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DXLII

Lettres d'anoblissement octroyées à Jean Regnault, bourgeois et ancien maire de Poitiers.

  • B AN JJ. 104, n° 43, fol. 19
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 19, p. 236-240
D'après a.

Charles, par la grâce de Dieu roy de France. Savoir [p. 237] faisons à tous, presenset avenir, que nous aians en memoire la parfaite loyaulté et vraie obeissance que ès temps passez a eu à nos predecesseurs et à nous nostre bien amé Jehan Regnault1, bourgois et habitant de nostre ville et cité de [p. 238] Poitiers, le quel ou temps passé a esté maire d'icelle ville, et aussi les bons port, estat et gouvernement que il a mis ou dit office de maire pour le temps que il le exerçoit, comme autrement, et semblablement que il est personne de commendable vie et honneste conversacion, et adornez et garnis de nobles vertuz et autres dignes et louables merites, pour quoy il doit estre eslevé, preferé et essaucié en honneur, dignité et preeminence ; considerans aussi les grans et bons services que il a faiz à nos dis predecesseurs et à nous ou temps passé en pluseurs manieres, ainsi que de ce sommes acertenez, et esperons qu'il face ou temps avenir, icellui Jehan Regnault avecques toute sa lignée descendent, née et à naistre de loyal mariage, masculine et feminine, non obstant qu'il ne soit mie ou ait esté nez, extraiz ou procreez de noble sanc, de nostre certaine science, [p. 239] auctorité royal, plaine puissance et grâce especial, avons anobliz et anoblissons par ces presentes, et à lui et à sa dicte lignée masculine et feminine, procréée et à procreer, avons octroyé et octroyons que ilz soient tenuz et reputez doresenavant et à tousjours mais pour nobles en jugement, en faiz d'armes et ailleurs, en quelconques lieux que ce soit, et que lui et ses enfans masles et leur dicte lignée puissent, quant il leur plaira estre par quelconques autre chevalier aornez d'ordre et estat de chevalerie, et avec-ques ce que eulx et toute leur dicte lignée masculine et feminine, et chascun d'eulx, puissent acquerir et conquester par tout nostre royaume, et se aucuns ont desjà acquestez, tenir, avoir et possider à tous jours fiefs, arrerefiefs, terres, possessions, heritages, justices, seigneuries et quelconques autres choses nobles et de noble condicion, senz ce que pour ce ilz soient jamais tenuz de paier aucune finance à nous ne à noz successeurs roys de France, la quelle finance, quelle et combien grande que elle soit ou puist monter, nous, de nostre auctorité et puissance dessus dictes, leur avons quittée, remise et donnée, quittons, donnons et remettons, par la teneur de ces presentes. Et avec-ques ce leur octroions et voulons que il joissent de tous previleges, droiz, immunitez, franchises, coustûmes, libertez, usaiges et de toutes autres choses, comme font et ont acoustumé et doivent faire chevaliers et escuiers, et autres nobles du dit païs et de nostre dit royaume. Donnons en mandement au seneschal de Poitou et à tous les officiers, justiciers et subgiez de nous et de nostre royaulme, ou à leurs lieuxtenans, presens et avenir, et à chascun d'eulx, que le dit Jehan Regnault et toute sa dicte lignée, et chascun d'eulz facen t, laissent et seuffrent joir et user paisiblement de nostre presente grace et de nostre present octroy, senz leur faire ou souffrir estre fait au contraire destoubier ou empeschement aucun, le quel se il treuvent estre fait, si le rappellent ou facent rappeller et mettre au premier estat [p. 240] et deu. Et ad fin que ce soit chose ferme et estable à tous jours, nous avons fait mettre nostre seel à ces presentes lettres. Sauf en autres choses nostre droit et l'autrui en toutes. Donné à Paris, en nostre chastel du Louvre, l'an de grace mil ccc. lxxii. et de nostre regne le neufviesme, ou mois de decembre.

Par le roy, en son conseil. J. Tabari.


