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CCCCLXXIX

Lettres de rémission données en faveur de Marguerite de Ry. Elle était retenue prisonnière à Mirebeau, pour avoir voulu faire entrer secrètement dans son château de Ry Jean Roudet, son mari, que l'on soupçonnait d'être partisan du prince de Galles.

  • B AN JJ. 100, n° 308, fol. 90
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 19, p. 13-16
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, que de la partie de Marguerite de Ry, povre dame, jadis femme de feu Guillaume d'Eron1, chevalier, demourant en la chastellerie de Mirebeau, nous a esté exposé que, comme environ la feste de l'Ascencion Nostre Seigneur derrainement passée, Jehan Roudet2, de la duchié de Guyenne, eust prinse la dite suppliante par mariage, qu'il n'estoit guerre [p. 14] aucune entre nous et le prince de Gales, après lequel mariage, se fust trait ycellui Roudet devers le sire de Mirebeau3, ou sez officiers, et li eust juré feaulté pour cause du fort de Ry et dez appartenances de ycelly, et finé du rachat ; et combien que la dite suppliante ait tousjours esté et soit nostre bonne et vraye subjecte et obeissante, et que pour lors il ne fust guerre aucune entre nous et le dit prince, comme dit est, et eust ycellui Roudet paié au dit sire de Mirebeau, ou à ses gens et officiers pour lui, tel droit comme il appartenoit, à cause du dit rachat, neantmoins lez gens et officiers du dit sire de Mirebeau ne le vouldrent [p. 15] lessier entrer ou dit fort de Ry, ne d'icellui laissier joir en la maniere qu'il appartenoit, pour le doubte qu'il avoient de seur lui ; pour la quelle chose, le dit Roudet, qui vouloit tenir nostre partie et estre nostre bon et loyal subject, si comme il disoit, se feust trais par devers nous en nous exposant ce que dit est, et eust obtenu noz lettres adreçans au seneschal d'Anjou et du Mainne, par lez quelles nous li mandions que, ou cas devant dit, il meist et laissast le dit Roudet joir du dit fort et appartenances d'icellui ; non obstant lez quelles noz lettres, lez gens ou officiers du dit seigneur de Mirebeau en furent du tout refusans, mais y mist le dit seigneur, ou ses officiers pour lui, certain capitainne, le quel ne voult acomplir le contenu de noz dites lettres, combien que par le dit Roudet li feussent deuement présentées, pour la doubte devant dite. Pour la quelle chose la dite suppliante, estant en icellui fort, fu moult dolente et courouciée, quant il ne le voult laissier entrer ou dit fort, pour demourer avecques elle, comme son seigneur, et eust fait le dit Roudet assavoir à la dite suppliante que elle li feist faire un pertruis, par le quel il entreroit en ycellui fort, lui acompaignié de gens tenans nostre partie, si comme il disoit, la quelle suppliante pensant que en ce faisant ne se meffeist en riens, tant pour l'amour et affection que elle avoit avecques son dit mary, comme pour les lettres de nous par li obtenues, fist faire le dit pertruis. La quelle chose vint en la congnoissance du dit capitainne, avant que aucun effect s'en ensuist, et pour ce fist prendre le capitainne du dit lieu de Mirebeau la dite suppliante et ycelle emprisonner, et a depuis le dit capitaine tenue et encores detient la dite povre suppliante prisonniere, soubz umbre de ce qu'il dit son dit mary tenir la partie du dit prince, et aussi du dit pertuis fait au dit fort, comme dit est. Et nous a humblement fait supplier que, comme pour lors le dit Roudet, son mary, eust bonne voulenté d'estre nostre bon et loyal subject, si comme il disoit, et soit la [p. 16] dite povre suppliante en peril de morir de fain en la dite prison, avec un enffant qu'elle a du dit feu Guillaume d'Eron, du quel elle a la garde, et ait tousjours esté de bonne vie et renommée, sanz aucun vilain blasme ou reproche, nous sur ce li veillons impartir nostre grace. Nous adecertes, eue consideracion aux choses devant dites, inclinans à sa dite supplicacion, à ycelle suppliante le dit fait avecques toute peinne corporelle, criminelle et civile, que pour cause d'icellui elle puet ou pourroit estre encourue envers nous, ou cas dessus dit, avons remis, quictié et pardonné, et par la teneur de ces presentes lettres, de nostre certaine science, grace especial, plaine puissance et auctorité royal, remettons, quittons et pardonnons. Si donnons en mandement, par ces mesmes presentes, au dit seneschal d'Anjou et du Maine, ou à son lieutenant, qu'il face commandement de par nous et contraingne, se mestier est, le dit seigneur et ses gens ou officiers à la dite suppliante, detenue pour les dites causes, delivrer et mettre hors de la dite prison, de la quelle nous ou diz cas l'en delivrons. Mandans aussi à tous les autres justiciers de nostre royaume, presens et avenir, et à leurs lieux tenans, et à chaseun d'eulz, si comme à lui appartendra, que ladite suppliante facent. sueffrent et lessent joir et user plainement et paisiblement de nostre presente grace et remission, et contre la teneur d'icelle ne l'empeschent, molestent ne traveillent, ne ne sueffrent estre empeschée, molestée ou traveillée en aucune maniere. Et pour ce que ce soit ferme, etc. Sauf, etc. Donné en nostre hostel lez Saint-Pol à Paris, ou mois de novembre l'an de grace mil ccc. lxix, et de nostre regne le sizieme4.

