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DXC

Don au connétable du Guesclin de la tour et de la forteresse de Chitré avec toutes les terres qui en dépendaient, saisies sur un écuyer nommé Huguet Beuf, partisan des Anglais. Après avoir obtenu une première fois sa grâce en promettant d'être fidèle au roi, il avait violé sa parole et continué de servir l'Angleterre.

  • B AN JJ. 108, n° 78, fol. 51
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 19, p. 388-390
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à touz, presens et avenir, que comme Huguet Buef1, escuier, qui, depuis que nostre adversaire d'Angleterre nous commença les presentes guerres, fu pris tenant le parti de nostre dit adversaire par noz genz, au quel nous pardonnasmes ce que il avoit mespris en ce fait envers nous, par ce que il nous promist tenir nostre parti ès dictes guerres et nous servir contre [p. 389] nostre dit adversaire, ait esté depuis devers noz ennemis et à present ait esté pris sur la mer en la compaignie du sire de Lespare2, en alent en Angleterre, ès quelles choses faisant a commis crime de lese majesté envers nous, par quoy la tour et forteresse de Chitré3, que il avoit en Poitou, et toutes les terres et revenues et appartenances d'icelle nous sont acquis et venuz en commis ; nous, pour contemplacion des bons et loyaulx services que nostre amé et feal connestable nous a faiz en noz guerres et fait encores chascun jour, lui avons donné de grace especial et de nostre auctorité royal et certaine science, et donnons par la teneur de ces presentes la dicte tour et forteresse avecques toutes les terres, revenues et appartenances, en quelxconques choses et lieux que il soient, justice, seignorie, fiez, arrierefiez, hommes, hommages, avecques la juridicion et justice, telle comme le dit Huguet les y avoit, et toutes appartenances et appendences d'icelle tour et forteresse, comment que il soient diz ou appelez, en la [p. 390] valeur de cent livres de terre ou de rente annuelle à tousjours, à tenir par nostre dit connestable et par ses hoirs et successeurs et aianz cause de lui, à tousjours mais, non obstans autres dons que faiz lui aions et que en ces lettres ne soient exprimez, ne ordenances ou deffenses quelxconques au contraire. Si donnons en mandement au bailli de noz Exempcions de Touraine et de Poitou, et à touz les autres justiciers de nostre royaume, presens et avenir, ou à leurs lieuxtenans, et à chascun d'eulx, si comme à lui appartendra, que nostre dit connestable, ou ses genz pour lui, mettent ou facent mettre en possession et saisine de la tour, forteresse, terres, revenues et appartenances dessus dictes, en la valeur dessus dicte, et l'en lessent et facent, et ses diz hoirs et successeurs et ceulx qui auront cause de lui, joir et user paisiblement et perpetuelment, cessant tout empeschement. Et que ce soit ferme chose et estable à tousjours, nous avons fait mettre à ces lettres le seel royal ordené en l'absence du grant. Sauf en autres choses nostre droit et l'autrui en toutes. Donné à Paris, le xie jour de janvier l'an de grace m. ccc. lxxv. et le xiie de nostre regne.

Par le roy. Yvo.


1 Fils de Jean Beuf, aussi seigneur de Chitré, fief tenu à hommage lige de l'évêque de Poitiers et qui, au commencement du xive siècle, appartenait encore à la famille du même nom. Jeanne de Chitré rendit aveu de cette terre et de ces dépendances à l'évêque Arnaud d'Aux, le 8 avril 1309. (Voy. Cartul. de l'êvêché de Poitiers, dit le Grand-Gauthier, publié par M. Rédet, t. X des Arch. hist. du Poitou, p. 274.) De 1343 à 1348 au moins, on trouve une Eléonore de Gençay, aliàs de Niçay, dame de Chitré, veuve et tutrice de plusieurs enfants mineurs. Elle était à cette époque en procès avec Fort d'Aux, évêque de Poitiers, à cause de cent sous de rente annuelle que celui-ci réclamait sur le quart de la terre de Chitré. A la requête de l'évêque, ledit quart avait été placé sous la main du roi ; mais, par arrêt du 9 août 1343, faisant droit à la demande d'Eléonore, la cour en ordonna la mainlevée (X1a 9, fol. 477 v°). Le 1er juin 1346, le Parlement donna permission aux parties de conclure un accord, sans être tenues à aucune amende (X1a 10, fol. 364 v°), et cette autorisation leur fut renouvelée le 27 avril 1348 (X1a 12, fol. 102). Peut-être cette dame épousa-t-elle en secondes noces Jean Beuf, ce qui expliquerait l'entrée de ce fief dans la famille Beuf, pour la généalogie de laquelle M. Filleau a recueilli quelques éléments. (Dict. des familles de l'anc. Poitou, t. I, p. 374.) Du Guesclin ne resta pas longtemps en possession de Chitré. Ce domaine fut donné, peu de temps après, par le duc de Berry à l'un de ses vieux serviteurs, Pierre de Vieuxbourg, et celui-ci le céda lui-même, le 4 septembre 1378, à Guy Turpin de Crissé, qui possédait déjà une rente annuelle de vingt setiers de froment et de nuit livres en deniers sur l'hébergement et ses appartenances. L'acte de cession ou de vente, avec la confirmation qui en fut faite par le roi, le 11 décembre 1378, sera publié ci-dessous à cette dernière date.
2 Florimond, sire de Lesparre, fit hommage au roi d'Angleterre à Agen, le 26 décembre 1363. Il accompagna au siège de Limoges (septembre 1370) le prince de Galles, qui le nomma, peu de temps après, l'un des gouverneurs de la Gascogne. (Froissart, édit. Kervyn de Lettenhove, t. VIII. p. 31, 60, 65, 104, 110.) Le sire de Lesparre demeura toute sa vie fidèle aux Anglais. Le 28 septembre 1375, Edouard III lui accorda une rente de quatre-vingts livres, et sous la date du 8 avril 1394, on trouve mention d'un sauf-conduit « pro Florimundo domino de Lesparre, vicecomite d'Orte, domino de Castelhon, in regnum Anglie veniendo, pro arduis negotiis statum Aquitanie concernentibus ». (Th. Carte, Catalogue des rôles gascons, in-fol., t. I, p. 179.)
3 La tour de Chitré, qui avait une forte garnison anglaise, fut prise par le duc de Bourbon quelques jours après la réduction de Poitiers, au mois d'août 1372. Les habitants de cette ville « lui requeirent plus avant comment de une place près de là, appellée la Tour de Citri. qui leur faisoit forte guerre, il les voulsist deslivrer. Auxquels le duc de Bourbon dit qu'il feroit son debvoir de la prendre, et y envoya tantost les gens de son hostel, qui y demeurèrent sept jours et puis la prindrent, dont ceulx de Poictiers ne furent oncques si lies ; et donnerent au duc de Bourbon deux cents marcs d'argent pour les bons services qu'il leur avoit faits. » (La chronique du bon duc Loys de Bourbon, par Jehan Cabaret d'Orville, publ. pour la Société de l'Histoire de France par M. Chazaud, 1876. in-8°, p. 90.)