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DLXVIII

Restitution à Jeanne de Bauçay des terres et forteresses de la Mothe-Fresneau et de Nuaillé, réservé au roi le droit de pourvoir à leur sûreté et d'y mettre garnison. Elles avaient été confisquées sur le sire d'Aubeterre, rebelle, qui les tenait du don de Charles d'Artois, second mari de Jeanne de Bauçay.

  • B AN JJ. 105, n° 180, fol 102 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 19, p. 324-327
D'après a.

Charles, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et advenir, que comme, ainsi que entendu avons, les forteresces et terres de la Mote Fresneau et de Nuaillié1, appartenans à nostre amée cousine Jehanne [p. 325] de Bauçay, comme son propre heritage, ainsi que elle dit, les quelles ont esté ès mains du sire d'Aubeterre, nostre rebelle et ennemi, soient de présent retournées et mises à [p. 326] nostre seigneurie et obeissance, nous, oye la supplicacion de nostre dicte cousine, contenant elle avoir esté et estre très grandement dommagée pour cause et occasion de nos guerres en ses terres et subgiez, pour quoy il nous plaise à elle faire rendre et restituer ses dictes terres, pour en joir et user paisiblement et les lui donner et octroyer, se mestier est, de nouvel, comme à nous forfaictes et confisquées pour la rebellion et desobeissance du dit sire d'Aubeterre, le quel s'est monstré et monstre continuelment notre ennemi et rebelle, et a tenu et tient le parti de nos ennemis d'Angleterre à l'encontre de nous et de nostre royaume ; le quel sire d'Aubeterre tenoit et possidoit, comme dit est, les dictes forteresces et terres, pour cause de don à lui fait par Charles d'Artoys, mary de nostre dicte cousine, et de son consentement, à icelle nostre cousine et à ses hoirs et successeurs perpetuelment, consideré que les dictes terres et forteresces ont esté et estoient, paravant que le dit sire d'Aubeterre les eust, de son propre heritage, comme dessus est dit, avons donné et octroié, donnons et octroions de certaine science et grace especial, par ces presentes, les dictes terres et forteresces, et voulons que d'icelles et des drois, profiz et emolumens qui y appartiennent elle et ses diz hoirs et successeurs en joissent et usent doresenavant à tousjours perpetuelement. Pourveu toutesvoies que les dictes forteresces seront tenues et gardées [par] personnes noz feaulx et subgiez, telz comme bon nous samblera et qu'il nous plaira à y commettre, pour la seurté d'icelles forteresces, et les tenir en nostre obeissance, tant comme nos guerres dureront, aus despens des rentes, revenues et autres profis et emolumens d'icelles terres. Si donnons en mandement à nostre gouverneur qui est à present ou sera ou temps avenir en nostre ville de la Rochelle et pays d'Aunys, et à tous nos autres officiers, justiciers et subgés, ou à leurs lieux tenans, et à chascun d'eulx, presens et advenir, que nostre dicte cousine et ses [p. 327] dis hoirs et successeurs laissent, facent et seuffrent joir et user paisiblement et senz contredit des dictes forteresces, rentes, revenues et autres emolumens et profis d'icelles terres, et contre la teneur de ces presentes ne seuffrent aucun empeschement ou destourbier estre mis ès choses dessus dictes ou aucunes d'icelles. Toutevoies, ou cas que le dit sire d'Aubeterre revendroit en nostre obeissance et se rendroit nostre subget, pour quoy, par traictié ou autrement, les dictes forteresces et terres lui fussent par nous rendues et restituées, il n'est pas nostre entencion que à cause de ce nous soiens tenus d'en faire aucune restitucion, ores ne ou temps advenir, à nostre dicte cousine ne aus siens. Et adfin que ce soit ferme chose et estable à tousjours, nous avons fait mettre nostre seel à ces presentes lettres. Sauf en autres choses nostre droit et l'autrui en toutes. Donné à Paris, le derrenier jour de janvier l'an de grace mil ccc. lxxiii. et de nostre regne le xe.

