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DXXXIII

Lettres d'abolition données en faveur d'Isabelle d'Avaugour, vicomtesse de Thouars, dame de Talmont, et de ses sujets de Poitou, de Saintonge et d'Angoumois.

  • B AN JJ. 103, n° 354, fol. 171 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 19, p. 195-199
D'après a.

Charles, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, que, comme durant la guerre d'entre nous et nostre adversaire d'Angleterre ès pays de Guienne, de Poitou et de Xantonge, pluseurs prelaz, barons, nobles, gens de bonnes villes et autres habitans des diz païs, les quelz par le traictié et accort fait pieça entre feu nostre très chier seigneur et pere, que Dieu absoille, et nostre dit adversaire avoient esté baillez et delivrez à nostre dit adversaire, aient tenu le parti de [p. 196] nostre dit adversaire et ne soient mie tantost venuz et retournez en nostre obeissance et subjection, si comme il deussent, pour la quelle cause il pevent avoir encouru nostre indignacion, et aussi leur pourroit on imposer que il auroient fait et commis desobeissance et rebellion et autres crimes contre nous et noz gens, et entre les autres nostre très chiere et amée cousine Ysabeau d'Avaugour, vicontesse de Touars et dame de Talemont1, la quelle a [p. 197] la plus grant partie de sa terre ou pays de Poytou et environ, ait par aucun temps et aussi ont ses gens, hommes et subgez esté et demouré en l'obeissance et subjection de nostre dit adversaire, et comme nostre dicte cousine, de sa bonne et pure voulenté, soit, dès le ixe jour de septembre derrenier passé, retournée et ait mis ses chastiaux, villes, forteresses, terres et pays en nostre obeissance et subjection2, et y voult et a promis y demourer à touz jours mais ; nous avons à nostre dicte cousine, pour lui et touz ses gens, et ses hommes et subgez de sa dicte terre, assise ou dit pays de Poytou, de Xantonge et d'Angoulesme, et du païs d'environ, et à chascun d'eulx, avons quittié, remis et pardoné, [quittons, remettons] et pardonnons toute [p. 198] haine, indignacion, rancune et malivolanee, que nous avons et poons avoir contre elle et ses dictes gens, hommes et subgez, pour occasion des choses dessus dictes, et les recevons en nostre bonne grace et bienveillance. Et avec ce, de nostre plaine puissance et auctorité royal, de certaine science et de grace especial, luy quittons, remettons et pardonnons par ces presentes toutes desobeissances et rebellions, et tous autres crimes, excès et malefices, s'aucuns ont par elle, ses gens, hommes et subgez esté commis durant la dicte guerre envers nous, ou païs dessus dit et sur noz subgez, soient ores crimes de lese magesté, murtres, ravissemens, violemens, sacreleges, larrecins, pilleries, roberies, arsins, rançonnemens de gens, de villes, de pays, ou autres quelconques, comment que il soient appeliez, jà soit ce qu'il ne soient mie specifiez, declarez ou exprimez en ces presentes, avec toute paine, amende et offense corporelle, criminele et civile, que il puent avoir pour ce encouru, et les restituons et chascun d'eulx à leurs bonnes renommées, à leurs païs et à leurs biens, et sur ce imposons scilence à noz procureurs et à touz noz justiciers et officiers, et à touz autres, et voulons que il en demeurent quittes et delivrés, sans ce que aucuns les en puissent, ou aucuns d'eulx, poursuivre, ou aucune chose leur en demander, ores ne ou temps avenir, ne que il en puissent estre aprouchiez, molestez, ou empeschez en aucune maniere, en corps ou en biens. Sy donnons en mandement au seneschal de Poitou et à touz noz autres justiciers et officiers, et à touz les justiciers de nostre royaume, ou à leurs lieux tenans, presens et avenir, et à chascun d'eulx, si comme à lui appartendra, que nostre dicte cousine et ses gens, et ses hommes et subgez, et chascun d'eulx, ils facent et laissent joir et user paisiblement de nostre presente remission et grace, et contre la teneur d'icelle ne les molestent, travaillent ou empeschent, ou facent travailliez molester ou empeschier en [p. 199] corps ou en biens, en aucune maniere, ores ne ou temps avenir, mais rappellent et facent rappeller et mettre au premier estat et deu tout ce que il trouveront estre fait au contraire, et leurs heritages, possessions et biens immeubles, se pour occasion des choses dessus dictes ou aucunes d'icelles ont esté pris, saisis, arrestés ou empeschiés par nous, noz justiciers et officiers, ou autres, leur rendent, restituent et delivrent, et facent rendre, restituer et delivrer tantost et sans delay. Et que ce soit ferme chose et estable à tous jours, nous avons fait mettre nostre seel à ces presentes. Sauf en autres choses nostre droit et en toutes l'autrui. Ce fu fait et donné à Paris, en nostre chastel du Louvre, le xve jour du mois de decembre l'an de grace mil ccc. lxxii. et de nostre regne le ixe.

Par le roy, en son conseil. G. de Montagu.


