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DXX

Don à Gilles Malet et à Jean de Vaudétar, valets de chambre du roi, de deux mille cinq cents livres parisis à prendre sur les biens qui avaient appartenu à l'Anglais Gautier Spridlington, dans les sénéchaussées de Poitou et de Saintonge.

  • B AN JJ. 103, n° 308, fol. 144
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 19, p. 139-143
D'après a.

Charles, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, que nous, pour consideracion des bons et a ggreables services que nous ont fais ou temps passé et font encores chascun jour nos amez vallez de chambre, Gilet Malet1 et Jehan de Vaudetar2, [p. 140] [et] esperons qu'ilz facent ou temps avenir, à yceulx Gilet et Jehan conjointement avons donné et octroie, donnons et octroions de grace especial par ces presentes tout ce que tenoit, avoit et possidoit, et povoit avoir, tenir et possider, tant en meubles, heritages, rentes, revenues, justices haultes, moiennes et basses, et autres [p. 141] noblesses et seignories, comme autres choses quelconques, Gautier Sparlinton, anglois d'Engleterre, ès seneschaucies de Poitou et de Xanctonge, jusques à la valeur de deux mille et cinq cens livres pairisis, les quelles choses nous appartiennent par la fourfaiture et confiscacion du dit Gautier3, nostre ennemi et rebelle, et se est armé et a [p. 142] tenu et tient notoirement contre nous et nostre royaume le parti de Edduart d'Engleterre et de Edduart, son ainsné fils, nos ennemis et adversaires, à avoir, joir et tenir les dis biens, rentes, heritages et autres choses, jusques à la valeur dessus dicte, par nos dis vallès de chambre conjoinctement ou par parties, ainsi que entr'eulx ilz les vouldront partir et deviser, et par leurs hoirs et successeurs et aiens cause d'eulx perpetuelment, et en faire leur volenté et prouffit comme de leur chose. Si donnons en mandement aus seneschaus de Poitou et de Xanctonge et à tous nos autres officiers, justiciers et subgiez, presens et advenir, ou à leurs lieux tenans et à chascun d'eulx, si comme à lui appartendra, que nos dis vallès de chambre ou leurs procureurs pour eulx et en leurs noms portans ces presentes, ilz mettent pour eulx et leurs hoirs [et] aians cause d'eulz, en la manière que dit est, en possession et saisine des dis biens, rentes, heritages et autres choses dessus dictes, et d'iceulx les facent et lessent joir et user paisiblement, sans faire ou souffrir estre fait, contre la teneur de ces presentes, delay, destourbier ou empesehement aucun, ores ne pour le temps avenir, en aucune maniere, non contrestans quelconques dons fais et à faire d'iceulx biens, rentes et héritages par nous, nostre très amé frere, le duc de Berry, conte de Poitiers, de Xanctonge et d'Angoulesme, et nostre lieutenant ès dictes parties, et nos autres lieux tenans ou autres aiens povoir ad ce, les quelx nous ne voulous estre d'aucun effect à l'encontre de nostre present don, et aussi non obtans autres dons fais [p. 143] à nos dis vallès de chambre par nos predecesseurs et nous, et qu'il ne soient exprimez en ces presentes, et ordenances, mandemens ou defenses ad ce contraires. Et adfin que ce soit ferme chose et estable à tous jours, avons fait mettre nostre seel à ces presentes lettres. Sauf en autres choses nostre droit et l'autrui en toutes. Donné en nostre chastel du boys de Vincennes, le xxixe jour de septembre l'an de grace mil trois cens soixante et douze, et de nostre regne le ixe.

Par le roy . J. Tabari.


