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DLXXIX

Nouvelle confirmation du don fait par le duc de Berry, comte de Poitou, à Renaud de Montléon, chevalier, des biens que possédaient pendant la domination anglaise, dans la sénéchaussée de Poitou, Robert de Grantonne et son neveu, jusqu'à concurrence de trois cents livres de rente.

  • B AN JJ. 106, n° 117, fol. 70
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 19, p. 354-359
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à touz, presens et avenir, comme jà pieça nostre très chier et amé frere le duc de Berry et d'Auvergne, conte de Poitou, eust donné par ses lettres à tousjours perpetuelment, à nostre amé et feal Regnaut de Montleon1, chevalier, pour consideracion [p. 355] des bons et agreables services que ycellui chevalier avoit lait et faisoit chascun jour à nous et à nostre dit frère, et en recompensacion de touz ses biens, ou la plus grant partie d'iceulx, qu'il avoit perduz par le fait de noz guerres, [p. 356] les terres et heritages qui ensuient, c'est assavoir le lieu de Belhomme avecques ses droiz et appartenances quelconques, que tenoit lors Robert de Grandonne2, prestre, né [p. 357] d'Angleterre, et toute la terre, cens, censives, maisons et autres heritages que le dit prestre et son neveu avoient lors en seneschauciée de Poitou, tant à cause d'acquisicion comme autrement retenu par devers nostre dit frere le fief souverain et ressort des diz heritaiges, le quel don ainsi fait par nostre dit frere au dit chevalier, ycellui chevalier dit nous li avoir confermé par noz autres lettres. Nous, à la supplicacion dudit Regnant de Montleon qui tousjours a tenu nostre parti et a esté bon et loyal françois, pour consideracion des bons et agreables services qu'il nous a faiz ou temps passé en pluseurs manieres et esperons qu'il face ou temps avenir, et en recompensacion des pertes et dommaiges qu'il a euz et soustenuz par noz guerres, à ycellui chevalier avons donné et donnons de nouvel, se mestier est, de certaine science et grace especial, par ces presentes, les lieux, terres et heritages dessus declairez, que souloient tenir et avoir en la dicte seneschauciée de Poitou, tant d'acquisition comme autrement, le dit Robert de Grandonne, prestre, et Awilnen (sic) de Grandonne, son dit neveu, nez d'Angleterre, comme dit est, jusques à l'estimacion et valeur de trois cens livres de rente par chascun an, à l'assiete du dit païs de Poitou, à tousjours perpetuelment, pour lui, ses hoirs, successeurs et aianz cause de lui ou temps avenir, ou cas toutevoies que les diz lieux, terres et heritaiges ne sont de nostre demainne, retenuz et reservez par devers nous touz droiz de souveraineté royal qui à cause d'iceulx nous pevent et doivent appartenir. Et en oultre voulons et decernons, et [p. 358] de noz dictes grace especial et certaine science, avons octroié et octroions au dit chevalier, par ces mesmes lettres, nostre dit don valoir, tenir, sortir et avoir son plain effect du jour de la date de noz dictes autres lettres de la confirmacion du don fait par nostre dit frere au dit chevalier, comme dit est, en rappellant et anullant touz autres dons faiz des diz lieux, terres et heritages, depuis le dit jour, par nous ou par autres à quelxconques autres personnes que ce soit. Si donnons en mandement par ces presentes à noz amez et feaulx les genz de noz comptes à Paris, au bailli des Exempcions de Tourainne, d'Anjou, du Mainne, de Poitou, de Xantonge et d'Angolmois, et à touz noz autres justiciers et officiers, presens et avenir, ou à leurs lieux tenans et à chascun d'eulx, si comme à lui appartendra, que de nostre presente grace, don, octroy et decret facent, seuffrent et lessent, ou cas dessuz dit, le dit chevalier, ses hoirs, successeurs et aianz cause de lui, joir et user paisiblement et à plain des lieux, terres et autres heritaiges dessuz declairez jusques à la valeur de la dicte rente de trois cens livres par an, à la dicte assiete, le mettent ou facent mettre royaument et de fait en possession et saisine, se mis n'y est et il en sont requis, osté. tout autre detenteur d'iceulx, contre la teneur de ces presentes, senz faire ou souffrir ycellui chevalier, ses diz hoirs, successeurs et aianz cause de lui, molester ou empeschier par quelconques contre la teneur de nostre dicte grace, don, octroy et decret en aucune maniere, ores ou pour le temps avenir. Et que ce soit ferme chose et estable à tous jours, nous avons fait mettre nostre seel à ces presentes. Sauf en autres choses nostre droit et l'autrui en toutes. Donné à Meleun, l'an de grace m. ccc. lxxiiii et de nostre regne le onziesme, ou mois de decembre, le xvie jour d'ycellui mois.

Toutevoies, ou cas que par traictié de paix ou autrement nous restituerions les dictes terres et heritages aus diz prestre et Awilnen, son neveu, nostre entencion n'est pas [p. 359] d'en faire aucune recompensacion au dit chevalier. Donné comme dessuz.

