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DLVIII

Don à Alain de Beaumont du château et de la châtellenie de Sainte-Néomaye, et des terres en dépendant, d'une valeur de six cents livres de rente, confisqués sur le sire de Mussidan, rebelle. Alain de Beaumont avait pris et remis ledit château en l'obéissance du roi.

  • B AN JJ. 107, n° 194, fol. 91 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 19, p. 296-300
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à touz, presens et avenir, que comme le sire de Mucidan1, du quel nous sommes seigneur [p. 297] souverain et droiturier, se soit rendu nostre rebelle et desobeissant en ce que il a tenu le parti de nostre adversaire d'Angleterre, en la guerre que il nous a nouvellement meue, et se soit armez et ait fait guerre contre nous et noz subgiez, comme adherent, allié et de l'obeissance de nostre dit adversaire, en commettant crime de lèse majesté envers nous, par quoy le chastel et chastellenie de Saincte Enomoye en Poitou, que il tenoit, et toutes les autres terres et possessions que il tenoit et tient en nostre royaume, en quelque povoir et jurisdicion que ce soit, nous sont acquis et confisquiez ; nous, pour consideracion des bons et loyaulx services que nostre amé et feal chevalier, Alain de Beaumont2, nous a faiz en noz guerres et fait [p. 298] chascun jour, et esperons que encores fera ou temps avenir, le quel a pris et mis le dit chastel en nostre obeissance, à ycellui Alain avons donné et octroié, de grace especial, de certaine science et de nostre [auctorité] royal, et, par la teneur de ces lettres, donnons et octroions, pour lui et pour ses hoirs et successeurs, et aianz cause de lui, le chastel et chastellenie dessuz diz, avec toutes leurs appartenances et appendences, en la valeur de six cens livres de terre à tournois, à tenir par lui et par ses diz hoirs et successeurs ou aianz cause perpetuelment et à tousjours. Si donnons en mandement à touz les justiciers de nostre royaume, presens et avenir, ou à leurs lieux tenans et à chascun d'eulx, si comme [p. 299] à lui appartiendra, que le dit Alain ou ses genz pour lui mettent et tiengnent en possession et saisine des diz chastel et chastellenie et appartenances, en la valeur dessuz dicte, et l'en facent et lessent et ses diz hoirs et successeurs joir et user paisiblement et perpetuelment, cessant tout empeschement. Et toutes voies nostre entencion est que, se par traictié de paix ou autrement estoit accordé que la dicte forteresse fust rendue ou temps avenir au dit sire de Mucidan, ou aus aianz cause de lui, le dit Alain ne nous en puisse demander, ne nous ne soions tenuz de lui en faire aucune recompensacion. Et que ce soit ferme chose et estable à tousjours, nous avons fait mettre nostre seel à ces presentes. Sauf en autres choses nostre droit et l'autrui [p. 300] en toutes. Donné à Paris, ou moys de mars l'an de grace m. ccc. lxxii, et le ixe de nostre regne3.

Par le roy. Yvo.


