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DVII

Restitution à Geoffroy d'Oradour, écuyer, du château du Bouchet en Brenne, qu'il avait repris sur les Anglais et qui lui appartenait par droit d'héritage, et de l'étang de la Gabrière, situés dans la sénéchaussée de Poitou.

  • B AN JJ. 100, n° 1694, fol. 206
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 19, p. 92-97
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à touz, presens et avenir, de [p. 93] la partie de Perreau d'Oradour et Jofroy d'Oradour1, son fils, escuiers, nous avoir esté humblement exposé que, comme feux Pierre de Neillac, chevalier, fust vray seigneur proprietaire et possesseur, ou temps qu'il vivoit et ou quel ala de vie à trespassement et mort vestu et saisi des chasteaux de Gargelesse et du Boschet en Brenne et des appartenences d'iceulx, et le dit chevalier eust exposé2 Heliote de Prie3, la quelle après le decès du dit Neillac. [p. 94] tint et occupa le dit chastel du Boschet et les appartenences d'iceluy et le bailla de fait à un chevalier que on appeloit Artaut d'Ussel4, des Marches de Bourgongne, lequel Artaut tint et occupa par certain temps le dit chastel, avequez lui grant quantité de gens d'armes, avec les quelx le dit Artaut fist moult de maulx en nostre dit royaume, et par especial au païs de Berry et tout le païs entour le dit chastel du Boschet, qui est assis en la duchié de Guienne, en la seneschalcie de Poitu5 ; après les quelles [p. 95] choses les dessus diz Artaut et Heliote firent alience avecques un d'Angleterre, nostre ennemi, appellé Gautier Mellot, au quel royalment et de fait le dit chastel du Boschet il baillerent et delivrerent. Et après ce que la duchié de Guienne a esté baillée par nostre très chier seigneur et pere, que Dieux absoille, et nous au roy d'Angleterre et à son filz, le prince de Gales, noz ennemis, et que le dit chastel du Boschet fust mis en l'obeissance de noz diz ennemis, le dit Gautier Mellot est alez de vie à trespassement, tenent et possident le dit chastel, et institua son heritier Janequin Durant, anglois et nostre ennemi, au quel Janequin, entre les autres choses le dit Gautier laissa le dit chastel du Boschet, qui est situé ès frontieres et ou dyocese de Berry, combien qu'il soit en la dicte duchié et seneschalcie de Poitu, le quel Janequin depuis donna le dit chastel et les appartenances d'ycelui à Ysabele de Bret, sa fame, et à Sebile la Fuilhe, fille de la dite Ysabele, qui estoient du païs de Guienne. Les quelles [choses] ainsy veuez et considerez, le dit Perreau d'Oradour, pere du dit Joffoy, qui estoit et est hoir plus prochain de la ligne et du lignage du dit feu Pierre de Neillac6, chevalier, et cousin germain d'ycelui, et que par ce le dit chastel et appartenances du Bochet appartenoit et devoit appartenir à luy et aux siens, comme au plus prochain de lignage du dit feu Pierre de Neillac, fist tant qui prist et occupa le dit chastel et en bouta hors les Angloys et noz ennemis qui dedens estoient, et rendi et a rendu et mis le dit chastel avecquez cez appartenances en nostre obeissance, en la quelle lez dis supplians sont et ont volonté d'estre tousjours à leur pooir, comme noz bons et vrais loyalz subgez. Pour les queles choses les diz supplians nous ont supplié que, consideré ce que dit est et que le dit Perreau, en recouvrant le dit chastel, perdi pluseurs de ses amis et [p. 96] gens, et que tant pour la prise du dit chastel comme pour la garde d'ycelui il ont bien fraié jusques à la somme de deux mille francs d'or et plus, par quoy les dis supplians sont moult apeticié de leur estat, il nous plaise de nostre grace et auctorité royal donner et octroier au dit Joffroy, fil du dit Perreau, pour lui et pour ses hoirs et successeurs, tout le droit et accion que nous avons et povons avoir, à la cause dessus dicte ou autres quelconques, ou dit chastel du Bochet et ces appartenances, tant en l'estanc de la Gabriere comme en toutes autres appartenances quelconques d'icelui. Les quellez choses dessus dictes considerées et afin que les supplians aient tousjours milleur voulenté de nous servir, et que par ce