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CCCCXC

Don à Jean de Villemur des châteaux de Gençay et de Plassac, encore occupés par les Anglais.

  • B AN JJ. 100, n° 804, fol. 240
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 19, p. 41-44
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, que, pour consideracion des bons et agreablez servicez que nostre amé et feal chevalier, Jehan de Villemur1, nous a fais le temps passé, fait encores chascun jour et esperons qu'il nous face ou temps avenir, à ycellui [p. 42] chevalier pour lui, pour ses hoirs et pour ceulz qui de li ont ou auront cause, avons donné et octroyé et par ces presentes donnons et octroions de grace especial, certeinne science et de nostre auctorité royal, li chastiaulz de Gensay et de Plasac avecques les appartenances et appandences de yceulz chastiaulz, jusques à la somme de m. livrées de terre à parisis, qui furent, c'est asavoir le dit chastel de Gensay de Adam Chel, dit d'Agorisses2, chevalier anglois, nostre anemi et rebelle, et le dit chastel de Plasac de feu Jehan de Chandos, [p. 43] chevalier anglois, qui nagaires est mors nostre anemi et rebelle3, à tenir, avoir et posseder les dis chastiaulz avec leurs appartenances et appandances, jusques aux dictes mil livrées de terre par le dit Jehan de Villemur, ses hoirs et successeurs et aianz cause, à tous jours perpetuelment. Si donnons en mandement aus senescalx de Poitou et de [p. 44] Xantonge, et à tous nos autres justiciers et officiers subgiez, presens et avenir, et à chascun d'eulx, si comme à li appartendra, que le dit Jehan de Villemur mettent ou facent mettre realment et de fait en possession et saisine des diz chastiaulx et des appartenances et appandances d'iceulz, jusques à la dite somme, et d'iceulz facent, sueffrent et laissent joir et user paisiblement le dit Jehan de Villemur, ses hoirs et successeurs à tous jours perpetuelment, sens leur mettre ou souffrir estre mis aucun empeschement. Pourveu toutevoie que, se par traictié ou autrement les diz chastiaulz et appartenances estoyent rendus ou temps avenir, nous ne nos successeurs ne serions tenus d'en faire aucune recompensacion. Et pour ce que ce soit ferme, etc. Sauf, etc. Donné à Paris, le second jour de mars mil ccc. lxix, et de nostre regne le vie.

Par le roy. P. Michiel. — Visa.


