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DXIX

Confirmation du don fait par Jean duc de Berry, comte de Poitiers, à Jean le Page et à Guillaume Regnault, secrétaires de Du Guesclin, des manoirs et hébergements de la Forêt-Nesdeau, de Vis, de Belhomme, de Fontenay et d’autres biens ayant appartenu à feu Robert Grantonne, receveur de Poitou pour le roi d’Angleterre.

  • B AN JJ. 104, n° 33, fol. 14
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 19, p. 134-139
D'après a.

Charles, par la grace de Dieu roy de France. Savoir [p. 135] faisons à tous, presens et avenir, nous avoir veu les lettres de nostre très chier et amé frere le duc de Berry et d’Auvergne, conte de Poitiers et nostre lieutenant ès dis païs et en pluseurs autres, sainnes et entieres, seellées de son seel en las de soie et en cire vert, contenans la fourme qui s’ensuit :

Jehan, filz de roy de France, duc de Berry et d’Auvergne, conte de Poitiers1, de Masconnois, frere et lieutenant [p. 136] de monseigneur le roy ès dis païs et en pluseurs autres. Savoir faisons à tous, presens et avenir, que, pour consideracion et en remuneracion des bons et aggreables services que Jehan le Page et Guillaume Regnant2, secretaires de nostre très chier et bien amé Bertran de Guesclin, duc de Mouline, connestable de France, ont fais à mon dit seigneur et à nous en la conqueste des païs de Guienne, de Poitou et de Xantonge, nouvellement faite, si comme de ce nous sommes souffisanment enformez, nous, de nostre certaine science et grace especial, et de l’auctorité et puissance royal dont nous usons, à yceulx Jehan et Guillaume avons donné et octroié, et par la teneur de ces presentes lettres, donnons et octroions les [p. 137] manoirs ou herbergemens de la Forest Nesdeau, de Vis, de Belhousme3, de Fontenay avec leurs appartenances, que souloit tenir feu messire Robert de Grantonne, jadis prestre, receveur de Poitou pour nostre ennemi d'Angleterre ou son filz, et tous les biens, tant meubles comme heritages, que le dit feu messire Robert, tant en son nom comme ou nom de Guillaume Yves, son nepveu, filz de sa suer, avoit acquises, et que ilz avoient et avoir povoient conjointement et diviseement ès dictes contez de Poitou et de Xantonge, tant herbergemens, maisons, cens, rentes, devoirs en blez, en vins et en deniers, desmes, vinages, terrages, homages, feages, justices, juridicions, seignouries haultes, basses, moiennes, avec quelconques leurs domainnes, vignes, terres, prez, pastures, boys, hayes, arbres chargeans et non chargeans, estans, eaues, garennes, en eau et en terre, moulins, coulombiers, comme quelconques autres choses, comment que elles soient nommées, devisées ou appellées en quelconques lieux, fiez, arrerefiefs, parroisses, justices, juridicions et seignouries, que ycelles choses soient assises, non obstant que elles ne soient declairiées en ces presentes, jusques à la valeur et estimacion de deux cens cinquantes livres de rente ; c'est assavoir à assiete et coustume de païs, où les dictes rentes sont assises, à avoir et tenir par les dis Jehan et Guillaume, et leurs hoirs, et de ceulx qui auront leur cause perpetuelment par heritage, c'est assavoir à chascun d'eulx la moitié des diz biens, pour en faire dores en avant toute leur plaine volonté, comme de leur propre chose à eulx acquise par droit heritage ; les quelles choses sont forfaites, confisquées et acquises à mon dit seigneur et à nous, par ce que les dis messire Robert de Grantonne et [p. 138] Guillaume Yves, son nepveu, estoient nez de la nacion et du païs d'Angleterre, et tenans le party du roy d'Angleterre et de ses adherens, ennemis de mon dit seigneur et de son royaulme. Si donnons en mandement aux seneschaulx de Poitou et de Xaintonge, et à tous les autres justiciers, officiers et subgès du roy, mon dit seigneur, et de nous en celles parties, et à chascun d'eulx, si comme à li appartendra, que les diz Jehan et Guillaume, ou leurs deputez sur ce ou nom d'eulx ils mettent ou facent mettre en saisine et possession des dictes choses et de chascune d'icelles, et les en facent joir royaulment et de fait, la quelle chose nous voulons ainsi estre faite, et à yceulx Jehan et Guillaume le avons octroyé et octroions, non obstans quelconques ordenances, mandemens ou deffenses et lettres, ou autres dons impetrez ou à impetrer au contraire. Et que ce soit ferme chose et estable à tousjours, nous avons fait mettre nostre seel à ces presentes. Sauf en autres choses le droit de monseigneur le roy, le nostre et l'autrui en toutes. Données à Poitiers, le viiie jour d'aoust l'an de grace mil trois cens soixante et douze.

