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DXXIX

Confirmation du don fait par Jean, duc de Berry et comte de Poitou, à Alain Taillecol, dit l'abbé de Malepaye, des biens qu'avaient possédés en Poitou trois Anglais nommés Thomelin Hauteburn, Willeloing et Willehall.

  • B AN JJ. 104, n° 131, fol. 61
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 19, p. 166-172
D'après a.

Charles, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir veu les lettres de nostre tres chier et amé frere le duc de Berry et d'Auvergne, conte de Poitou, de Xanctonge et de Angolmoys et nostre lieutenant ès diz pays et en pluseurs autres, sainnes et entieres et seellées de son seel en las de soye et en cire vert, non vicieuses, non cancellées en aucune maniere, contenans la forme qui s'ensuit :

Jehan, filz de roy de France, duc de Berry et d'Auvergne, conte de Masconnois, de Poitou, de Xaintonge et de Engolmoys, et lieutenant de monseigneur le roy ès dis pays et ès païs des Montaingnes d'Auvergne, de Foroys, de Bourbonnois, [p. 167] de Saulaugne, de Touraine, d'Anjou, du Mainne et de Normandie d'entre les rivieres de Sainne et de Laire, de Lyonnois et de Masconnois, savoir faisons à tous, presens et avenir, que nous, considerans les bons et agreables services que nostre bien amé Alain de Taillecoul1, autrement dit abbé de Mallepaie, escuier d'escuierie de monseigneur le roy, a fait à mon dit seigneur et à nous en ses guerres ou temps passé, fait de jour en jour, dont par experience nous est apparu et appart evidenment, en la presente conqueste du païs de Guienne, et esperons qu'il [face] ou temps avenir, à ycellui Alain avons donné et [p. 168] octroié, et par la teneur de ces lettres donnons et octroions, de nostre grace especial et certaine science, et de l'auctorité de mon dit seigneur le roy, de la quelle nous usons en ceste partie, les biens meubles et heritaiges que Thomelin Hautebourne, Willeloing et Willehalle, de la nacion d'Angleterre, tenoient et possidoient ou pays de Poitou, par avant ce que le dit pays venist à l'obeissance de mon dit seigneur et de nous, appartenans et avenus en forfaiture à mon dit seigneur et à nous par l'ennemistié et rebellion des dessus diz, tenans le parti de nos ennemis, et tous leurs biens meubles qu'ilz avoient ou dit pays de Poitou, c'est assavoir les dis hrritages, tant terres, vignes, cens, rentes, revenues, drois, devoirs, fiez, rerefiez, hommes, hommages, justice haute, moienne et basse, juridicions, usaiges, boys, garennes, prés, rivieres, salines, estancs, moulins, maisons et ediffices, comme autres choses quelconques appartenans pour lors aus dessus dis et que ilz avoient et tenoient pour lors ou dit païs de Poitou, jusques à la valeur de troys cens livres de rente à l'assiete et selon la coustume du pays, et les biens meubles jusques à la valeur de cent livres tournois pour une foys, à tenir, avoir et possider les dis heritaiges par le dit Alain, ses hoirs, successeurs et aians cause de lui à tous jours mais, comme leur propre demainne ou patremoinne d'ancienté, des quelx nous lui avons delivré et delivrons la possession et saisine par l'octroy de ces lettres. Si donnons en mandement par la teneur d'icelles au seneschal de Poitou et à tous les autres justiciers de mon dit seigneur et de nous, presens et avenir, et à chascun d'eulx, si comme à lui appartendra, ou à leurs lieuxtenans, que le dit Alain ou son procureur pour lui mettent et instituent royalment et de fait en saisine et possession corporele des choses dessus dictes et de chascune d'icelles, et en facent et seuffrent joir et user paisiblement à tous jours mès, lui, ses hoirs, successeurs et aians cause, comme [p. 169] de leur propre heritage, sens les faire ou souffrir en ce empescher ou destourber en aucune maniere quelconque, ores ne pour le temps avenir ; et aux gens des comptes de mon dit seigneur le roy à Paris, aux nostres et à chascun d'eulx, pour tant comme à li appartendra, que nostre present don et octroy ilz enregistrent et expedient en la maniere qu'il appartient. Car ainsi nous plaist il estre fait, non obstant que nagaires par nos autres lettres nous aions donné au dit Alain, sa vie durant, la terre d'Andilli2 avec le petit fief le Roy, enclave en partie de la terre de Damperre en Aunis, si et en la maniere que messire Guichart d'Angle, chevalier, la souloit tenir en la valeur de cincq cens livres de rente, et aussi non obstant que nagaires par nos autres lettres nous li aions aussi donné à heritage les biens meubles et heritages que messire Jehan de Luddan, prestre de la nacion d'Angleterre, tenoit nagaires et possidoit à Dampierre en Aunis, avec un hostel qu'il avoit en la ville de la Rochelle3, tout en la valeur de cincq cens livrées de terre quant à heritage et à deux cens livres quant aux meubles, et autres choses ad ce contraires. Et que ce soit ferme chose et estable à tous jours, nous avons fait mettre nostre seel à ces lettres. Sauf en autres [choses] le droit de mon dit seigneur le roy, le nostre et l'autrui en toutes. Donné à Poitiers, le viie jour d'aoust l'an de grace mil trois cens soixante et douze4.

