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DXXXII

Confirmation du traité conclu entre le duc de Berry et le connétable Du Guesclin, d'une part, et Louis d'Harcourt, vicomte de Châtellerault, d'autre, pour régler les conditions de la rentrée de ce dernier en l'obéissance du roi de France.

  • B AN JJ. 103, n° 365, fol. 176 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 19, p. 190-195
D'après a.

Charles, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, que nous avons veu lettres dont la teneur s'ensuit :

[p. 191] A tous ceulx qui verront et oiront ces presentes lettres, Jehan, filz de roy de France, duc de Berry et d'Auvergne, conte de Poitiers, d'Angolemois, de Xantonge et de Masconnois, et lieutenant de monseigneur le roy ès dis païs et ressors d'yceulz, et en pluseurs autres parties de son royaume, et Bertran du Guesclin, duc de Moline et connestable du roy de France, nostre seigneur, salut. Savoir faisons que ce sont les accors et convenances fais entre nous par les noms et titres declairiés, d'une part, et messire Loys de Harecourt, viconte de Chastelleraut1, d'autre. [p. 192] C'est assavoir que, pour cause de plusieurs et grans domages que le dit viconte avoit euz et soustenus par les gens de nostre part à la prise de ses chasteaus de Mazeres, de l'Ile Savary et autres fors qu'il pooit avoir en pays de Touraine, les quelz furent pris avant ces guerres commenciées ou autrement, et aussi pour faire vuider certains capitaines que le dit viconte a en ses fors de Guienne, nous avons donné et octroié au dit viconte dix mil frans d'or de bon et loyal pois, une fois à paier, c'est assavoir que, si tost qu'il entrera en l'obeissance du dit nostre sire le roy et de nous et en y entrant cinq mille, et les autres cinq mille dedens la feste de Pasques prochainne venant2. Et aussi li [p. 193] avons promis et accordé de li faire rendre et delivrer toutes et chascunes ses villes, chasteaus et autres forteresces que il avoit et pooit avoir ou temps de par avant ces guerres commencées, ou pays de Tourayne ou ailleurs, quelque part qu'ilz soient tenus et occupés des gens de nostre part ou d'autres gens, s'il les avoient pris et occupé durans ces guerres ou paravant, et d'icelles villes, chasteaus et autres forteresces lui bailler ou faire bailler à lui ou à ses deputés, saisine et possession reaument et de fait. Et en oultre li avons promis et accordé que, toutesfois et quantesfois que la ville et chastel de Saint Sauveur le Viconte3 vendra et se rendra à l'obeissance du dit monseigneur le roy ou d'autres ses subgiés, soit par force, par traitié ou par achat ou volunté ou autrement, par quelconque voie et cause que ce soit, le dit monseigneur le roy le donra au dit viconte avec toutes ses appartenances et appendances, quelque part que elles soient, et tous les profis, revenues et emolumens d'icellui ; et dès maintenant, ou nom de lui et pour lui, les li donnons, venu à l'obeissance comme dessus est dit, et li en fera l'en bailler saisine et possession reaument et de fait, à tenir le cours de sa vie. Et de ces choses, si comme elles sont dessus declarées, lui avons promis faire donner lettre au dit monseigneur le roy, seellée en las de soie et cire vert. Les quelles choses dessus dictes, si comme elles sont ci dessus devisées et declarées, [p. 194] nous et chascun de nous, par les noms et titres dessus declarés, en renonçant au benéfice de division, lui avons promis et promettons en bonne foy, par nous et chascun de nous, à li donner, tenir, garder, enteriner et accomplir et non venir encontre. Et jusques à tant que les choses dessus dictes et chascunes d'icelles lui soient enterinées et acomplies, nous li avons promis et accordé, voulons et accordons que toutes les villes, chasteaus, forteresces et terres, quelque part que elles soient, et comment que elles soient nommées et appellées, que le roy d'Angleterre ou le prince [de Gales] ou autres des seigneurs d'Angleterre et de leur part, lui auront donné ou pays de Guienne ou ailleurs, qu'il les tiengne, possede, explecte et joysse des proufis, revenues et emolumens d'icelles paisiblement et entierement, sans ce que en aucune maniere il li soient empeschié, et serions tenus de li oster l'empeschement, se mis y estoit par aucune maniere. En tesmoing des quelles choses et afin que elles soient vaillables et estables, nous et chascun de nous avons fait mettre et apposer nos seelz à ces presentes. Donné à Lodun, le premier jour du mois de decembre l'an mil ccc. lxxii4.