Par le roy en ses Requestes. R. Le Fevre. Ego scriptor. Bournaseau.


1 D'Ayron, ou d'Oiron. On trouvera plus loin des lettres de mars 1376 accordant rémission à un Guillaume d'Oyron et à plusieurs autres, pour des faits de guerre remontant à l'année 1362.
2 Sur ce personnage nous avons des renseignements postérieurs de quelques années, 1377-1386, d'où il résulte qu'il aurait épousé, en secondes noces, Eléonore de Vivonne. MM. Beauchet-Filleau citent d'autre part une Aliénor de Vivonne, dont ils ne peuvent indiquer la filiation, mariée d'abord à Pierre de Jaunay, chevalier, seigneur de Jaunay et de Boulié, et ensuite à Jean Rondet (sic) (Dict. des familles de l'anc. Poitou, t. II, p. 812). Or, en 1377 Jean Roudet, écuyer, mari d'Eléonore de Vivonne, soutenait en appel au Parlement un procès engagé d'abord devant le bailli des Exemptions de Poitou et de Touraine, au sujet de la terre de la Boulie (sic), contre Maurice de Lenay, chevalier, à cause de sa femme, Jeanne de Jaunay. Ce dernier demandait à la cour de révoquer un accord intervenu précédemment dans cette affaire ; mais un arrêt du 12 mai 1377 déclara cet acte bon et valable, et ordonna qu'il serait exécuté (X1a 26, fol. 216). Cette décision ne mit pas fin au litige. Le 2 juillet 1380, on trouve un mandement du Parlement au sénéchal de Poitou, prescrivant une enquête (X1a 29, fol. 74). Le 21 février 1382 n. s., Maurice de Lenay et sa femme soumirent leurs conclusions à la cour. Cet acte nous a été conservé. On y apprend que Pierre Ier de Jaunay, seigneur dudit Jaunay et de Boulié, et sa femme, Marguerite de Maillé, avaient eu deux enfants, Pierre II et Jeanne, cette dernière mariée audit Maurice de Lenay. A la mort de leurs parents, Pierre II et Jeanne avaient hérité de tous leurs biens, et en particulier desdites terres. Puis Pierre II était décédé à son tour, sans hoir de sa chair. Sa sœur et unique héritière aurait dû alors entrer en possession de Jaunay et de Boulié. Cependant Jean Roudet et Eléonore de Vivonne, saisis de la terre de Boulié, l'ont tenue dès cette époque, et après la mort de sa femme (elle était décédée par conséquent avant le 21 février 1382, mais elle vivait encore le 2 juillet 1380), ledit Roudet avait continué à la tenir et à en percevoir les revenus, à tort et contre raison. Maurice de Lenay et Jeanne de Jaunay demandaient en conséquence que la terre de Boulié leur fût adjugée (X1c 44. à la date). L'acte en question porte aussi que cette terre était tenue en fief du château de Benet. Il en ressort clairement que Jean Roudet avait épousé la veuve de Pierre II de Jaunay et qu'il tenait d'elle son titre sur la propriété litigieuse. Ce fut seulement le 26 mai 1386, que le Parlement rendit son arrêt définitif (X1a 34, fol. 162), adjugeant la terre de Boulié à Maurice de Lenay et à sa femme, et condamnant Jean Roudet à la remettre entre leurs mains et à leur restituer les revenus qu'il en avait perçus depuis la mort d'Eléonore de Vivonne, à payer les dépens du procès et des dommages et intérêts aux demandeurs, dont le chiffre devait être fixé ultérieurement.
On peut relever dans cet arrêt des renseignements complémentaires sur les personnages cités ici. Il y est dit que Pierre II de Jaunay avait épousé Eléonore de Vivonne, en 1352, et que par son testament, daté du second dimanche de carême 1353 a. s., il avait ratifié le don fait antérieurement à sa femme de la terre de Boulié pour tenir lieu de sa dot qui lui avait été payée en argent, s'il mourait avant elle. Cette terre ne valait du reste, suivant Jean Roudet, que vingt livres de revenus. Ledit Pierre était décédé cette même année, et depuis, sa veuve avait eu successivement trois autres maris, qui tous avaient eu la jouissance de ladite terre, en avaient fait hommage au seigneur de Benet et avaient reçu les aveux des fiefs qui en dépendaient. Avant de mourir, ladite Eléonore en avait fait don à Jean Roudet, son quatrième mari.
Un accord conclu dans une autre affaire nous apprend que Maurice de Lenay, chevalier, était déjà marié, en 1367, avec Jeanne de Jaunay (Arch. nat., X1c 17).
3 En 1369, la châtellenie de Mirebeau avait pour seigneur Louis de Namur, seigneur de Bailleul en Flandre, qui, ayant enlevé avec son consentement, Isabelle de Roucy, fille de Robert, comte de Roucy, héritière de Mirebeau, l'avait épousée le 17 mars 1364 (E. de Fouchier, La baronnie de Mirebeau, p. 82).
4 Il est à peine besoin de faire remarquer la contradiction qui existe entre cette rémission et les lettres de don datées du 27 novembre 1369 (n° CCCCLXXVII ci-dessus).