Par le roy. T. Graffart.


1 La famille de Montléon, dont nous avons rencontré les noms de plusieurs membres dans nos précédents volumes, parait avoir été plus puissante au xiiie siècle qu'au xive. Le premier chef de cette maison connu des généalogistes, Guy Ier, fit cession et transport à Philippe III, roi de. France, en juillet 1281, du château et de la baronnie do Montmorillon, moyennant 1,200 livres tournois et en plus cent vingt livres de rente annuelle assises sur différents domaines en Poitou. L'acte original en est conservé dans les layettes du Trésor des chartes, avec la ratification de Luce de Montmorillon, mère de Guy, et autres pièces annexes. (Archives nat., J. 180, nos 26-28, 31-32.) Guy Ier avait eu à pourvoir dix enfants, sept fils et trois filles, ce qui explique le morcellement de ses possessions. Son fils aine, Guy II, vendit à son tour le château de Montléon à Gautier de Bruges, évêque de Poitiers, l'an 1295. Ce château était situé à Chauvigny, près de l'église collégiale de Saint-Pierre ; c'était l'un des quatre châteaux historiques de cette ville.
Renaud de Montléon, dont il est question dans la présente donation, étai t fils aîné de Jean, dît Guy IV. Comme les aînés de la famille, ses ancêtres, il était seigneur de Touffou et possédait en outre Abain, Nozières et divers autres fiefs. Il fut chambellan de Charles V et de Louis duc d'Anjou, chambellan et grand maître de la maison de Jean duc de Berry, comte de Poitou, maître d'hôtel de Charles VI, gouverneur de Mirebeau, etc. Quand la guerre recommença entre la France et l'Angleterre, l'an 1369, il fut l'un des premiers parmi les rares hauts barons poitevins qui se soumirent dès le début à l'autorité de Charles V, et offrit ses services à Jean de France, auquel son frère venait de rendre le comté de Poitou, encore occupé par les Anglais. Ce prince l'employa en diverses missions, spécialement à la négociation qu'il avait entamée avec Jean de Cros, évoque de Limoges, pour la reddition de cette ville. A la date du 15 août 1370, on voit dans le registre do comptes de l'hôtel du duc un don de cent livres tournois a Renaud de Montléon, chevalier, en récompense des services qu'il a faits et fait chaque jour, « en poursuivant certains traités que mond. seigneur a commencés en Limousin » (KK. 251, fol. 26 v°). Six jours après, Limoges se rendait au duc de Berry, mais pour retomber, moins d'un mois plus tard, sous les coups et sous le joug du prince de Galles. Peut-être Renaud était-il dans la ville et concourut-il à sa défense, quand elle fut prise d'assaut (19 septembre 1370) ; toujours est-il qu'il fut pris par les Anglais vers cette époque. Pour se venger de sa défection, ils fixèrent sa rançon à un prix fort élevé. 3,650 livres, lui firent subir toute sorte de mauvais traitements et le retinrent en captivité pendant seize mois, malgré les efforts de ses parents et de ses amis pour négocier sa délivrance. Sa femme, Orable de Preuilly, fille d'Eschivard VI, baron de Preuilly, seigneur, de la Rochepozay, et d'Isabeau de Brizay, se dévoua en cette circonstance et fit tant par ses démarches et ses prières qu'elle obtint du duc de Berry un don de 400 livres pour aider à payer la rançon de son mari. La quittance de cette dame est du 20 juin 1371. Jean de France fit payer en outre les dépenses et les frais du voyage qu'elle fit pour venir solliciter sa générosité : « A la femme feu Jardin, hostesse de la Fleur de Liz, à Mehun-sur-Yevre, pour les fraiz et despens que ma dame Horable, femme messire Regnaut de Montléon, chevalier, prisonnier des Anglois, a faiz en son hostel par certain temps, en actendant certaine finance que mon dit seigneur lui avoit donnée pour aidier à paier la rançon dud. chevalier, par mandement dud. seigneur et quittance de lad. femme, donné le vendredi après la S. Jacques et S. Christofle CCCLXXI, rendue à court, viii livres tournois » (KK. 251, fol. 09 v°, 86 v°). Renaud sortit de captivité vers le mois de décembre 1371. A cette époque, il obtint de Charles V des lettres de rémission pour doux écuyers de ses amis, Guillaume de Cercelles, fils d'Aymon de Cercelles, et Guillaume de Cheneroche, qui t par mauvais conseil avoient suivi et conversé moult longuement avec les compaignies, ennemis, pillars, robeurs, maldrieux, estans en nostre royaume .. » et étaient « venuz de nouvel et de très bon cuer à nostre obéissance... » (JJ. 103, nos 6 et 7, fol. 7 v° et 8).