Les quelles lettres et tout le contenu en ycelles nous aians fermes, estables et agreables, ycelles, tout ainsi comme elles sont contenues, specifiés et esclarcies ès lettres de nostre dit frere plus à plain, voulons, loons, greons, ratiffions, approuvons et par la teneur de ces presentes lettres confermons, et, se besoing ou mestier est, de nouvel les donnons aux dessus nommés Jehan le Page et Guillaume Regnaut, de nostre certaine science et grace especial, à avoir, tenir et possider les dictes terres, possessions et revenues quelconques, jusques à la valeur des deux cens cinquante livres de terre annuele et à l'assiete dessus dicte, par les dessus dis, leurs hoirs, successeurs et qui d'eulx auront cause perpetuelment, comme de leur propre chose, avec les biens meubles, comme [p. 139] dessus est dit. Si donnons en mandement aux seneschaulx de Poitou et de Xantonge, et à leurs lieux tenans presens et avenir, et à chascun d'eulx, comme à lui appartendra, que les dessus dis Jehan le Page et Guillaume Regnaut mettent en saisine et possession de toutes et chascunes les choses dessus dictes, circonstances et dependences d'icelles, jusques à la valeur et estimacion des deux cens cinquante livres de rente dessus dictes, et les en facent, seuffrent et laissent doresenavant, eulx et leurs hoirs joir et user paisiblement, tout selon la fourme et teneur des lettres de nostre dit frere dessus transcriptes. Et que ce soit ferme chose et estable à tousjours, nous avons fait mettre nostre seel à ces presentes. Sauf en autres choses nostre droit et en toutes l'autrui. Donné à Paris, le xiie jour de septembre l'an de grace mil trois cens soixante et douze, et de nostre regne le neuf viesme.

Par le roy. J. de Vernon.


