[p. 367]

DLXXXIII

Lettres de Charles V portant confirmation des droits de son frère Jean sur les duchés de Berry et d'Auvergne, le comté de Poitiers et les terres de Chizé, de Civray et de Melle, sauf la souveraineté royale et réservée aux juges royaux la connaissance des cas intéressant les droits du roi et les affaires des églises cathédrales et de celles qui sont de fondation royale, ou qui ne doivent point [p. 368] être séparées du domaine de la couronne1.

  • B AN JJ. 106, n° 258, fol. 139
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 19, p. 367-372
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à touz, presens et avenir, nous avoir receue la requeste ou supplicacion à nous faicte et bailliée de la partie de nostre très chier et très amé frere le duc de Berry, contenant que, comme nous lui aions donné la conté de Poitiers avec touz ses droiz, collacions de benefices et toutes autres noblesses et dignitez quelxconques, à les tenir en pairie, foy et hommage de nous, senz riens en retenir, fors souverainneté et ressort, et nous ait pleu le lesser joir et user paisiblement, en la forme et maniere que contenu est ès lettres du don par nous à lui fait sur ce, sanz y riens changier ne interpreter au contraire, et selon ce que noz predecesseurs, roys de France, ont laissié tenir la dicte conté et user en ycelle, ou temps passé, ses predecesseurs contes de Poitiers ; attendu ce que nostre dit frere de Berry, nostre frere le duc de Bourgoingne et nostre connestable jurerent et promisdrent aus genz d'eglise, seigneurs et communes du païs de Poitou, quant il vindrent derrainement à nostre obeissance, de les tenir en leurs anciens usages, franchises et libertez, senz attempter ne faire aucunes nouvelletez au contraire, et de ce leur donnerent leurs lettres, les quelles nous depuis leur avons confermées à perpetuité, par les nostres en laz de soie et cire vert2 ; et avecques ce par les lettres du don fait par feu nostre très chier seigneur et pere, dont Dieux ait l'ame, à nostre dit frere de Berny des [p. 369] duchiez de Berry et d'Auvergne3, ycelles duchiez lui feussent et eussent esté données avecques touz leurs droiz quelxconques à tenir en pairie, foy et hommage de nostre dit pere et de ses successeurs roys de France, sanz riens y retenir, fors souverainneté et ressort, et la garde des eglises cathedraux et autres de fondacion royal, avecques collacions de benefices vacans en regale ; neantmoins, nostre dit frere de Berry estant hostaige en Angleterre pour feu nostre dit seigneur et pere, il nous ait pleu ès païs dessuz diz mettre certains bailliz4, les quelz ne doivent avoir jurisdicion ne cognoissance en yceulx païs, fors tant seulement des eglises cathedraux et de celles qui sont fondées de fondacion royal, si comme il dit. Requerant nostre dit rere par nous lui estre sur ce pourveu de remede et mander a noz diz officiers que de ce faire se desistent doresenavant, en mettant au neant les exploiz qu'il ont faiz au contraire, excepté seulement ceulx dont nous avons retenu la cognoissance et ès lieux là où faiz doivent estre, ou autrement lui vueillons pourveoir sur ces choses, selon ce et par la maniere que raison donra et que bon nous samblera, afin d'eschever touz plaiz, procès et riotes, qui pour occasion de ce pourroient ou temps avenir seurvenir. Nous adecertes, considerées les choses dessuz dictes et que nostre dit frere s'est begnignement du tout soubzmis à nostre bonne voulenté et ordonnance, par grant et meure deliberacion de nostre conseil, que pour ce avons fait assembler par pluseurs foiz, lui avons, de nostre certaine science et auctorité royal, octroié, ordonné, voulu et accordé, et par la teneur de ces presentes, octroions, ordonnons, voulons et accordons que il, ses hoirs, successeurs [p. 370] et aianz cause joissent et usent paisiblement et perpetuelment, à tousjours mais, des demainnes, justices, noblesses, seigneuries et autres droiz des dictes duchiez de Berry et d'Auvergne, de la conté de Poitiers, de la terre de Chiset, de Sivray et de Melle5, à lui appartenans, reservé toutevoies et retenu à nous en especial et par exprès la foy, hommage, ressort et souverainneté des dictes duchiez, conté et païs dessus diz, et autres choses qui s'ensuient. C'est assavoir que nous seul et pour le tout aurons la cognoissance, ressort et souverainneté de toutes les eglises cathedraux des dictes duchiez et païs de Poitou, et de toutes autres eglises de fondacion royal, et autres exemptes par previleges, pariages ou autrement, par avant les dons ou transpors faiz des dictes terres et païs à nostre dit frere, que elles ne puissent estre separées, departies ou estre mises hors de la couronne de France. Et avecques ce, aurons la [p. 371] cognoissance de touz les droiz royaulx, sanz ce que nostre dit frere ou ses successeurs, par vertu des lettres du don à lui fait par feu nostre dit seigneur et pere des dictes duchiez de Berry et d'Auvergne, ou autrement, à cause de la dicte cognoissance desdictes eglises et droiz royaulx, puissent à nous ou noz successeurs jamais demander recompensacion aucune ; et exerceront la jurisdicion tant reelle comme personnelle en toutes les causes des dictes eglises et chascune d'icelles, et aussi en touz cas touchanz les droiz royaulx, noz bailliz des Exempcions par nous deputez ou à deputer, ou leurs lieuxtenans, et tendront leurs sieges ès lieux qui par nous ou nostre court leur sont ou seront ordonnez ès dictes duchiez et conté de Poitou, hors du dit demainne et de la seignorie de nostre dit frere de Berry et de ses subgiez, et des villes de Poitiers et de Saint Maxant, ès quelles, pour faveur et contemplacion de nostre dit frere, nous, de grace especial, ne voulons estre mis siege royal, sanz ce que des causes des dictes eglises ou des droiz royaulx dessuz diz nostre dit frere ou ses officiers puissent avoir court ou cognoissance, en aucune maniere. Et de ces choses sera tenuz nostre dit frere nous faire baillier ses lettres bonnes et convenables, seellées de son grant seel, ainsi comme plus plainnement le nous a promis, octroié et accordé. Si donnons en mandement et expressement enjoingnons et commandons, par ces presentes, à touz noz lieux tenans, seneschaulx, bailliz, prevoz et à touz noz autres justiciers et officiers quelxconques, presens et avenir, ou à leurs lieuxtenans et à chascun d'eulx, que nostre dit frere le duc de Berry il facent, lessent et seuffrent joir et user paisiblement et perpetuelment de nostre presente grace et octroy, en executant, chascun pour tant comme il lui touche, nostre dicte ordonnance, et contre la teneur d'icelle ne seuffrent nostre dit frere, ses genz ne officiers estre molestez, troublez ne empeschez en aucune maniere. Et que ce soit ferme chose et estable à tousjours, [p. 372] nous avons fait mettre nostre seel à ces presentes lettres. Sauf nostre droit en autres choses et l'autrui en toutes. Donné à Paris, le iiie jour de mars l'an de grace m. ccc. lx. et quatorze, et l'onzième de nostre regne.