les autres soient plus enclinz de venir en nostre service et obeissance, nous au dit Joffroy le dit chastel du Bochet avec le dit estanc de la Gabriere et autres appartenances quelconques et appendences, et tout le droit et accion que nous avons et pourrions avoir ou dit chastel et appartenances, pour les causes dessus dictes ou quelconques autres, nous avons donné et donnons, de nostre certeinne science et grace especial, par ces presentes, à tenir par le dit Joffroy, sez hoirs et successeurs et qui d'eux auront cause perpetuelment, le chastel, estanc et appartenances dessus dictes, comme leur propre chose, sauf et reservé à nous et à noz successeurs, roys de France, la souverainneté ou ressort du chastel et appartenances dessus dictes. Si donnons en mandement, par la teneur de cez presentez, à noz seneschalz de Limosin, Quercin et de Poitou, et à tous les officiers et justiciers de nostre royaume, presens et avenir, et à chascun d'eulz que le dit Joffroy mettent en possession et saisine, se mestier est, du dit chastel et appartenances, et en ycellez le gardent et deffendent et maintiengnent, et du dit chastel, estanc et appartenances dessus dictes le dit Joffroy, ses hoirs et successeurs et qui d'eulz auront perpetuelment cause, facent et sueffrent joir et user paisiblement, comme [p. 97] leur propre chose, selon la fourme et teneur de nostre presente grace, senz leur faire sur ce ne souffrir estre fait aucun empeschement ou destourbier par quelconque maniere. Et pour ce que ce soit ferme, etc. Sauf, etc. Donné en nostre chastel du Lovre à Paris, ou mois de mars l'an de grace m. ccc. lxx, et de nostre regne le viie.

Par le roy. T. Hocye. — Visa.


1 Nous pouvons citer trois quittances d'un Geoffroy d'Oradour, le père sans doute de Perrot ici nommé. Elles sont revêtues du sceau de ses armes qui sont : une croix chargée de cinq coquilles sur un écusson penché, timbré d'un heaume à volet. La première nous apprend qu'il était en garnison à Saintes, le 22 mai 1330 ; par la seconde il reconnaît avoir été défrayé des dépenses faites dans une mission militaire à Paris ; elle est datée de Saint-Jean-d'Angély, le 16 décembre 1337 ; la troisième, donnée à Pons, le 22 août 1345, est une quittance de gages pour services de guerre en Poitou, Saintonge et Limousin. Dans l'un de ces actes, Geoffroy d'Oradour est qualifié seigneur de Nozerières. (G. Demay, Invent. des sceaux de la coll. Clairambault, t. II, p. 27.)
2 Sic. Lisez « épousé ».
3 Un arrêt rendu au Parlement entre Louis de Malval et Guy de Chauvigny, au sujet des biens provenant de la succession de cette Héliote ou Eliette de Prie, arrêt dont il a été question ci-dessus (p. 45, note), nous permet de fixer aux années 1360-1362 les faits mentionnés ici et de donner des renseignements sur quelques-uns de ces personnages. Jean de Prie, seigneur de Buzançais, avait épousé la fille unique d'Elie de Brosse et de la dame de Flet. Ils eurent deux enfants, Jean et Eliette, qui hérita de son frère, mort sans postérité, entre autres biens, des châteaux et terres d'Eguzon, de Châteauclos et d'Arrablay. Elle mourut au mois de janvier 1366 n. s., après une vie extrêmement accidentée. Mariée à Pierre de Neillac ou de Nailhac, chevalier, elle fut à plusieurs reprises convaincue d'adultère et finit par quitter son mari pour vivre avec Artaud d'Uzès ou d'Ussel, comme il est nommé dans les présentes lettres, auquel elle livra ses châteaux et forteresses. Ce chevalier s'était adonné au métier lucratif de chef de compagnie et entretenait dans ces repaires des garnisons de brigands qui étaient la terreur du pays. Ils parcouraient les campagnes, pillant les habitants des villages, leur volant leurs récoltes et leur faisant subir toute sorte de vexations. Le sire de Malval était alors lieutenant du duc de Bourbon et gouverneur de son comté de la Marche. Sur les plaintes qui lui arrivaient de tous côtés contre Artaud et ses bandes, il réunit la noblesse, le clergé et les bourgeois du pays, et il fut décidé dans cette assemblée que l'on emploierait la force des armes pour réduire les brigands et s'emparer de leurs places fortes.