1 Il était maire en 1371-1372. Dans une notice que lui consacre l'auteur de l' Armorial des maires de Poitiers (ms. fr. 20084 de la Bibl. nat,), on lit : « Cette année la ville de Poitiers se rendit au roi de France contre l'avis et consentement dudit Regnault, maire. Les habitants à son insu envoyèrent quérir Du Guesclin, qui tenait la ville de Saint-Sever en Limousin assiégée, lequel y vint incontinent et y entra pour le roi. Regnault fut contraint de se réfugier à la cour d'Edouard prince de Galles, comme étant de faction anglaise ». Cette assertion a été reproduite par tous les historiens du Poitou sans exception, qui l'ont d'ailleurs puisée dans Froissart, dont voici le texte. Après avoir qualifié Jean Regnault de « bon et loyal homme », il dit : « Li communaulté et les eglises et aucun riche homme de la ville se voloient tourner françois, et Jehans Renaus, qui maires en estoit, et tout li officyer dou prince et aucun aultre grant riche homme ne s'i voloient nullement accorder, pour quoi il en furent en tel estri que priès fu le combatre ». Le chroniqueur ajoute que, se doutant que le parti français cherchait à faire entrer Du Guesclin dans la ville, il envoya un messager à Thomas de Percy lui dire de se hâter de revenir à Poitiers. Mais celui-ci arriva trop tard ; la ville avait fait sa soumission. (Edit. S. Luce, t. VIII, p. 60-62.) En présence des lettres d'anoblissement pour les maires de Poitiers en général, et du rappel qui y est fait de Jean Regnault, en présence surtout de ces lettres particulières qui lui décernent la noblesse, en insistant précisément sur les services qu'il rendit au roi pendant qu'il exerçait la première magistrature de sa ville natale, on peut dire que ce bruit calomnieux tombe de lui-même et que la légende propagée de siècle en siècle est à jamais détruite.
Jean Regnault était échevin de Poitiers le 21 septembre 1361, au moment de la prise de possession du pays par Jean Chandos au nom du roi d'Angleterre. (Bardonnet, Procès-verbal de délivrance, etc., p. 147.) Il est certain qu'il resta dans sa patrie pendant l'occupation anglaise et même après la reprise des hostilités ; mais il ne fit qu'imiter en cela l'exemple de presque toute la noblesse et de la bourgeoisie poitevines. Ses sentiments français se réveillèrent dans les premiers jours du mois d'août 1372, et il reçut avec joie, comme tous ses concitoyens, Du Guesclin et le comte de Poitou. On peut même dire, d'après nos documents, qu'il leur facilita leur tâche. D'ailleurs il encourut si peu la disgrâce du duc de Berry et du roi qu'il fut maire de nouveau en 1374. Les listes des maires de Poitiers donnent en 1372, 1373 et 1374, le nom de Jean Bigot, et portent qu'il eut pour successeur immédiat en 1375 Pierre Regnault. Mais voici un document qui nous permet de rectifier cette erreur. Le 16 septembre 1374, Charles V fit bailler et délivrer comptant par ses clercs et conseillers, Hue de la Roche, Bertrand Duclos et son valet de chambre Jean de Vaudétar, à Guillaume Larchevêque, sire de Parthenay, et à Jean Regnault, qualifié maire de Poitiers, par manière de prêt, la somme de 6000 francs d'or. Ceux-ci s'obligèrent à la rendre à la S. André suivante. Mais le duc de Berry déclara que cette dette lui incombait et voulut que l'obligation lui fût passée par les généraux sur le fait des aides pour la guerre en déduction des 47000 francs que Charles V lui avait promis, en récompense des comtés de Saintonge et d'Angoumois, dont il s'était dessaisi quelque temps avant. Et en effet, le 11 mars 1375, le duc de Berry donna quittance de cette somme et en déchargea son « compaignon » le sire de Parthenay et Jean Regnault, maire de sa ville de Poitiers. (Arch. nat. J. 382, n° 6.) Un fait qui a pu contribuer à accréditer la légende de la défection de Regnault, c'est le procès que lui intenta Pierre Boschet, qui l'accusait d'avoir coopéré à l'arrestation de son oncle Jean Boschet, soupçonné de conspirer en faveur du parti français, et que les Anglais avaient mis à mort en 1370, comme nous l'avons vu ci-dessus, p. 121 et note.
On trouve le nom de Jean Regnault pour la première fois dans un acte du 30 avril 1353, publié dans notre précédent volume, p. 145. Le 10 octobre 1355, il était l'un des fermiers de l'impôt des six deniers pour livre, et reçut en cette qualité mandement de payer aux maire et habitants de Poitiers, conformément aux lettres du maréchal de Clermont, lieutenant du roi en Poitou, du 6 octobre précédent, la somme de 400 livres qu'il leur avait accordée pour fortifier la ville. (Archives mun. de Poitiers, H. 4.) Il figure encore dans un grand nombre d'actes scellés des années 1386 et 1387, conservés dans le même dépôt, où on voit qu'il portait pour armes un chevron chargé de trois coquilles et accompagné de trois étoiles, deux en chef et une en pointe. (Id., J. 16, 216 et suiv.)