1 Elle était veuve sans enfants de Louis, vicomte de Thouars, qui mourut en janvier 1370. Fille d'Henri IV, seigneur d'Avaugour, et de Jeanne d'Harcourt, elle avait épousé en premières noces Geoffroy de Châteaubriand. Tous ses biens, en quelque partie du royaume qu'ils fussent, ayant été confisqués, ceux qu'elle possédait en Normandie avaient été donnés à Louis, duc d'Anjou, frère de Charles V, par lettres de ce prince, datées du 12 septembre 1371, où on lit qu'elle s'était « rendue rebelle et ennemie » du roi « en tenant le parti de Edwart d'Angleterre et de Edwart de Gales, son filz ainsné, qui ont commencié et font guerre ouverte,... qu'elle est demourant en Guienne avecques les diz ennemis, en leur donnant tout le confort et aide qu'elle puet, etc., en commettant crisme de lèse majesté... » (Arch. nat., P. 1345, cote 633.) En même temps que les lettres d'abolition publiées ici, Isabelle d'Avaugour avait obtenu la restitution de ses terres de Normandie et cinq cents livres tournois de rente qu'elle prenait sur l'échiquier de Rouen, ainsi que des terres de « Rie, Trungy et Landelles, les quelles sont de son douaire à cause du seigneur de Chastiaubriant, jadis son mary. » Il y est dit déjà, comme cela est répété plus bas, que dès le 9 septembre précédent, elle avait fait volontairement sa soumission et replacé sous l'obéissance du roi ses châteaux, villes, forteresses, terres et pays qu'elle possédait en Poitou et ailleurs. (Lettres du 15 décembre 1372, dans le reg. JJ. 103, n° 356, fol. 172.)
Outre ces terres, Isabeau d'Avaugour en possédait de très considérables dans le bas Poitou, à cause de son douaire, telles que Talmont, Château-d'Olonne, Brandois, Curzon, Olonne, les Sables et Château-Gaucher, Elle les engagea en 1373 au duc d'Anjou qui les garda à peine trois ans (Arch. nat., P. 13341), et elle dut soutenir à leur sujet un long procès contre sa belle-fille Pernelle, vicomtesse de Thouars, et le second mari de celle-ci, Tristan Rouault. Dans un jugé du 6 juin 1377, il est ordonné que les parties présenteront leurs faits et que des commissaires seront nommés pour s'enquérir de leur vérité (X1a 26, fol. 172 v°-174 v°). Cet arrêt de procédure, qui paraissait favorable aux prétentions de Pernelle et de Tristan, rencontra une vive opposition de la part d'Isabelle, et ne put sortir son effet, pour cause de violences et de toute sorte d'obstacles. A l'instigation de celle-ci, les vassaux refusèrent l'hommage, les capitaines des villes et les officiers de la douairière refusèrent de prêter serment et d'ouvrir les portes des châteaux. Par un mandement rempli de détails curieux, le Parlement enjoignit à Philippe Mainsart, chevalier, à Jean Oujart, conseiller clerc, et au bailli des Exemptions de notifier de nouveau l'arrêt à Isabelle d'Avaugour et de la sommer de s'y conformer. (Acte du 13 juillet 1378, X1a 27, fol. 64 v°). A la fin d'août 1379, l'affaire n'était pas terminée ; une nouvelle commission fut adressée à deux conseillers au Parlement pour procéder à une seconde enquête (X1a 28, fol. 102). Un acte du 12 avril 1389 paraît se rattacher encore aux mêmes contestations. C'est la ratification faite par Isabelle d'Avaugour d'un accord fait en son nom par Juhel d'Avaugour, d'une part, Jean Royrand, sénéchal de Talmont, et Pierre Pachaut, châtelain du lieu, pour et au nom de Tristan, vicomte de Thouars, et de sa femme, d'autre, à cause d'une part de douaire sur une terre située en la châtellenie d'Olonne, qu'Isabelle disait tenir en vertu de son premier mariage, et que lesdits vicomte et vicomtesse lui disputaient depuis longtemps, mais qu'ils lui cèdent enfin pour qu'elle en jouisse sa vie durant. (Coll. dom Fonteneau, t. XXVI, p. 307.)
Isabelle d'Avaugour soutint encore deux autres procès devant la même cour, le premier contre Jacques de Surgères, dans lequel sa cause était liée à celle de Guy de Laval (ajournement à la prochaine session et promesse d'accord, le 28 juillet 1380, X1a 29, fol. 88) ; le second contre l'abbaye de Lieu-Dieu-en-Jard, en matière criminelle (arrêt de procédure du 30 août 1380 et ajournement du 29 juillet 1381 ; X2a 9, fol. 198 v°). Les religieux la rendaient responsable d'un incendie et de la démolition de leurs bâtiments conventuels. Isabelle d'Avaugour transigea avec eux le 18 août 1384 (X1c 49, à la date), comme nous l'avons vu ailleurs (ci-dessus, p. 126, note 2). Un autre différend que cette dame eut avec Jeanne dame de Retz, touchant la saisie des terres de la Mothe-Achart et de la Chapelle-Maurière, se termina aussi par un accord amiable, le 5 juillet 1390. (X1c 61). Elle fit son testament le 4 juin 1400.
2 On doit sans doute voir dans cette date du 9 septembre celle de l'occupation par les Français de Talmont, la principale place de la vicomtesse douairière de Thouars.