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Lettres de rémission octroyées à Thibaut Gracien, sénéchal de l'abbé de Saint-Maixent, à Jean Gracien, son fils, et à Jean Ogier, coupables d'homicide sur la personne de Jean Nepveu, à la suite d'une querelle provoquée par ce dernier à cause d'une décision contraire à ses intérêts, rendue à la prévôté de Saint-Maixent, et dont il rendait responsable ledit Thibaut Gracien.

  • B AN JJ. 105, n° 307, fol. 164
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 19, p. 332-336
D'après a.

Charles, etc. Savoir, etc., à nous avoir esté exposé de la partie de Thibaut Gracien1, son filz, Jehan Gracien2 et de Jehan Ogier3, que en karesme derrenier passé, Jehan Verneschau, qui par aucun temps avoit demouré avec aucunes genz d'armes de Bretaigne, et autres emblerent de nuit, si comme on dit, troiz selles et troiz bridez qui estoient, si comme on disoit, de Jehan Nepveu4 et pour ce le dit Verneschau se [p. 333] absenta de la ville de Saint Maixent, et si tost comme il vint à la notice du dit Thibaut, lors seneschal de nostre amé et feal conseillier, l'abbé de Saint Maixent, que le dit Verneschau avoit biens meubles en la dicte ville, en un logis qui est en la jurisdicion du dit abbé, le dit Thibaut, comme seneschal, fist mettre les biens du dit Verneschau en la main de la court du dit abbé, et après ce un jour environ Pasques derrainement passées, quant l'en tenoit les droiz de la prevosté de Saint Maixent, le dit Jehan Nepveu vint et dist au dit Thibaut, qui estoit en la dicte prevosté et ycelle tenoit, en la presence du lieutenant du seneschal de Poitou et de pluseurs sages et autres estans en la dicte court, ces paroles : « Thibaut, vous avez fait mettre en arrest les biens de Verneschau, qui m'embla mes selles, dont il m'en fault une et une bride ; rendez les moy où me faitez baillier les biens du dit Verneschau. » Au quel le dit Thibaut respondi qu'il ne le povoit faire de raison, sanz appeller partie, ou par cry, ou autrement deuement. Toutesfoiz lui dist le dit Thibaut que, se le lieutenant du seneschal de Poitou et le conseil ordenoient qu'il le deust faire, il le feroit voulentiers. Et en demanda le dit lieutenant aviz au conseil, qui là estoit present, par le quel conseil fut trouvé qu'il ne le devoit faire de raison. Maiz ce non obstant, le dit Jehan Nepveu dist lors au dit Thibaut que il en faisoit à sa guise. Le quel Thibaut lui dist que il ne povoit faire la requeste du dit Nepveu. Et de ce non contens, le dit Nepveu lui dist qu'il mentoit et que il en seroit desdommagez sur lui, et que se il le povoit trouver à son gré, que il l'en paieroit bien. Et ces choses estant en cellui estat, le dit Jehan le Nepveu, le jeudi après le dymenche que l'en chanta en sainte eglise Jubilate, xxviie jour d'avril derrainement passé, dist à Marion Minete et à autres que, se il povoit trouver le dit Thibaut, il le mettroit mort. Ou quel jour, à heure de vespres, le dit Thibaut estant à la fenestre de Guillaume Casse, en la maistre rue de la dicte ville et le [p. 334] plus publique lieu de la dicte ville, avec pluseurs autres personnes, le dit Jehan le Nepveu, meu de male volenté et en propoz d'acomplir son dampnable propos, dist au dit Thibaut : « Auray je ma selle et ma bride ? » Et après ce que ledit Thibaut lui ot dit que c'estoit raison que il l'eust, le dit Nepveu lui dist : « Que ne le faitez vous dont, ou me bailliés les biens du dit Verneschau », — et le dit Thibaut lui dist que il ne les avoit pas, et que ilz estoient en la main de la court du dit abbé, et que l'endemain il alast devers le dit Thibaut, là où le conseil seroit assemblé, et que il lui en feroit tant que il lui devroit souffire. Et là survint le dit Jehan Gracien. Et au dit Thibaut ycellui Jehan le Nepveu dist : « Vous servés de parolles ou voullés avoir les biens par vostre maistrise », et en ce disant, se arresta un pou, et le dit Thibaut pour doubte se arresta. Et s'en vouloit departir, maiz le dit Jehan le Nepveu le suy, et en le suyant disoit au dit Thibaut ces parolles : « Vous estez faulx, mauvaiz et trahitrez. » Au quel Jehan Nepveu, le dit Jehan Gracien dist : « Vous dictes mal, mon pere n'est faulx ne mauvaiz ne traitrez. » Le quel Jehan le Nepveu dist au dit Jehan Gracien : « En parle tu ? » Et en ce disant lui donna si grant coup du poing sur les dens que à pou qu'il ne le fist cheoir. Et tantost le dit Nepveu tray sa dage sur les diz Thibaut et Jehan Gracien, qui mirent main à leurs conteaulx et les tindrent nuz en leurs mains, afin que ne leur courust sus le dit Jehan le Nepveu ; et tousjours le poursuivit en les voulant mettre à mort. Et ainsi comme le dit Nepveu faisoit ceste poursuite, le dit Jehan Gracien, doublant que le dit Nepveu ne courust sus à son dit pere pour le occire, meu de nature que enffant doit deffendre son pere, se mist entre le dit le Nepveu et son dit pere, et tenoit son coutel au poing, en disant qu'il ne se tirast point à lui ne au dit Thibaut aussi ; maiz le dit Nepveu d'un coutel que il tenoit fery le dit Jehan Gracien, dont il fut durement navrez et qui [p. 335] piz est, le dit Jehan Nepveu de rechief fery d'une dague par le corps ycellui Jehan Gracien, qui pour eschever le peril de la mort, se ahert au dit Nepveu, et eulx deux se tindrent ensemble et l'un l'autre ferirent de couteaulx, et en repellant force par force, le dit Jehan Gracien le fery d'un coutel par le ventre ; autrement le dit Jehan Gracien n'eust peu evider (sic) et le dit Thibaut estoit assez loignet en soy retraiant ; maiz lui, meu de nature que pere doit à son enfant, ne se voulloit departir ne laissier son filz ainsi mettre à mort. Et à ces choses estoient pluseurs bonnes genz et entre les autres le dit Jehan Ogier, de la dicte ville, cousin de la femme du dit Thibaut et afin et ami de lui. Et pour ce que le dit Jehan Ogier veoit que l'en n'y povoit mettre remede, print un bâton, et pour ce que il veoit que le dit Nepveu feroit ycellui Jehan Gracien de sa dague par le corps, doubtant que il ne le meist à mort, le fery du dist baston sur l'espaule tellement que il chey et, se il n'eust ce fait, les diz Nepveu et Gracien eussent tué l'un l'autre sanz partir de la place. Le quel Jehan le Nepveu, pour occasion du coup que le dit Gracien en soy deffendant lui donna, moru troiz ou quatre jours après le dit fait. Pour occasion du quel fait, avenu plus par la coulpe du dit Nepveu et sanz haine precedent de la partie des diz signiffians, qui voluntairement sont venuz en nostre obeissance, et qui, pour cause de noz aidez et autrement, ont mout frayé du leur, doubtent pour ce estre molestez ou empeschiez, si comme ilz dient, en nous humblement suppliant, comme en leurs autres faiz ilz aient esté et soient de bonne vie et renommée, sanz avoir esté convaincuz ne atains d'autre meffait, nous sur ce leur vueillons eslargir nostre grace. Nous adecertes, pour consideracion de ce que dit est, aus diz exposans avons remis, quictié et pardonné le fait dessus dit, et de grace especial remettons, quictons et pardonnons ou cas dessus dit, avec toute paine, amende et offense corporele, criminele [p. 336] et civile, que pour ce pevent avoir encouru envers nous, et les restituons au païs, à leur bonne renommée, se pour ce est amenrie, et à leurs biens quelx conques, sauf le droit de partie à poursuir civilement. Et en ampliant nostre dicte grace, donnons congié et licence aus haulx justiciers, à qui il appartient, que, sanz prejudice d'eulx ne de leur jurisdicion, il leur puissent faire, se besoing est, grace. Pour quoy nous donnons en mandement à touz noz justiciers et à touz les autres justiciers de nostre royaume, ou à leurs lieux tenans et à chascun d'eulx, si comme à lui appartendra, que les diz esposans facent et seuffrent joir et user de nostre presente grace, sanz les molester au contraire en corps ne en biens, et leurs biens pour ce prins, saisiz, levez, arrestez ou empeschiez, leur mettent ou facent mettre à plaine delivrance. Et pour ce que ce soit ferme chose et estable à tousjours, nous avons fait mettre nostre seel à ces lettres. Sauf en autres choses nostre droit et l'autruy en toutes. Donné à Paris, ou moys de may l'an de grace mil trois cens soixante et quatorze, et le xie de nostre regne.