Les quelles lettres et les choses contenues en ycelles nous avons fermes et agreables, et les confermons et accordons par ces presentes, et les voulons tenir et enteriner en la maniere et soubz la declaracion qui s'ensuit, c'est assavoir que, jusques à ce que nostre amé et feal chevalier, Loys de Harecourt, viconte de Chastelleraut, nommé ès lettres dessus transcriptes, sera paié de la somme de dix mil frans à lui accordée et promise par les dictes lettres, et que [p. 195] ses terres, possessions et heritages, tenues et occupées par les gens de nostre part ou nos subgiez, lui seront rendues et delivrées, si comme il est contenu ès dictes lettres, et nonmie le chastel de Saint Sauveur le Viconte qui n'est mie tenu par noz gens, mais le tiennent noz ennemis, il tendra et possedera, et ne sera tenu de rendre ne restituer les terres, chasteaus, villes et forteresces par don à lui fait par nostre adversaire d'Angleterre, le prince son filz ou autres de ses gens ou officiers. Et quant le dit chastel de Saint Sauveur le Viconte sera revenu en nostre main, nous le donrons au dit Loys, si comme ès lettres dessus transcriptes est contenu. Et que ce soit ferme chose et estable à tous jours, nous avons fait mettre nostre seel à ces presentes. Sauf en autres choses nostre droit et l'autrui. Donné à Paris, en nostre chastel du Louvre, le xve jour de decembre l'an de grace mil ccc. lxxii. et de nostre regne le ixe.

Par le roy, à la relacion du conseil. G. de Montagu.