1 Célèbre surtout comme garde de la librairie de Charles V, et par l'inventaire qu'il en dressa en 1373, Gilles Malet, qui était valet de chambre du roi dès avant le mois d'avril 1365 (L. Delisle, Mandements de Charles V, p. 145), ne touche à l'histoire du Poitou que par la présente donation. On verra dans la note de la page suivante, qu'il n'en eut point la jouissance effective. Nous ne saurions mieux faire que de renvoyer le lecteur aux renseignements fournis sur ce personnage par M. Delisle, dans son savant ouvrage le Cabinet des manuscrits de la Bibliothèque nationale (coll. de documents publiés par la ville de Paris, 4 vol. gr. in 4°, t. I, p. 21-23, 46, 48, 55, 102, et t. III, p. 333). Gilles Malet fut établi châtelain et capitaine du château de Beaumont-sur-Oise, aux gages de 300 livres, par lettres du 17 mars 1380 n. s., et choisi par Charles V pour l'un des exécuteurs de son testament, avec Jean de Vaudétar et plusieurs autres, acte daté de Beauté-sur-Marne, le 16 septembre de la même année. (Mandements de Charles V, p. 925, 949 ; voy. le même ouvrage, passim.) Gilles Malet mourut en janvier 1411, laissant de Nicole de Chambly, sa femme, deux fils, Jean et Charles. Nous ajouterons quelques renseignements inédits à ceux que l'on trouve dans les deux ouvrages que nous venons de citer sur le garde de la bibliothèque de Charles V. Un mandement du Parlement du 17 janvier 1376 n. s. nous apprend qu'il était seigneur de Châtou et de Villepêche, et prélevait cinquante livres de rente annuelle sur les terres, justices et seigneuries de Clichy-la-Garenne et de Courcelles. (Procès à ce sujet, Arch. nat. X1a 25, fol. 183 v°.) Dans un arrêt de 1392, il est qualifié de maître d'hôtel du roi Charles VI et châtelain de Pont-Sainte-Maxence (X2a 11, fol. 317 v°). Un compte de sa veuve, Nicole de Chambly, se trouve dans le ms. fr. 2700 de la Bibliothèque nationale. Enfin M. J. Guiffrey a signalé dernièrement et décrit une pierre gravée, conservée à Soisy-sous-Etiolles, représentant les enfants de Gilles Malet, dont messire Jean Malet, chambellan du roi. (Bulletin du Comité des travaux historiques, 1883, p. 186.)
2 Le nom de Jean de Vaudétar et celui de Gilles Malet sont inséparables ; on les trouve nommés ensemble dans une quantité de mandements de Charles V (voy. ces nombreuses mentions dans la publication de M. L. Delisle). Fils de Guillaume de Vaudétar qui possédait l'office de crierie de la ville de Paris, Jean en fut mis en possession, après la mort de son père, puis le céda au roi moyennant 1000 livres. (Mand. de Charles V, p. 479.) On cite une belle bible offerte par lui à ce prince en 1371 ; il prit part aussi, en 1380, à un inventaire des meubles du roi, où sont mentionnés bon nombre de manuscrits. (Cabinet des mss., p. 36, 54, 375.) Jean de Vaudétar, seigneur de Pouilly et de Persan, avait été anobli en 1373, suivant un auteur récent ; son nom lui venait du fief de Vaudétard à Issy près Paris. On trouve d'autres renseignements touchant sa famille et ses biens dans une étude intitulée : Un fief de l'abbaye de Saint-Magloire à Issy, par M. Gustave Le Clerc. (Mémoires de la Société de l'histoire de Paris, t. IX, p. 287 et s., 294.)
3 Charles V et le duc de Berry avaient, chacun de son côté, disposé des biens confisqués de Gautier Spridlington, comme de ceux de Robert de Grantonne (ci-dessus, p. 64), en faveur de plusieurs personnes de leur entourage, dont ils voulaient récompenser les services. Nous donnons dans ce volume les textes de plusieurs de ces donations. Il en existait encore beaucoup d'autres, comme on va le voir. Geoffroy Budes, Geoffroy de Kerimel et Geoffroy Payen particulièrement avaient été gratifiés de la totalité des biens de Gautier Spridlington et de sa femme Colette, veuve en premières noces de Philippon Boulenger, Poitevin. Ces trois chevaliers bretons, que nous retrouverons ailleurs, étaient des compagnons d'armes de Du Guesclin. La donation leur avait été faite en 1372 par Jean duc de Berry, comte de Poitou, et confirmée par le roi le 21 avril 1373, par lettres passées à la Chambre des comptes de Paris. Nous en avons vainement cherché le texte. Charles V ratifiait purement et simplement la libéralité de son frère, renouvelant, en tant que besoin, le don intégral en faveur de trois Geoffroy, pour eux et leurs héritiers, et ce « nonobstant quelxconques dons par luy faiz, par ses lieutenans ou autres aians povoir ad ce ... à Jehan de Baussay, chevalier, à maistre Yves Derian, secretaire, à Gilles Malet et à Jehan de Vaudetar, ses variés de chambre, et à mons. Jehan La Personne, lors seneschal de Poitou ». En conséquence Geoffroy de Kérimel et ses codonataires avaient pris de fait possession de la dite confiscation et s'en étaient approprié les revenus et profits, ce qui paraissait être leur droit. Mais les deux valets de chambre du roi ne l'entendaient point ainsi. Ils opposaient leur titre à celui des possesseurs réels et, lors d'un voyage à Paris de Geoffroy de Kérimel, à la fin de l'année 1374, ils lui firent faire sommation par un huissier du Parlement d'avoir à se dessaisir à leur profit ; sur son refus, ils l'assignèrent à comparaître devant la cour, pour le 27 janvier 1375 n. s. Charles V, voulant éviter un procès scandaleux entre ses serviteurs pour cette double donation contradictoire, dont il était l'auteur, fit venir vers lui Kérimel, Malet et Vaudétar et les engagea à trancher le différend par des concessions réciproques. Kérimel remontra que le duc de Berry, en les gratifiant ainsi, lui et ses deux compagnons, pour les récompenser des services qu'ils lui avaient rendus à la « conqueste des pays de Poitou, Saintonge et Angoumois », en avait parfaitement le pouvoir, puisque le roi lui avait donné le comté de Poitou et de Saintonge, et que Charles V avait reconnu ce droit, en leur confirmant la donation « de quelque valeur que les diz biens, hotels, domaines, etc., puissent estre. » Ayant obtenu que ses titres fussent reconnus supérieurs à ceux de ses adversaires, il déclara que, se faisant fort pour Geoffroy Budes et Geoffroy Payen, il ne demandait pas mieux que de transiger. Finalement il fut décidé d'un commun accord que Kérimel et ses compagnons donneraient 500 francs d'or à Gilles Malet et à Jean de Vaudétar, moitié à la mi-carême et moitié à Quasimodo suivants, et que ceux-ci, en retour, les tiendraient quittes de toute revendication, les laisseraient jouir en paix des biens en question, et leur remettraient, en gage de sincérité, les lettres du roi, dont ils avaient voulu se prévaloir. Cet accord fut ratifié au Parlement, le 29 janvier 1375 n. s. (Arch. nat, X1c 30). On voit que de la sorte Gilles Malet et Jean de Vaudétar ne jouirent jamais de l'effet des lettres publiées ici.