J. Blondeau. —Es requestes de l'ostel. Henry.


1 Ce personnage fut garde du scel royal à Saint-Maixent en 1361 et en 1367.
2 Vers cette époque, un Etienne Gracien était procureur de Jean, duc de Berry, en Poitou, et est mentionné avec cette qualité dans les registres du Parlement, le 4 août 1377 et le 21 janvier 1378 (X2a 10, fol. 48 v°, 50 et 58). Il sera question de lui ci-dessous dans une note relative à Pierre Regnault, maire de Poitiers, à propos d'un acte de juin 1378. Dans un acte du 17 décembre 1395, il figure avec le titre d'assesseur du sénéchal de Poitou. (Archives de la ville de Poitiers, D. 11.)
3 Fils de Pierre Ogier, il avait affermé, plusieurs années auparavant, avec Geoffroy Vendier le vieux et Raoul Bigot, dit Berthelot, le droit de pêche dans les douves du château de Saint-Maixent, moyennant soixante sous tournois, pour un an, et gagna un procès au Parlement contre Etienne Clavel, maître des eaux et forêts de la sénéchaussée de Poitou, qui prétendait leur interdire ce droit. (Arrêt du 13 avril 1351 ; Arch. nat., X1a 13, fol. 100.)
4 On trouve en 1348 un Jean Neveu qui était appelant de deux sentences rendues contre lui et en faveur de Jean de Charnizay, par Guillaume Langlois, lieutenant du sénéchal de Poitou et commissaire du comte de Forez, alors lieutenant du roi en Poitou. L'appel fut annulé par le Parlement du consentement des parties, à condition que Jean Neveu répondrait péremptoirement au principal, devant ladite cour (26 février 1348). Deux jours après, les parties furent ajournées pour le lundi après Quasimodo, pour examiner la question de dommages que Jean Neveu réclamait à Jean de Charnizay, et il fut ordonné que, pendant la durée du procès, les terres, maisons et héritages litigieux seraient placés et administrés sous la main du roi, avec injonction au demandeur d'en remettre les fruits et revenus au commissaire chargé de cette administration. (X1a 12, fol. 94 et 110.)