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Lettres portant don de rançon et rémission en faveur de Guyon Grassin, habitant de Poitiers, en récompense d'un secret militaire qu'il avait révélé au roi. Après avoir servi sous le duc de Lancastre, il avait été fait prisonnier et mis à rançon au profit de la comtesse d'Artois, au moment où il rentrait faire, sa soumission.

  • B AN JJ. 105, n° 42, fol. 32
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 19, p. 319-322
D'après a.

Charles, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et advenir, que, comme Guyon Grassin, habitant de nostre ville de Poitiers, ait servi par aucun temps en Guienne et en Angleterre le duc de Leneastre1, et [p. 320] demouré avec lui en Angleterre et aussi en Bretaingne, depuis que nostre dicte ville se fust rendue à nostre obeissance, et quant le duc de Lencastre passa ceste darraine fois en nostre royaume, ycellui Guyon fust passez par deça, en entencion de venir devers nous, pour soy soubzmettre à nostre obeissance et nous dire pluseurs choses secretes touchans le fait de nostre guerre, et pour ce faire et accomplir, se fust venus rendre à un fort appellé Nyelles ès parties de Picardie, quant le dit duc se desloga de devant ycellui fort, toutes voies le dit Guyon fust pris et retenus du capitaine d'icellui fort comme prisonnier, et en fut mener à Saint Orner, et illecques mis ès fers et finablement raençonné au profit de nostre cousine la contesse d'Artois2, ou d'autres, en six vins francs ; et depuis ces choses soient venues à nostre congnoissance par son pourchas ; pour quoy nous, aians voulu avoir le dit Guyon devers nous, et pour [p. 321] ce feismes expressement commander par l'un de noz gens à Andrieu le Mazuyer, escuier, qui l'avoit en garde, que comment qu'il fust il le nous admenast, le quel Andrieu, par nostre dit commandement à lui fait, l'admena et fist venir à Paris en sa compaignie. Et ainsi lui venu, nous feismes parler à lui aucuns de noz gens, que nous cornmeismes pour savoir son entencion sur les paroles qu'il nous vouloit dire, et nous en rapporter ce qu'il trouveroient. Les quelx noz gens nous aient fait leur rapport, dont nous avons esté bien contens. Nous, ces choses considérées, veans la bonne volenté que le dit Guyon a eu comme nostre bon et loyal subget de revenir, tantost qu'il a peu, à nostre dicte obeissance et laissier noz dis ennemis, et aussi qu'il a juré aus sainctes ewangilles d'estre doresen avant bon, vray et loyal subgel et obeissant de nous et de nostre royaume, à icellui avons donné et donnons sa dicte raençon, de la quelle nous ferons tant par devers nostre dicte cousine ou autres, à qui il appartendra, qu'il devra souffire, et par ainsi l'avons mis et mettons, de grace especial et certaine science, et nostre auctorité royal, du tout au delivre et hors de la garde et des mains du dit escuier. Et en oultre au dit Guyon avons remis, quictié et pardonné, quittons, remettons et pardonnons, de nostre auctorité royal, certaine science et grace especial dessus dictes, par ces presentes, toute peine et amende corporelle, criminele et civil, en quoy il pourroit estre encheu envers nous, pour cause et occasion des choses dessus dictes ou aucunes d'icelles. Et l'avons remis et remettons à son pays, à sa bonne renommée et [à] ses biens quelconques, en imposant à tous les justiciers de nostre royaume scilence perpetuel, qui à cause de ce que dit est lui vouldroient demander aucune chose. Si donnons en mandement au gouverneur de nostre bailliage d'Amiens, à tous nos seneschaux, baillis et autres officiers et justiciers dessus diz, et à tous autres à qui il pourra touchier et appartenir, ou à [p. 322] leurs lieux tenans et à chascun d'eulx, presens et advenir, que le dit Guyon il laissent, facent et seuffent joir et user paisiblement des choses dessus dictes et chascune d'icelles, et contre la teneur de ces presentes ne l'empeschent ou seuffrent estre empeschié, arresté ou molesté en corps ou en biens pour jamès, en remettant ou faisant remettre au premier estat et deu tout ce qui seroit trouvé estre fait au contraire. Et adfin que ce soit ferme chose et estable à tousjours, nous avons fait mettre nostre seel à ces presentes lettres. Sauf en autres choses nostre droit et l'autrui en toutes. Donné à Paris, en nostre chastel du Louvre, le xxviiie jour de novembre l'an de grace mil trois cens soixante et treze, et le xe de nostre regne.

Par le roy. J. Tabari.


1 Jean de Gand, comte de Richmond, puis duc de Lancastre, 4e fils d'Edouard III, roi d'Angleterre, né à Gand en 1340, accompagna le prince de Galles, son frère, dans l'expédition d'Espagne, en 1367. Le 8 octobre 1370, son père lui fit don de la Roche-sur-Yon. (Acte publié dans les Mémoires de la Société des Antiquaires de l'Ouest.) Après son mariage avec Constance, fille de Pierre le Cruel, il prit le titre de roi de Castille. Quand le prince de Galles malade quitta le Poitou en 1371, pour aller rétablir sa santé en Angleterre, il laissa le duc de Lancastre à sa place, et celui-ci ne put qu'assister, sans y porter remède, aux défaites multipliées de ses lieutenants sur le continent. Dans l'espoir de relever le prestige des armes anglaises, il conçut le plan de l'expédition hardie, rappelée dans les présentes lettres. Débarqué à Calais, le 20 juillet 1373, à la tête de vingt-cinq ou trente mille hommes, il fit traverser la France à cette armée pour gagner Bordeaux ; mais ce voyage ne fut marqué aussi que par des revers ; sans avoir pu livrer une seule grande bataille, ce qu'il espérait sans doute, harcelé tout le long de sa route par des troupes bien commandées et habituées aux guerres d'embuscade, il arriva dans la capitale de la Guyenne, ayant perdu les trois quarts de ses effectifs. Dans un acte du 4 avril 1373, relatif au ravitaillement de Lusignan, le duc de Lancastre s'intitule roi de Castille et lieutenant du roi de France et d'Angleterre ès parties d'Aquitaine. (J. Delpit, Documents français en Angleterre, t. Ier, 1847, p. 191.) Il vivait encore en 1389, et cette année, le roi Richard II fit revivre en sa faveur le titre de prince d'Aquitaine.
2 Isabelle de Melun, veuve de Pierre, comte de Dreux, fille de Jean de Melun, comte de Tancarville, grand chambellan de France, et d'Isabelle, dame d'Antoing, sa seconde femme, avait épousé, par contrat du 11 juillet 1362, Jean d'Artois, surnommé sans terre, comte d'Eu et de Saint-Valery (août 1321-6 avril 1386). Elle mourut l'an 1389.