[p. 170] Les quelles lettres dessus transcriptes et tout le contenu en icelles nous, aians fermes, estables et agreables, ycelles, tout ainssi comme elles sont contenues, specifiées et esclarcies ès lettres de nostre dit frere plus à plain, voulons, greons, ratiffions et par la teneur de ces presentes lettres confermons, et, se besoings ou mestier est, les donnons de nouvel à nostre dit escuier, de nostre certaine science et grace especial. Si donnons en mandement au [p. 171] seneschal de Poitou et à tous les autres justiciers et officiers de nostre royaume, ou à leurs lieux tenans, presens et avenir, et à chascun d'eulx, si comme à lui appartendra, que le dit nostre escuier ou son procureur pour lui mettent et instituent royaulment et de fait en saisine et possession de toutes et chascunes les choses dessus dictes, circonstances et deppendences d'icelles, et en facent et seuffrent dores en avant nostre dit escuier et ses hoirs [p. 172] et successeurs joir et user paisiblement à tousjours mès, jusques au pris, valeur et estimacion dessus diz, et tout selon la forme et teneur des lettres de nostre dit frere dessus transcriptes ; car ainsi le voulons nous estre fait, non obstant quelconques autres dons fais par nous, nostre dit frere ou autres, des choses [dessus] dictes, depuis la date des lettres de nostre dit frere, à quelconques autres personnes que ce soient, soubz quelconque forme de paroles, ne aussi dons par nous ou nostre dit frere autres fois faiz à nostre dit escuier, et que en ces lettres n'en soit faite expresse mencion, ordenances, mandemens ou deffenses à ce contraires. Et que ce soit ferme chose et estable à tousjours, nous avons fait mettre nostre seel à ces presentes. Sauf en autres choses nostre droit et en toutes l'autrui. Donné en nostre chastel du Louvre lès Paris, le viiie jour de decembre, l'an de grace mil ccc. lxxii, et de nostre regne le ixe.

Par le roy. J. de Vernon.


