, ou que ycelle rançon il gaingnast avec eulx, en les servant telle part qu'il vouldroient et à leur volenté ; et pour eschiver là mort, il leur promist qu'il les serviroit bien et loyaument à son povoir, jusques à tant qu'il eust gaingné sa raençon ; les quelx menerent le dit Jehan en pluseurs lieux et especial ou chastel de Montignac, en nostre conté d'Engoumois, combien que le dit Jehan dict qu'il n'ot oncques vray propos d'estre anglois ne porter domage à mon dit seigneur, ne à nous, ne à nos subgiez. Et combien qu'il ait par pluseurs fois chevauchié avec les diz Anglois et ait prins pluseurs prisonniers et fait pluseurs autres pilleries et roberies, bouter feux et mettre gens à mort, il le faisoit contre sa volenté, ou autrement, s'il ne le feist, il le meissent à mort. Et pour la très grant affection qu'il avoit de venir à l'obeissance de mon dit seigneur et de nous, religieux homme frere Guillaume Dudevois, chamberier de Saint Germain des Prés lez Paris, et monsieur Guillaume Gabet2, chanoinne de [p. 318] Nostre Dame de Mirebeau, qui estoient prisonniers au dit chastel de Montignac, il a delivré et mis hors du dit chastel, sans paier rançon, et s'en est venuz devers nous pour estre et demourer en l'obeissance de mon dit seigneur et de nous, et a fait le serement à nostre seneschal de Poitou d'estre bon et loyal envers mon dit seigneur et nous, si comme nostre dit senesehal nous a fait relacion de vive voix ; si nous a humblement supplié que le voulsissons pardonner et sur ce faire nostre grace. Pour quoy nous, consideré les choses dessus dictes et l'affection que le dit Jehan [a] à deservir à mon dit seigneur et nous, nous, ou dit cas, au dit Jehan de Provins avons pardonné, quittié et remis, pardonnons, quittons et remettons par ces presentes, de l'auctorité royal et certaine science, toute paine et amende corporelle, criminelle et civile, qu'il povoit avoir encouru envers mon dit seigneur et nous, pour cause et occasion des choses dessus dictes, sauve droit de partie à poursuivre civilement, si elle y estoit ; et l'avons remis et remettons par ces presentes à son bon fame et bonne renommée, à son pays et à ses biens. Si mandons à tous seneschaulx, justiciers et officiers de mon dit seigneur et de nous, et à chascun pour soy, si comme à lui appartendra, que le dit Jehan de Provins facent et laissent joir et user paisiblement de nostre presente grace, sans le empeschier en corps ne en biens, en aucune maniere, et aux procureurs de mon dit seigneur et de nous imposons perpetuel scilence sur tous les cas dessus dis et sur chascun d'eulx. Et afin que ce soit ferme chose et estable à tousjours mais, nous avons fait mettre et appouser nostre seel à ces presentes. Donné en nostre ville de Poitiers, [p. 319] l'an de grace mil ccclx. et treze, ou moys de septembre.

Les quelles lettres dessus transcriptes et tout le contenu, nous, ycelles aians agreables, louons, ratiffions et approuvons, et de nostre grace especial et auctorité royal, par ces presentes, confermons. Et donnons en mandement à tous les justiciers, officiers et subgiez de nous et de nostre royaume, à leurs lieux tenans et à chascun d'eulx, presens et avenir, chascun comme à lui appartendra, que de nostre presente confirmacion le facent, souffrent et laissent joir et user, et contre la teneur d'icelle ne l'empeschent en aucune maniere, en corps ou en biens, et ce qui seroit fait au contraire, le mettent à delivrance et à estat deu. Et pour ce que ce soit ferme chose et estable à tousjours, nous avons fait mettre nostre seel à ces presentes. Sauf en autres choses nostre droit et l'autrui en toutes. Donné à Paris, l'an de grace mil ccc. lxxiii. et de nostre regne le xe, ou mois de octobre.

Par le roy, à la relacion du conseil. J. de Coiffy.


1 Le duc de Berry séjourna à Poitiers et en Poitou du commencement d'avril au 8 novembre 1373, en mars et avril 1374, et de juillet à novembre de la même année. (Voy. son itinéraire en téte de ce volume.) Nous signalerons ici quelques actes de son gouvernement à cette époque. Le 27 août 1373, il manda au maire de Poitiers de défendre, sous des peines sévères, aux gens d'armes qui étaient dans la ville d'en sortir pour prendre du fourrage, du blé, de l'avoine, des bestiaux ou des étoffes, à l'exception du foin et de la paille. (Acte daté de Poitiers. Arch. municipales, E. 14.) Des lettres de ce prince, datées de la même ville, le 14 octobre suivant, portent injonction aux commissaires chargés de lever certaines impositions dans les châtellenies de Poitiers, de Chauvigny, de Mortemer, Gençay et Château-Larcher, et dans plusieurs autres paroisses, d'apporter sans délai à Poitiers les sommes reçues par eux. (Id., I. 17.) Par autres lettres données à Mirebeau, le 3 mars 1374 n. s., le duc de Berry fit défense expresse au maire de Poitiers de laisser entrer en ville aucuns gens d'armes, quels qu'ils soient, si ce n'est par son ordre. (Id., E. 15.)
On voit ici que la Saintonge et l'Angoumois faisaient partie de l'apanage de Jean de France. Il fit rétrocession de ces deux comtés au roi par acte de septembre 1374. (Arch. nat., Chambre des comptes, P. 2295. p. 275.) En échange, Charles V fit don à son frère de 47,000 francs d'or et de la rançon qu'il pourrait tirer de Thomas de Percy. (Lettres de mars 1375 n. s., J. 382, n° 5.) Ce célèbre chevalier anglais, qui avait succédé à Jean Chandos comme sénéchal de Poitou en 1370, avait été fait prisonnier par les Français à la fin de juillet ou au commencement d'août 1374, et conduit au duc de Berry (KK. 252, fol. 22, 28 v°, 31).
2 La captivité de Guillaume Gabet au château de Montignac ne paraît pas devoir remonter à l'expédition du prince de Galles en Espagne ; elle doit être plutôt reportée aux années 1369 ou 1370, alors que le Mirebalais, frontière entre le Poitou occupé par les Anglais, et la Touraine, où se concentraient les forces françaises, était le théâtre de la guerre. Il y avait eu au commencement du xive siècle un prévôt de l'église de Poitiers du nom de Guillaume Gabet, sur lequel les archives de cette ville renferment un assez grand nombre de documents. (Voy. l'Inventaire de ces archives par M. Rédet, publ. par MM. A. Richard et Ch. Barbier, pour la Société des Antiquaires de l'Ouest, Poitiers 1883, in-8°, nos 447, 449, 473, 481, 1913, 1914.)