1 Raymond de Montaut, sire de Mussidan, avait reçu Sainte-Néomaye en gage de Charles d'Artois et de Jeanne de Bauçay (voy. notre vol. précédent, p. 361, note, et la notice consacrée à ce personnage dans le présent volume, p. 150).
2 Chevalier breton, qui ne paraît avoir aucun lien de parenté avec les Beaumont de Bressuire ; il était neveu de Du Guesclin et avait un frère nommé Jean. Tous deux avaient accompagné leur oncle en Espagne. Dans les premiers mois de 1370, ils assiégeaient Soria, bourg qui avait été donné par don Enrique à Du Guesclin, mais refusait de reconnaître celui-ci comme seigneur. Du Guesclin était venu renforcer ses neveux, quand il reçut de Charles V plusieurs messages pressants pour rentrer en France. Après la prise de Soria, il vint en effet retrouver le duc d'Anjou à Toulouse, dans la première quinzaine de juillet. (S. Luce, édit. de Froissart, t. VII, p. xcxvii, note.) Alain et Jean le suivirent et prirent part à toutes ses campagnes. Nous ferons remarquer que dans plusieurs montres du connétable des années 1370 et 1371, on trouve parmi les chevaliers sous ses ordres deux Alain de Beaumont ainsi désignés : Monsr Alain de Beaumont l'aîné, et monsr Alain seigneur de Beaumont (1er déc. 1370, à Caen ; 1er mai 1371, à Pontorson ; 1er juin 1371, à Bourges ; dom Morice, Hist. de Bretagne, Preuves, t. Ier, col. 1644, 1650 et 1651). Qu'il s'agisse de l'un ou de l'autre de ces deux chevaliers, les documents relatifs à Alain de Beaumont que l'on trouvera dans ce volume et ceux dont il va être question se rapportent à un seul et même personnage.
Un acte de novembre 1378 publié plus loin contient de nombreux détails sur les exploits d'Alain de Beaumont en Poitou pendant les années 1371 et 1372, et notamment sur la prise de Melle de Lezay, de Chef boutonne et d'autres places voisines, faits importants dont nous essaierons de déterminer la date. Il fut nommé capitaine du château et de la ville de Saint-Maixent, après la capitulation du château, c'est-à-dire dans les premiers jours de septembre 1372. Nous avons vu en effet (ci-dessus, p. 155, note 3) que Saint-Maixent ouvrit ses portes à l'armée française le 1er septembre, et que le château résista pendant trois jours. Alain de Beaumont avait eu part à ce succès ; le 28 septembre suivant, il s'engageait en qualité de capitaine de la ville et du château, par acte passé devant notaire, à rendre dans un certain temps fixé, à Guillaume de Vezançay, abbé de Saint-Maixent, les clefs de la porte Charraud, qui lui avaient été remises pour les nécessités militaires, mais qui étaient ordinairement sous la garde de l'abbé. (Collection dom Fonteneau, t. XVI, p. 281.) C'est vers cette époque, mais postérieurement au 27 octobre, comme on a pu le voir dans l'acte de donation à Imbaud du Peschin (ci-dessus, p. 149), qu'il convient de placer la prise de Sainte-Néomaye, dont les présentes lettres de Charles V attribuent tout le mérite à Alain, et que lui-même dit ailleurs avoir exécutée à ses propres coûts et dépens. (Arch. nat., X1a 1472, fol. 292.) La donation du château et de la châtellenie de Sainte-Néomaye, qu'Alain de Beaumont conserva pendant quinze ans, lui fut confirmée et amplifiée le 10 février 1377 par lettre du roi qui sera publiée à sa date. Nous renvoyons à cet endroit tout ce qui a trait aux divers possesseurs de ce domaine et au procès qui fut la conséquence de la libéralité royale.
Alain, au témoignage de Froissart, assista au combat de Chizé, le 21 mars 1373, où Du Guesclin remporta une victoire si complète sur les Anglais. (Edit. S. Luce, t. VIII, p. 111-114, 312.) Pour reconnaître ses éminents services, le duc de Berry lui conféra les fonctions de sénéchal de Poitou. Sur la liste de ces officiers, le nom d'Alain de Beaumont figure entre Jean La Personne, vicomte d'Aunay, et Perceval de Cologne (pour ce dernier voy. ci-dessus, p. 200, note), mais on ne connaît pas la date de ses provisions ni l'époque précise où il fut remplacé. On sait seulement qu'il n'en exerçait pas encore la charge le 4 juillet 1373 et que, le 26 octobre suivant, il en portait le titre. En effet, à cette première date, Jean de France envoya de Poitiers un messager, porteur de lettres pour messire Alain, pour le sénéchal, et pour le receveur de Poitiers, qui se trouvaient alors réunis à Saintes. (Registre de comptes de l'hôtel du duc, KK. 251, fol. 94 v°.) Le 21 juillet suivant, c'est avec Jean de Beaumont, le frère, que le duc de Berry correspond de Niort ; il lui envoie un chevaucheur à Sainte-Néomaye, où il était encore le 30, et le 20 août à Saint-Maixent. (Id. ibid., fol. 127 r° et v°.) Le 14 octobre 1373, le duc avait rendu à Poitiers une ordonnance portant injonction aux commissaires chargés de lever certaines impositions dans les châtellenies de Poitiers, de Chauvigny, de Mortemer, de Gençay, de Château-Larcher, et dans plusieurs paroisses y dénommées, d'apporter sans délai à Poitiers les sommes reçues par eux, et le 26, daté de la même ville, l'on a un mandement d'Alain, sénéchal de Poitou, pour l'exécution de cet ordre. (Archives de la ville de Poitiers, I. 7, carton 23.) Il remplissait encore les mêmes fonctions, le 14 mars 1374, comme le prouve l'extrait de compte suivant : « A messire Alain de Beaumont, seneschal de Poitou, que monseigneur (le duc de Berry) fit paier pour ses despens faiz à Vovent, mardi xiiiie jour de mars, qu'il ala en sa compaignie veoir madame de Partenay, vi livres tournois. » (KK. 252, fol. 18 v°.) Nous le retrouvons ensuite au siège de Bergerac (1377), sous les ordres du duc d'Anjou et du connétable. (Froissart, édit. Kervyn de Lettenhove, t. IX, p. 4 et suiv.) A la fin de l'année suivante, il était retenu pour servir en Guyenne et en Bretagne avec quarante hommes d'armes de sa compagnie et 200 fr. pour son état par mois. (Voy. lettres du 13 février 1379 n. s., L. Delisle, Mandements de Charles V, p. 895.) Après la mort de Du Guesclin, il s'attacha à Olivier de Clisson, assista à l'entrée de la reine Isabeau de Bavière à Paris (1389) et fut l'un des arbitres des différends entre le duc de Bretagne le comte de Penthièvre et Clisson, en 1394-1395. (Froissart, id., t. XIV, p. 21 ; t. XV, p. 208.) On trouve encore des lettres de Charles VI, permettant à Alain de Beaumont de fortifier son hôtel du Molay-Bacon, au bailliage de Caen, 2 juillet 1387 (JJ. 131, n° 79, fol. 44 v°). Ses armes étaient : trois pieds de biche au bâton en bande brochant ; penché, timbré d'un heaume couronné et cimé d'un pied de biche dans un vol, supporté par un lion et un dragon ailé ; dans le champ, deux trèfles, comme on le voit sur son sceau appendu au bas d'une quittance de gages desservis pendant la chevauchée de Bourbourg, le 6 septembre 1383. (G. Demay, Inventaire des sceaux de la coll. Clairambault, t. I, p. 83.)
3 L'original scellé de ces lettres est conservé dans les layettes du Trésor des chartes (Archives nat., J. 181B, n° 92) et nous a servi pour collationner le présent texte. La donation de Sainte-Néomaye à Alain de Beaumont par Jean duc de Berry, comte de Poitou, suivit et ne précéda pas le don royal, ce qu'il est bon de noter. Elle est datée de Poitiers, le 13 avril 1373. (Id. ibid, n° 93.) La confirmation de ces actes sera publiée ci-dessous, au 10 février 1377.