Sur ces entrefaites, Artaud d'Ussel fut pris par une autre bande d'aventuriers qui guerroyaient pour leur propre compte, et, pour recouvrer sa liberté, il leur abandonna les châteaux d'Eliette de Prie, et quitta le pays. Les nouveaux venus les occupèrent un long espace de temps et continuèrent les dévastations. Enfin ils furent battus et leurs fortesses prises par les forces composées de nobles et de paysans que le gouverneur du comté avait réunis. Les châteaux saisis furent mis sous la main du comte de la Marche, pour payer les frais de cette expédition. C'était au mois de novembre 1362. Eliette n'avait pas suivi Artaud d'Ussel, mais elle continuait à mener une vie fort dissolue. Devenue veuve à cette époque par la mort de Pierre de Neillac, elle fut repoussée de tous ses parents et amis et tomba de degré en degré dans la dernière débauche et dans la misère. Alors, faisant un retour sur elle-même, elle s'adressa à Louis de Malval et lui proposa de lui faire une donation de tous les biens qui avaient été saisis, à condition qu'il pourvût à sa nourriture et à ses besoins jusqu'à sa mort. Celui-ci accepta le traité, mais ne pouvant la recevoir à Châtelus, où il demeurait avec sa femme, celle-ci ne voulant avoir aucune relation avec une personne si mal famée, bien qu'elle fût sa cousine, il lui assigna pour demeure sa maison de la Forêt, puis, quelque temps après, son château de Malval. Elle y fut traitée suivant sa condition. Ce fut là qu'elle mourut au mois de janvier 1366, comme nous l'avons dit. Le sire de Malval était alors absent. Le curé, considérant qu'Eliette était sous le coup d'une excommunication, parce qu'elle avait eu deux maris à la fois, refusa de l'inhumer en terre sainte et la fit enterrer dans les champs. Quand Louis de Malval en fut informé, il demanda à l'évêque de Limoges et obtint des lettres d'absolution qui lui permirent d'exhumer le corps de sa cousine et de le faire ensevelir dans l'église. Il fonda même une chapellenie pour le repos de son âme. Nous avons vu que, accusé par Guy de Chauvigny d'avoir extorqué à Eliette de Prie la donation de ses biens et de l'avoir ensuite empoisonnée, Louis de Malval parvint, après de longues années, à faire reconnaître son innocence par le Parlement de Paris. (Archives nat., X2A 11, fol. 187 v°-192 v°.)
4 Il s'appelait plutôt d'Uzès, comme on trouve son nom écrit dans le registre au Parlement cité dans la note précédente. On connaît de lui une quittance de gages pour services militaires en Gascogne, datée d'Agen, le 29 octobre 1354 ; sur la légende du sceau, on distingue nettement S. ARTAUD D'USEYS, et dans le texte il est nommé Artaud d'Uzès, chevalier. (Demay, Invent. des sceaux de la coll. Clairambault, in-4°, t. II, p. 270.)
5 On voit que les limites de la sénéchaussée du Poitou à cette époque s'étendaient assez avant dans le Berry.
6 Ici et plus bas le registre porte par erreur Meillac.