1 Quelques jours auparavant, le 23 février 1370, Charles V avait déjà fait don à Jean de Villemur du château et de la ville du Blanc-sur-Creuse, qu'il venait de prendre et de remettre sous l'obéissance du roi (JJ. 100, n° 292, fol. 85). Il est vrai qu'un acte du mois de décembre de la même année (id., fol. 222, n° 751), porte révocation de cette largesse, avec promesse de compensation, et fait cession dudit château à Guy et à Guillaume de La Trémoïlle, sous prétexte qu'il avait appartenu à leurs ancêtres maternels. Nous publierons ces lettres de don à leur date. Jean était fils du vicomte de Villemur et avait un frère nommé Robert. Le roi leur fit encore don à tous deux, le 24 avril 1370, des biens meubles et immeubles confisqués sur Bego de Marcenac dans le Rouergue et le Caoursin (JJ. 100, n° 819, fol. 244 v°). Suivant Froissart, Jean de Villemur guerroyait, au commencement de 1369, sur les frontières du Limousin, de l'Auvergne et du Quercy, sous les ordres de Jean duc de Berry, avec Jean d'Armagnac, Roger de Beaufort, les seigneurs de Beaujeu, de Villars et de Chalançon. Le 21 août 1370, lorsque Limoges assiégée par les Français, fit sa soumission au duc de Berry, grâce à l'entremise de l'évêque, Jean de Cros, ce prince en confia la garde à une garnison de cent lances commandée par Jean de Villemur, Hugues de la Roche et Roger de Beaufort. Mais ces trois chevaliers ne purent repousser l'attaque du prince de Galles, qui vint assiéger Limoges, dès le 14 septembre suivant, et la reprit d'assaut le 19, livrant les habitants au massacre et leurs maisons au pillage. Jean de Villemur et les deux autres capitaines tombèrent au pouvoir du vainqueur (édit. S. Luce, t. VII, p. 57, 111, 114). Cet échec grave ne fut pas étranger peut-être à la révocation du don de la ville du Blanc, dont il est question ci-dessus. Dès lors le rôle de Jean de Villemur dans les événements militaires paraît à peu près terminé, et il ne survécut pas longtemps. Nous ne savons pas exactement la date de sa mort ; elle eut lieu toutefois avant le 15 mai 1375. Il laissait deux enfants en bas âge, Jacques et Jean de Villemur. Leur oncle Robert leur fit nommer par le Parlement deux tuteurs et curateurs pour leurs procès, Armand Gruyer et Jean Cadeau, procureurs au Parlement. (Lettres de cette date, X1a 24, fol. 61 v°).
2 Grâce aux présentes lettres, M. Luce, le premier parmi les éditeurs de Froissart, a donné le véritable nom de ce chevalier anglais qui était resté un mystère pour ses devanciers. (Edit. de Froissart, t. VII, p. liv, note 2.) Originaire du pays de Galles, marié en Poitou à la dame de Mortemer, veuve de Guy Sénéchal, sur laquelle nous donnerons quelques renseignements dans un autre endroit de ce volume, Adam Chel, que Froissart appelle messire d'Aghorisses, et dont le nom est souvent défiguré dans les actes de l'époque jusqu'à prendre la forme Gregoriset ou Gregoriser (ci-dessous, p. 47), fut l'un des principaux acteurs des événements de notre province dans les guerres dont elle fut le théâtre à cette époque. Il figurera fréquemment dans les actes publiés dans le présent volume. De Gençay, dont il est question ici, il avait fait une place tellement forte et si bien défendue par la garnison qu'il y entretenait, qu'elle brava les attaques des capitaines français et même de Du Guesclin, longtemps après que le reste du Poitou eût été évacué par les Anglais. Elle résista plus longtemps même que Lusignan, et nous verrons qu'elle ne capitula qu'au mois de février 1375. Jean de Villemur par conséquent ne profita jamais de la libéralité de Charles V.
Nous allons résumer très brièvement, d'après Froissart, les faits de guerre auxquels le seigneur d'Agorisses se trouva mêlé. Vers le mois d'août 1369, il fut battu avec Simon Burleigh et la garnison anglaise de Montreuil-Bonnin, suivant la Chronique normande (édit. A. et E. Molinier, p. 192), par sept cents Français ayant à leur tête Jean de Bueil, Guillaume des Bordes, Louis de Saint-Julien et Jean de Kerlouet, dans un combat livré près de Lusignan. Les deux chefs anglais demeurèrent prisonniers. (Edit. Luce, t. VII, p. 120. 121.) Adam Chel prit part aussi au siège de Moncontour, défendit la Rochelle et Soubise, assista au combat de Niort, où il se renferma et dont il fut l'un des capitaines, de septembre 1372 à mars 1373. Enfin il combattit à Chizé, où il demeura prisonnier de Du Guesclin, le 21 mars 1373. (Froissart, édit. Kervyn de Lettenhove, t. VIII, p. 88, 139, 147, 165, 210, 218, 220, 225-234.) Rendu à la liberté, on ne sait au bout de combien de temps, il s'enferma dans son château de Gençay. Les registres du Trésor des chartes contiennent un assez grand nombre d'actes relatifs au sieur d'Agorisses ; la plupart sont des donations de biens confisqués sur lui et sa femme, preuve qu'il avait fait des acquisitions importantes en Poitou et en Saintonge, ou que le prince de Galles s'était montré généreux envers lui. Parmi ceux dont le texte ne figure point dans le présent volume, nous citerons le don fait à Perrotin Darc, bourgeois de la Rochelle, de trois cents livres de rente sur la terre de la Sauzaie, paroisse de Saint-Xandre, dans le grand fief d'Aunis. (Lettres du 20 avril 1370, JJ. 100, n° 808, fol. 240 v°.) Cette terre était devenue la propriété d'Adam Chel, parce que Durmas de Sainte-Maure, chevalier, son prisonnier, ruiné par trois rançons successives, s'était vu obligé de la lui céder pour racheter sa liberté. Ce chevalier qui servait sous Du Guesclin, dans son expédition en Poitou et en Saintonge, obtint de Charles V restitution de ladite terre par lettres du 10 septembre 1372 (JJ. 103. n° 184, fol. 97 v°). Après la reddition de Gençay, le sire d'Agorisses retourna en Angleterre et y emmena sa femme. Celle-ci ne revint en Poitou qu'en 1398, sans doute après la mort de son mari.
3 On sait que Jean Chandos avait pris possession du Poitou au nom du roi d'Angleterre, en septembre et octobre 1361 (A. Bardonnet, Procès-verbal de délivrance, etc.). Nous ne rappellerons pas ici les faits et gestes du célèbre lieutenant du prince de Galles dans notre province, dont il fut sénéchal pendant la seconde moitié de l'année 1369, comme l'a établi M. S. Luce (édit. de Froissart, t. VII, p. lxxv, note). Il portait aussi le titre de connétable d'Aquitaine. Le combat de Lussac, où Chandos fut blessé mortellement eut lieu le matin du jour de l'an, mardi 1er janvier 1370 n. s. Suivant la première rédaction de Froissart, il aurait survécu trois jours, et d'après la seconde, un jour et une nuit seulement, à sa blessure. La tradition constante du pays, d'accord avec Froissart, est que l'illustre guerrier expira à Mortemer (canton de Lussac, Vienne), où il fut enterré et où son tombeau existait encore, dit-on, au commencement de la Restauration. Indépendamment de ce tombeau, un monument fut élevé à l'endroit même où Chandos avait été frappé mortellement, à l'extrémité occidentale du pont de Lussac. aujourd'hui détruit, sur le territoire de la paroisse de Civaux. (S. Luce, loc. cit., p. lxxxvi.) Voy. aussi B. Fillon, Jean Chandos, Fontenay, 1850, et L. Delisle, Histoire de Saint-Sauveur-le-Vicomte, dont Chandos était seigneur.