1 La première mention que nous avons trouvée de ce curieux personnage qui était un chef de compagnie, originaire de Bretagne, est du 20 octobre 1364. On lit dans un mandement de Charles V de cette date, ordonnant de payer à Alain de Taillecol, 200 francs d'or : « Nous envoions nostre bien amé escuier d'escuierie, l'abbé de Malepaie, avec lui quarante cinq glaives et vint archiers de sa compagnie, ès parties de Coustantin, pour nous servir en ces presentes guerres ». (L. Delisle, Mandements de Charles V, p. 53.) On cite ensuite une quittance de lui datée d'Angers, le 2 avril 1366. (Hay du Chastelet, Hist. de Bertrand Du Guesclin, p. 341 et 342.) Il occupait alors le fort de Bréviande en Sologne (JJ. 109, n° 192). En 1369, l'abbé de Malepaye avait de sa retenue un chevalier, trente écuyers et dix-huit archers. Dans un mandement à Jean Le Mercier, trésorier des guerres, le 16 août de cette année, Amaury de Craon ordonne de payer les gages d'un certain nombre de gens d'armes qu'il avait réunis sous ses ordres pour aller lever le siège de la Roche-sur-Yon. Alain de Taillecol était du nombre, avec Pierre de Craon, Pierre de Mathefelon, Amaury de Clisson. Guy de Laval et Jean de Kerlouët. La place s'étant rendue avant que ceux-ci fussent assemblés, ils furent envoyés vers le duc de Bretagne pour combattre les Anglais partis de Château-Gonthier. (Dom Morice, Hist. de Bretagne, Pr., t. I, col. 1632.) Le 26 juin 1371, par une quittance donnée devant Conches, l'abbé de Malepaye reconnut avoir reçu 60 francs d'or pour les services qu'il avait rendus avec 9 écuyers pendant le siège de cette ville. Outre la donation dont il est question ici, Charles V lui abandonna, par lettres du 9 novembre 1372, des biens sis à Dampierre en Aunis et un hôtel à la Rochelle, confisqués sur Jean de Ludham, receveur de Saintonge pour le prince de Galles (JJ. 103, fol. 179 v°). Plus tard, on retrouve Alain de Taillecol guerroyant en Basse-Normandie et en Bretagne. M. Demay mentionne deux quittances de gages émanées de lui, l'une datée de Valognes, le 20 novembre 1378, l'autre de Pontorson, le 22 octobre 1379. Les sceaux apposés au bas de ces actes nous font connaître les armoiries de l'abbé de Malepaye : écu à la fleur de lys, accompagné de six étoiles en orle, penché, timbré d'un haume. (Invent. des sceaux de la coll. Clair ambault, t. II, p. 227.)
2 La donation que Jean, duc de Berry, rappelle en cet endroit fut confirmée à Alain de Taillecol par lettres de Charles V, datées du 9 novembre 1372 (JJ. 103, n° 374, fol. 179 v°).
3 Ce Jean de Luddan, aliàs Ludon, Ludent et mieux de Ludham, était receveur pour le prince de Galles en Saintonge et en Aunis, et avait été gratifié de biens considérables dans ces pays. On trouvera plus loin une nouvelle donation de ses terres confisquées faite par Charles V au sire de Parthenay (acte du 23 décembre 1372). Il possédait aussi à la Rochelle une maison, dite la maison de Fessac, qui fut donnée par le roi à Guillaume de Séris, premier président du Parlement de Paris (JJ. 103, fol. 120).
4 Nous ne connaissons point de document français daté de Poitiers en 1372, antérieurement à celui-ci. On peut affirmer avec certitude, comme nous allons le démontrer, que le duc de Berry fit son entrée dans cette ville le 7 août même, dans l'après-midi. Du Guesclin ne dut l'y précéder que de quelques heures, tout au plus d'une journée. La reddition de Poitiers peut donc être fixée, presque à coup sûr, au 6 août 1372, ou plutôt au samedi 7, dès le matin. Cuvelier, qui se trompe sur l'année, est bien informé quant au jour de la semaine, puisqu'il dit : « Quant Poitiers se rendit, ce jour fut Samedis. » (Chronique rimée de Du Guesclin, édit. Charrière, t. II, p. 269.) Nous sommes heureux de constater que M. Luce dans sa très savante édition de Froissart, dont le huitième volume vient de paraître (janvier 1888), est arrivé à une conclusion identique à la nôtre sur ce point et en ce qui concerne les faits principaux de la conquête du Poitou.
