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DXXI

Rémission accordée à Jean Brumen, qui s'était emparé d'une nef venant de Portugal, sur laquelle se trouvait, entre autres marchands, Jean Bonnin, natif des environs de Poitiers, considéré comme rebelle et partisan des Anglais.

  • B AN JJ. 103, n° 215, fol. 110
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 19, p. 143-146
D'après a.

Charles, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, de la partie de Jehan Brumen, nostre sergent d'armes, nous avoir esté signifié que, environ la feste de la Nativité nostre Seigneur l'an de grace mil ccc. lxx, Guillaume Morfouace1, Jaquet le Bouchier et le dit exposant, maistres de trois barges [p. 144] d'armée ès parties de Bretaigne vers Fille de Bast, là où il estoient alez, en entencion de grever nos ennemis, prindrent une nef appellée Corpesaint que par la mer l'en amenoit du royaume de Portugal, en la quelle nef estoient et furent par eulx trouvez Jamet Labourie, Jehan de Canigo, les enfans de Lorgeril, Gautier de Mes, Manin Quatriex, Jehan Bonin et pluseurs autres, avec certaine quantité de vins, de billon et d'autres choses, et ycelle nef et choses qui dedens estoient menerent en l'ille de Brehac, en la terre de nostre très chiere cousine la duchesse de Bretaigne2, en la quelle isle [par] Jamet, Manin et autres dessus nommez fu opposé la dicte prinse avoir esté et estre mains deuement faite, pour ce [que] ilz se disoient noz subgès et bien vueillans. De la partie d'iceulx exposans Guillaume et Jaquet fu respondu que le roy de Portugal, de quel royaume la dicte nef venoit, estoit lors ennemi de nostre très chier cousin et bien vueillant le roy d'Espaigne, et allié à Edouart d'Angleterre, nostre ennemi ; aussi en la dicte nef n'avoit aucune chartre partie, par la quelle apparoir peust dont il amenoient la dicte nef, ne où il la vouloient mener, et par ce [estoit] vraie presumpcion que ilz l'avoient emblée ou pilliée, et avec ce, supposé que les dis Manin, Jamet et autres dessus nommés, exepté le dit Jehan Bonin qui en la dicte nef avoit xvii. tonnaux de vin, fussent nos subgez et bien vueillans de nous, toutevoiz avoient il mis et acompaigné avec eulx le dit Jehan Bonin, nez d'emprès [p. 145] Poitiers3, et lors demourant en la ville de la Rochelle, que lors occupoit Edouart de Gales ou ses gens, dont s'ensuioit le dit Jehan Bonin estre nostre ennemi ou rebelle, et par ce la dicte prinse avoit esté et estoit justement faicte, et finablement après pluseurs altercacions fu accordé entr'eulx que, parmi certaine quantité de vins et somme d'argent, qui lors par les dis maistres furent baillés realment et de fait aux dis Jamet, Manin et autres leurs consors, dont dessus est faite mencion, yceulx Jamet, Manin et autres dessus nommés quicterent et quicte clamerent à tous jours les dis maistres de la dicte prinse et des vins, billon, nef et marchandises que il prindrent et eurent par devers eulx, et en approuvant la dicte prinse avoir esté justement faicte, promistrent à non venir contre la dicte quantité, ainçois s'obligerent à leur garantir vers tous et contre tous, si comme par certain instrument sur ce fait peut apparoir ; mais ce non obstant, les dis Manin Quatriex, Gautier de Mez et autres ont trait en cause le dit exposant, pour raison de leurs biens et marchandises que ilz dient avoir esté prins en la dicte nef, et des dommages et despens que ilz se dient y avoir pour ce souffers, et contre lui s'efforcent de faire proceder criminellement, combien que il n'ait pas deservi estre ainsi traictié, attendu ce que dit est, [p. 146] sy comme il dit, suppliant, comme contre nos ennemis il nous ait loyalment et longuement servi en nos guerres, tant par mer comme par terre, nous sur ce lui vueillons eslargir nostre grace. Nous adecertes au dit exposant le fait dessus dit et toute peine et offense corporelle, criminelle et civile que pour ce puet avoir encouru envers nous, lui avons remis, quicté et pardonné ou dit cas, remettons, quictons et pardonnons, de certaine science et grace especial, et aus païs, à sa bonne renommée et à ses biens quelconques le restituons, en imposant sur ce silence perpetuel à nostre procureur ou procureurs, sauf toutevoies le droit de partie adverse à poursuir civilement. Pour quoy nous donnons en mandement à nos amez et feaulx amiral et visamiral, et à tous nos justiciers, officiers et subgès, ou à leurs lieux tenans et à chascun d'eulx, si comme à lui appartendra, que le dit exposant facent et sueffrent joir de nostre presente grace, et au contraire ne le molestent et ne sueffrent estre molesté comme que ce soit, et ses biens pour ce prins, saisis, levez ou arrestez lui mettent ou facent mettre à pleine delivrance. Et pour ce que ce soit ferme chose et estable à tous jours, nous avons fait mettre nostre seel à ces presentes lettres. Sauf nostre droit en autres choses et l'autrui en toutes. Donné au bois de Vincennes, ou mois de septembre l'an de grace mil ccc. lxxii, et de nostre regne le ixe.