1 Ces lettres sont du 8 août 1372. Jean duc de Berry avait fait son entrée à Poitiers la veille dans l’après-midi, c’est-à-dire le jour même ou le lendemain de la reddition de cette ville à Du Guesclin. Antérieurement à cette date et depuis le commencement de la guerre, il n’avait pris qu’une part indirecte aux événements de Poitou. Sa présence n’y est signalée dans aucun texte pendant les années 1369, 1370, 1371, et les sept premiers mois de 1372. Son itinéraire que nous avons dressé pour cette période d’après les documents officiels, et particulièrement d’après les registres de comptes de son hôtel, nous apprend que, sauf les trois jours qu’il passa à Limoges à la fin d’août 1370 et deux voyage qu’il fit à Avignon en mars-avril 1371 et en mai 1372, il résida continuellement en Berry, en Auvergne ou à Paris. Jusqu’au moment où Du Guesclin prit la direction des opérations militaires dans notre province, le duc de Berry paraît avoir eu plus de confiance dans les négociations que dans les armes. Le registre de ses comptes contient un grand nombre de mentions de sommes payées aux agents qu’il entretenait dans toutes les parties de son vaste apanage, où les Anglais étaient encore les maîtres. Au 20 avril 1372 encore, on trouve une quittance de Jean Adeuil, son échanson, et de Jean Chevaleau, écuyer, demeurant à Poitiers, pour une somme de 80 livres tournois qu’ils avaient reçue, « tant comme don du duc qu’en recompense des frais, missions et despens qu’ils ont faiz en poursuivant certains traités ou pays de Poitou » (KK. 251, fol. 75).
Cependant, dès le mois de novembre 1369, Charles V avait rendu à son frère le comté de Poitou, pour le tenir en accroissement d’apanage (acte daté de Paris, original scellé, Arch. nat., J. 185A, n° 22). D’autres lettres du roi datées de Paris, le 3 mai 1370, et adressées aux sénéchaux de Touraine, Poitou et Maine, portent que le duc de Berry lui a fait foi et hommage pour le comté de Poitou (id., J. 185B, n° 29). Nous allons énumérer les autres documents officiels concernant ce prince, qui se trouvent dans les layettes du Trésor des chartes et les registres de la Chambre des comptes entre les années 1369 et 1372 : 1° Paris, 5 février 1369 n.s., Charles V institue Jean, duc de Berry et d’Auvergne, son lieutenant général pour le fait de la guerre ès parties de Berry, d’Auvergne, de Bourbonnais, de Forez, de Sologne, de Touraine, d’Anjou, du Maine, de Normandie, d’entre les rivières de Seine et de Loire, de Mâconnais et de Lyonnais, excepté dans ce pays les fiefs du duc de Bourgogne, et lui donne pouvoir d’assembler des gens d’armes pour résister aux compagnies qui étaient sur le royaume et à tous autres (orig. J. 188B, n° 5, Chambre des comptes, P. 2294, fol. 730) ; — 2° Paris, 22 décembre 1369. Les pays d’Angoumois, Saintonge et Poitou sont ajoutés à ceux dont il a la lieutenance générale (orig. J. 188B, n° 6). On voit qu’il commandait en réalité dans la moitié du royaume ; — 3° Paris, février 1370 n. s. Permission de Charles V au duc de Berry de donner en mariage à sa fille Bonne 4000 livres de rente à assigner sur des terres de Poitou, en particulier sur Melle, Chizé, Civray et Villeneuve (orig. scellé, J. 185A, n° 19) ; — 4° de Paris, 25 août 1372. Don de 12000 francs d’or fait par le roi à son frère, en récompense des services rendus et dépenses faites aux prises de Sainte-Sévère, de Chauvigny, de Poitiers, etc. (Delisle, Mandements de Charles V, p. 472) ; — 5° 16 avril 1373 n. s. Mandement de Charles V aux élus établis en Auvergne pour la guerre, de payer 8000 livres tournois au duc de Berry, en compensation des frais qu’il a faits pour la conquête de la Guyenne. (Arch. nat., K. 49, n° 59.)
2 Nous ne saurions dire si le secrétaire de Du Guesclin appartenait à la famille Regnault de Poitiers, qui avait fourni deux maires à cette ville vers cette époque, Jean et Pierre, que nous rencontrerons plus loin dans ce volume. En tout cas, il ne saurait être question du frère de ce dernier, qui se nommait aussi Guillaume, mais était décédé du temps que les Anglais étaient encore maîtres de Poitiers. D’ailleurs, on trouve presque toujours Guillaume Regnault et Jean le Page mentionnés dans les montres du connétable parmi les écuyers bretons de sa compagnie. (Voy. notamment celle reçue à Caen, le 1er décembre 1370, et pour l’année 1371, celles des 1er mai, 1er juin, 1er août et 1er octobre, qui ont été publiées par dom Morice, Hist. de Bretagne, Preuves, t. I, col, 1645, 1651, 1652, 1654 et 1657.) Le 31 mars 1380, Guillaume Regnault était encore secrétaire de Du Guesclin et contresigna en cette qualité un mandement du connétable, daté de Bayeux et adressé à Jean le Flament, trésorier des guerres. (Id., Preuves, t. II, col. 395.)
3 En ce qui touche la confiscation des biens de Robert de Grantonne et les nombreuses donations dont ils furent l'objet, voy. ci-dessus, p. 64, note 2, et pour la terre de Belhomme particulièrement p. 116, note 1.