Ainsi signée : Par le roy. H. d'Aunoy.


1 L'original de ces lettres se trouve en plusieurs expéditions dans les layettes du Trésor des chartes (J. 181, n° 91, et J. 185B, n° 34, J. 382, n° 4). Elles ont été publiées dans le recueil des Ordonnances des rois de France, t. VI, p. 96, avec un vidimus du duc de Berry, daté de mars 1375, tiré des registres du Parlement, qui porte actuellement la cote X1a 8602. Notre texte est la reproduction de l'original.
2 Il est question ici du traité du 15 décembre 1372, conclu avec les trois états de Poitou, après la capitulation de Thouars, publié ci-dessus, n° DXXXI, p. 176 et suiv.
3 Jean II avait donné à son fils les duchés de Berry et d'Auvergne par lettres d'octobre 1360, en dédommagement du comté de Poitou, cédé à l'Angleterre par le traité de Brétigny (JJ. 91, fol. 102, n° 203). Charles VI lit expédier en décembre 1380 des lettres de confirmation de ce don en faveur du duc de Berry. (Original. J. 187, n° 9.)
4 Les baillis dits des Exemptions.
5 Les villes, châteaux, terres et seigneuries de Melle, Chizé et Civray avaient appartenu à Philippe duc d'Orléans, comte de Valois et de Beaumont, après avoir été confisqués sur Raoul II comte d'Eu, connétable de France, décapité à Paris, le 19 novembre 1350. Ce prince les avait cédés à Thomas de Wodestock, l'un des fils d'Edouard III, par don pur et simple fait à Londres, le 27 avril 1363. Puis, par traité du 4 novembre 1371, le roi d'Angleterre disposa de Chizé, Melle et Civray en faveur de Jean de Montfort, duc de Bretagne. (Voy. notre vol, précédent, Introduction, p. xlviii, xlix.) Après la reprise du Poitou, ces terres firent partie, avec le comté de Poitou, de l'apanage de Jean duc de Berry. Avant qu'il n'en eût la possession effective, le comte de Poitou avait assigné sur Civray, Melle et Chizé une rente de 4,000 livres qu'il avait promise comme dot de sa fille Bonne, et obtenu de Charles V la ratification de cet engagement, par acte daté de Paris, février 1370 n. s. (Original, J. 185A, n° 19.) Bonne de Berry épousa : 1° en décembre 1376, Amé VII, comte de Savoie ; 2° en décembre 1393, Bernard VII, comte d'Armagnac, connétable de France (voy. son contrat, J. 186A, n° 74) ; elle mourut te 30 juin 1434. La terre de Villeneuve-la-Comtesse, qui avait aussi appartenu à Raoul, comte d'Eu, puis au duc d'Orléans, fut jointe aux trois autres pour parfaire la dot de la fille du duc de Berry, et cette dame en eut la jouissance au moins jusqu'à la mort de son père. On possède un mandement de juin 1403, par lequel le duc ordonne à son receveur de Poitou de payer les revenus des châteaux de Melle, Chizé, Civray et Villeneuve à son gendre le comte d'Armagnac et à sa fille Bonne de Berry (J. 186A, n° 75). Puis en novembre 1410, le même prince fit une nouvelle assignation à sa fille des revenus de ces châtellenies, sauf celle de Villeneuve, qui fut alors remplacée par Gençay. (Id., n° 76.)