Par le roy, present le sire de Chevreuse. J. Tabari.


1 Ces terres étaient devenues la propriété de Jeanne de Bauçay par droit de succession, à la mort de Guillaume de Bauçay, c'est-à-dire vers 1355. Il en a été question ci-dessus, à l'occasion du don qui en fut fait, au mois de mai 1370, par le roi à Jean de Bauçay (n° CCCCXCVI, p. 61). Les présentes lettres donnèrent lieu à un procès qui fut porté au Parlement de Paris, entre le sire d'Aubeterre, d'une part, Jeanne de Bauçay et son mari, Charles d'Artois, d'autre. La cour ordonna, par arrêt du 22 janvier 1378 n. s., que les parties procéderaient sur le fond de l'affaire et qu'en attendant que la question fût réglée, les deux châteaux et forteresses seraient placés sous la main du roi et administrés en son nom par des commissaires (X1a 27, fol. 104 v°). Nous allons analyser les raisons que l'on fit valoir de part et d'autre. La comtesse de Longueville exposa que depuis la mort de son oncle, Guillaume de Bauçay qui n'avait point fait de testament et dont elle était la plus proche héritière, elle avait joui pendant plus de douze ans sans contestation des terres de la Mothe-Fresneau et de Nuaillé. Au bout de ce temps, elles avaient été occupées indûment par Gadicilde (aliàs Guardrade) Raymond, alors seigneur d'Aubeterre, ennemi du roi, qui les détint durant les guerres et jusqu'à sa mort. Du Guesclin s'en étant emparé par la force des armes et les ayant replacées sous l'obéissance du roi, Charles V les restitua à Jeanne de Bauçay, légitime propriétaire, par lettres scellées de cire verte sur las de soie (ce sont les lettres que nous publions ici). Jeanne en fit, à ce titre, hommage au duc de Berry, comte de Poitou, de qui elles relevaient, hommage dont il lui fut donné acte. D'ailleurs, avant cette reconnaissance officielle de son droit, ces terres avaient été rendues de fait à ladite dame par le commissaire auquel le connétable en avait confié la garde. Elle en avait joui ainsi pendant plusieurs années. Puis Jean Raymond d'Aubeterre parvint à mettre la main sur ces châteaux et perçut les revenus des terres, contre la volonté et malgré les sommations de Jeanne. Elle demandait en conséquence que la cour la maintînt dans sa possession et fît cesser l'usurpation.
Le sire d'Aubeterre répondit que ses prédécesseurs avaient toujours été fidèles au roi de France, et que s'ils avaient servi l'Angleterre, ce fut en vertu du traité de Brétigny et sur l'ordre exprès du roi Jean. Gadicilde d'Aubeterre, chevalier valeureux, en récompense de services importants rendus à Charles d'Artois, avait reçu de lui et de sa femme une donation en bonne forme de Nuaillé et de la Mothe-Fresneau, ce dont Jeanne de Bauçay se gardait bien de parler. Jean Raymond, ayant hérité de son frère, était donc fondé à réclamer la propriété de ces deux terres, et son titre ne pouvait être contesté. Il donne ensuite des détails intéressants sur sa conduite pendant les guerres qui aboutirent à la délivrance du Poitou, de l'Aunis et de la Saintonge, détails que nous devons laisser de côté. Jeanne de Bauçay répliqua que la donation faite à Gadicilde par son mari devait être annulée parce que le donataire n'avait point rempli ses engagements. La cour n'en jugea pas ainsi. Elle donna au contraire gain de cause complet à Jean d'Aubeterre et le déclara seul et légitime possesseur de Nuaillé et de la Mothe-Fresneau, par arrêt du 5 mars 1379 (X1a 28, fol. 147). Le sire d'Aubeterre prenait le titre de seigneur de ces deux fiefs dans deux autres procès qu'il soutenait au Parlement, le 4 septembre 1380, contre l'abbaye de Saint-Cybard, touchant la justice de Palluau, et contre l'abbaye de la Grâce-Dieu, au sujet du fief de la Buze (X1a 29, fol. 104 v°.)