Examinons les événements des jours précédents. A la fin du mois de juillet, le duc de Berry faisait avec le connétable le siège de Sainte-Sevère ; il était arrivé devant la place au plus tard le 29. Ce jour et le lendemain, il écrivit à la duchesse sa femme, demeurée à Mehun-sur-Yèvre. Outre le corps d'armée qu'il avait amené, le duc s'était fait précéder ou accompagner d'un convoi de 4000 viretons garnis de fer qu'il avait commandés à Jeannin Ogier, de Bourges (mandement du 26 juillet) et de dix tonneaux de vin. (Reg. de comptes, KK 251, fol. 97). Le 31 juillet, il envoya à Paris Christian de Beaurepaire, messager à cheval, pour annoncer au roi la prise de Sainte-Sevère. (Id., fol. 89 v°). Ce fut donc ce jour-là, ou la veille au plus tôt, que la place succomba après un assaut terrible. Le lendemain 1er août, le duc de Berry fit payer à Gilet Mercier et à Jean Gaucher, marchands de Bourges, « iic de fustz de glaive et xv fers de glaive », à destination du Poitou ; ces armes furent menées le 4 de Bourges, à Cluys. (Id. fol. 99.) Ces citations tendent à prouver que le connétable et le duc de Berry avaient décidé qu'aussitôt maîtres de Sainte-Sévère, ils iraient opérer en Poitou.
Au dire de Froissart, Du Guesclin étant encore à Sainte-Sévère, fut mandé en toute hâte à Poitiers par un message secret du parti français de cette ville ; il partit sur-le-champ avec une élite de trois cents lances par des chemins couverts et détournés, et fit trente lieues d'une traite en une demi-journée et une nuit (édit. Luce, t. VIII, p. 60, 61). Dans ce récit, le vrai et le faux doivent être mélangés ; malheureusement on ne peut faire la part exacte de l'un et de l'autre. Si la marche de Du Guesclin avait été si rapide, comment expliquer que le duc de Berry soit arrivé à Poitiers presque en même temps que lui ? Ne serait-il pas vraisemblable de supposer que les deux chefs, par une stratégie habile, partirent en même temps de Sainte-Sévère, chacun par une route différente, le connétable avec l'élite dont parle Froissart, élite destinée à surpendre la ville, avant qu'elle n'ait reçu de renforts, el le duc de Berry avec le gros de l'armée, marchant dans une direction plus au sud, pour donner le change aux ennemis, et au besoin leur couper le chemin de Poitiers, sans toutefois les provoquer au combat en rase campagne.
Les forces anglaises réunies à Charroux sous les ordres du captal de Buch pour secourir Sainte-Sevère, n'ayant pas eu le temps de mettre leur dessein à exécution, avaient juré de ne rentrer dans leur garnison qu'après avoir livré combat à l'armée française. (Froissart, édit. S. Luce, t. VIII, p. 58.) Il fallait donc se tenir sur ses gardes. Le duc de Berry fit soigneusement éclairer sa route. Le 2 août, il fit donner à Vézian de Lomagne, son chambellan, 32 sous 6 deniers, pour remettre à un messager qui avait été envoyé « en espie » du côté de la Souterraine et ailleurs (KK. 251, fol. 89). Le 4 et le 5 août cependant, le comte de Poitou était encore à Cluis (arr. de la Châtre, canton de Neuvy-Saint-Sépulcre, Indre) ; il quitta certainement cette localité le même jour, et le 6 au soir, il arrivait à Chauvigny (cette ville avait été reprise par Du Guesclin vers le commencement du mois précédent, ainsi que Lussac et Montmorillon ; Froissart, édit. citée, VIII, p. 51) ; il y était encore le lendemain dans la matinée, car il existe des lettres de lui, datées de cette ville le 7 août, portant don de 100 livres tournois de rente sur la recette du Poitou, en faveur de Guyot de Lezignac, qu'il retint en même temps comme écuyer de son écurie. (Original, J. 189A, n° 4). Dans l'après-midi du même jour, comme on le voit ici même, le duc arriva à Poitiers, et le lendemain 8 août, il envoya un de ses huissiers de salle à Charles V, pour lui annoncer la reddition de cette ville (KK. 251, fol. 89). Le duc de Berry trouva à Poitiers le connétable, dont l'entreprise hardie avait pleinement réussi, et le duc de Bourbon. Les jours suivants, pendant que ses lieutenants et l'armée étaient employés à des expéditions contre les forteresses anglaises du voisinage et en Saintonge, il s'occupa activement d'organiser l'administration de la ville et du pays reconquis, tout en pressant son frère Philippe, duc de Bourgogne, de venir se joindre à lui. Le 17 août, il lui envoya un message pressant à Nevers. (Id. ibid.) Ce prince arriva à Poitiers le samedi matin 28 août. Alors commença une campagne de trois mois, pendant laquelle Du Guesclin, Clisson et les trois ducs, agissant tantôt ensemble, tantôt séparément, reprirent les trois quarts des villes de Poitou et de Saintonge encore détenues par les Anglais, chaque jour amenant une capitulation ou un assaut. (Ernest Petit, Campagne de Philippe le Hardi (1372), p. 8 à 14.)