Pendant qu'il était prisonnier, Renaud de Montléon avait été contraint, sous peine de mort, de donner son consentement à la donation nue le roi d'Angleterre fit à Jean d'Angle, chevalier, dit le bâtard d'Angle, de la seigneurie de Touffou. Jean Ysoré avait fait abandon, à cette occasion, au prince de Galles de certains droits qu'il prétendait avoir sur cette terre. Touffou, estimée à 300 livres de revenu annuel, était, depuis un temps immémorial, le fief principal des seigneurs de Montléon. Aussi Renaud tenait par-dessus tout à rentrer en possession de cet héritage. La remise du pays sous l'obéissance du roi de France lui en facilita les moyens, et Charles V, pour le récompenser de ses services et de ce qu'il avait souffert pour sa cause, lui restitua le domaine paternel, dès le mois de novembre 1372. C'est dans les lettres de restitution qu'il est dit que Renaud resta seize mois environ prisonnier des Anglais, « où il souffrit moult de misères et de povretés », et que nous avons puisé une partie des détails qui précèdent. Elles ont été publiées par Du Chesne (Hist. gènéal. de la maison des Chasteigners, in-fol., Preuves, p. 113). Les registres de comptes de l'hôtel du duc de Berry renferment bon nombre de renseignements sur les rapports de Renaud de Montléon avec le comte de Poitou. Le 28 octobre 1372, ce prince l'envoie d'Angers à Paris, chargé d'une mission secrète près du roi (KK. 251, fol. 99). Le 19 janvier 1373, il reçoit dix francs pour ses frais d'un voyage entrepris pour le duc, de Bourges en Poitou (fol. 100 v°). Le 14 mai suivant, le duc de Berry lui envoie par messager spécial une lettre datée do Poitiers (fol. 95), et le 12 août une autre dépêche de Saint-Maixent, à Mirebeau, dont il avait été nommé capitaine (fol. 127 v°). Un an après, il fut encore chargé d'aller conférer avec le duc d'Anjou, à la Réole, « touchant le fait de messire Thomas de Percy, » qui venait d'être fait prisonnier, et il écrivit, le 8 septembre 1374, à Jean de France, alors à Paris, pour lui rendre compte de sa mission. Ce voyage dura du 3 août qu'il était parti de Lusignan, au 21 septembre, date de son retour à Poitiers (KK. 252, fol. 28 v°, 37). Ses gages comme maître d'hôtel du duc de Berry figurent sur ce même registre de l'année 1374.
Nous mentionnerons encore un accord, conclu à Poitiers, le 6 novembre 1375, entre Renaud de Montléon, seigneur de Touffou, chevalier, et maitre Jean de Londres. Celui-ci remet à Renaud 50 livres d'arrérages sur les 150 livres à lui dues par ledit chevalier pour sa rente de 20 livres, à cause de l'achat qu'il vient de faire de l'hébergement de la Galicherie, tenu en fief dudit Renaud à un florin de devoir, à muance de seigneur et d'homme. (Bibl. nat., mss. lat. 9230, n° 72.)
Renaud de Montléon mourut en 1385, laissant d'Orable de Preuilly un fils, Renaud II, qui continua la postérité, et deux filles : 1° Orable de Montléon, mariée d'abord à Hugues Odart, seigneur de Mons, puis à Jean de Cramaud, seigneur de la Chapelle-Belloin ; 2° Béatrix, qui épousa Guillaume Petit, seigneur de Saint-Chartre. (Voy. la généalogie de Montléon dans Du Chesne, op. cit., p. 231-245. Cf. aussi E. de Fouchier, La baronnie de Mirebeau ; p. 138, 139, 204, 205, 274.)
2 L'on a vu ci-dessus (p. 65, note, et p. 163, note), que cette donation donna lieu on 1375 à un procès entre Renaud de Montléon, Simon La Grappe, huissier d'armes du roi, et Pierre Boschet, tous trois donataires universels des biens que Robert de Grantonne avait possédés en Poitou : Pierre Boschet, par lettres de Charles V, de mai 1370 (n° CCCCXCVII ci-dessus), Simon La Grappe, par don de Du Guesclin, confirmé par le roi en novembre 1372 (n° DXXVIII), et Renaud de Montléon, par lettres du duc de Berry, comte de Poitou, confirmées ici. Le sénéchal de Poitou, saisi de l'affaire, avait jugé en faveur de ce dernier. Le procès fut porté en appel au Parlement, et nous n'avons pas trouve la décision suprême. Aux renseignements que nous avons précédemment fournis sur cette affaire, nous ajouterons qu'elle était introduite au Parlement, dès le 16 mai 1374, par Simon La Grappe contre le duc de Berry, qui, disait-il, avait donné ces terres iniquement (X1a 1470, fol. 146). Dans sa plaidoirie du 17 décembre 1375, le même La Grappe prétend que les biens de Grantonne ayant été confisqués au roi pour crime de lèse-majesté, il n'appartenait pas au duc de Berry de les donner, d'autant qu'alors il n'était pas lieutenant du roi, mais que c'était le connétable, etc. (Idem, fol. 187).