Par le roy, en ses requestes. Henry.


1 Guillaume Morfouace se fît connaître par d'autres aventures. Avec Robert de Guité, chevalier, et quelques autres il s'empara de la ville de Saint-Malo par surprise : ils gardèrent les clefs des portes, destituèrent les officiers de l'évêque, en mirent d'autres à leur place, etc. Voy. un mandement de Charles V à Olivier de Clisson, son lieutenant en Bretagne, de faire restituer la garde de la ville à l'évêque et au chapitre, en date du 1er octobre 1374. (Dom Morice, Hist. de Bretagne, Preuves, t. II, p. 86.) Ce personnage figure dans des montres d'écuyers de Bretagne pour l'année 1379-1380 (id., col. 396, 401, 402, 410, 412), servant sous le connétable Du Guesclin. On trouve aussi une quittance de gages par lui donné à Pontorson, le 8 septembre 1379, et scellée de son sceau : écu portant un besant ou un tourteau, penché, timbré d'un heaume cimé d'une tête d'homme barbu, supporté par deux lions. Il se qualifie écuyer. (Demay, Invent, des sceaux de la coll. Clairambault, t. I p. 684.)
2 Jeanne, duchesse de Bretagne, comtesse de Penthièvre et de Goëllo, vicomtesse de Limoges, dame d'Avaugeur, de Mayenne, etc., surnommée la boiteuse, née en 1319, mariée, par traité passé à Paris le 4 juin 1337, à Charles de Blois ou de Châtillon, dit le saint, qui avait été déclaré duc de Bretagne aux droits de sa femme, par arrêt des pairs de France, le 7 septemdre 1341. Charles de Blois fut tué, comme on sait, au combat d'Auray, le 29 septembre 1364. Sa femme lui survécut vingt ans ; elle mourut le 10 septembre 1384, et fut enterrée dans le chœur de l'église des Cordeliers de Guingamp. (Le P. Anselme, Hist. généal., t. I, p. 450, 451.)
3 Ce nom avec le prénom de Jean est très commun en Poitou à cette époque, mais l'on ne saurait identifier avec certitude le personnage dont il est question dans ces lettres avec aucun de ceux que nous allons citer. Un Jean Bonnin, échevin de Poitiers, avait été commis par Jean Chandos, le 23 septembre 1361, garde du sceau royal établi aux contrats à Poitiers, pour ladite ville, la châtellenie et son ressort. (Bardonnet, Procès-verbal de délivrance, etc., p. 147 et 149.) On trouve encore : 1° Jean Bonnin, l'un des fermiers de l'impôt de six deniers pour livre établi en Poitou et en Limousin, à la date de 10 octobre 1351 (Archives de la ville de Poitiers, H. 4) ; 2° Jean Bonnin, écuyer, seigneur de Monthomar, fils de Joubert, tué à la bataille de Poitiers, fut gouverneur de la haute et basse Marche (Beauchet-Filleau, Dict. des familles du Poitou, t. I, p. 396) ; 3° enfin, Jean Bonnin. l'un des gardes de la monnaie de Poitiers, en 1358 et jusqu'au 27 mai 1359 (voy. notre volume précédent, p. 162, note).