1 Le vicomte de Châtellerault étant resté fidèle aux Anglais après la déclaration de guerre, Charles V déclara ses biens confisqués, et fit don entre autres des terres de Mazères (Mezières-en-Brenne) et de l'Ilе-Savary, dont il est question dans cet acte, à Jean VI comte d'Harcourt, son neveu, par lettres de novembre 1369 (ci-dessus, n° CCCCLXXXI, p. 18). Le prince de Galles, de son côté, ayant saisi les biens situés dans sa principauté appartenant à des serviteurs du roi de France, avait gratifié le vicomte d'une partie des possessions d'Alais de Brisay en Poitou (vol. précédent, p. 409), et sans doute des terres de la duchesse d'Athènes, comme nous le verrons tout à l'heure. Châtellerault fut, parmi les villes importantes du Poitou, l'une des premières qui tomba au pouvoir des Français. Un matin, Jean de Kerlouët, Guillaume des Bordes et Louis de Saint-Julien s'en emparèrent par escalade. Pris à l'improviste et réveillé en sursaut, Louis d'Harcourt n'eut que le temps de se sauver en chemise sur le pont de la ville, que ses gens avaient fortifié et dont il resta maître pour le moment. (Froissart, édit. S. Luce, t. VII, p. xc, 212 et 398.) Différents passages du registre de comptes du duc de Berry fournissent la preuve que la prise de Châtellerault eut lieu dans les premiers jours de juillet 1370, et que ce prince, de concert avec les capitaines qui avaient exécuté ce hardi coup de main, ne négligea pas les travaux nécessaires pour mettre la place en état de résister à une attaque probable. Le 8 juillet, le duc, alors à Bourges, reçut la nouvelle du succès de Kerlouët par un héraut du Baudran de la Heuse. « A Roger Piquet, héraut du Baudrin de Leuse, qui a porté lettres à mon dit seigneur, faisant mencion que noz gens avoient pris Chastelleraut que les ennemis tenoient, pour don dud. seigneur fait ou dit Rogier, pour une fois tant seulement... le viiie jour du dit mois, x livres tournois » (KK. 251, fol. 26). Le même jour, le duc expédia à Châtellerault le roi des hérauts de Berry porter des félicitations et des ordres aux vainqueurs, et le 23 juillet, il y renvoya un courrier qui lui avait apporté à Nonctte des lettres de la part de Louis de Saint-Julien, avec un message pour Jean d'Armagnac, à Châtellerault, dont il devait attendre la réponse (id., fol. 38 v°). Le 30 septembre suivant, Jean de La Haye, maître de la mine de Charles V, chargé d'une mission du roi pour Châtellerault, passa à Mehun-sur-Yèvre et à Bourges pour prendre les ordres du duc de Berry, et le 24 octobre, à son retour, il revint auprès du duc lui rendre compte de ce qui avait été fait (id. ibid., fol. 28).
Nous avons vu qu'à la fin de mars ou au commencement d'avril 1371, le vicomte de Châtellerault perdit encore une de ses forteresses du Poitou, le Puymilleroux, enlevé par Louis de Maillé (ci-dessus, n° DVIII, p. 97). Louis d'Harcourt n'en demeura pas moins fidèle au prince de Galles jusqu'à la capitulation de Thouars. Les lettres publiées ici donnent les conditions de sa soumission à Charles V. Il devint dès lors conseiller du duc de Berry aux gages de cinq francs d'or par jour (compte de 1373, KK. 251, fol. 120 v°).
2 Le second payement de 5000 livres, qui devait être effectué à Pâques 1373, ne le fut que deux ans plus tard. En effet, un accord passé, le 11 mars 1374 n. s., entre Jean, comte de Poitou, d'une part, et Jeanne d'Eu, comtesse d'Etampes, duchesse d'Athènes, autorisée de Louis, comte d'Etampes et d'Eu, son second mari, d'autre part, stipule ce qui suit : ladite dame s'engage à payer au vicomte de Châtellerault 5000 francs d'or, complément des 10000 fr. qui lui avaient été promis par le duc de Berry et par Du Guesclin, pour prix de son retour à l'obéissance du roi de France. Jean de Besdon, écuyer, fondé de pouvoirs de Louis d'Harcourt, prend de son côté l'engagement de bailler et délivrer à Jeanne d'Eu tous les châteaux, forteresses, terres, revenus qui appartenaient à ladite dame en Poitou et que le vicomte de Châtellerault a tenus, tient ou fait tenir. Une donation du prince de Galles peut seule expliquer cette possession. La comtesse d'Etampes promet en outre de ne point instituer dans lesdits châteaux de capitaines qui ne seraient du pays de Poitou ou de France, et de leur faire prêter serment à elle, ou au duc de Berry. Elle prend encore d'autres engagements relatifs à la succession de ses terres de Poitou qui devaient revenir après sa mort à Mme de Sully et à la fille unique de celle-ci, fiancée de Charles de Berry, comte de Montpensier, fils de Jean duc de Berry. (Original scellé, aux Arch. nat., J. 185, n° 33.) Les principaux fiefs que possédait en Poitou Jeanne d'Eu, duchesse d'Athènes, étaient Sainte-Hermine, Prahecq et une partie de la forêt de Chizé. (Voy. le t. II de ce recueil, p. 164 note, 310 et s.).
3 Louis d'Harcourt avait obtenu, en conséquence sans doute du traité de Surgères, la promesse de l'usufruit de la vicomté de Saint-Sauveur, promesse que Charles V ratifia le 20 novembre 1372. (Arch. nat., J. 211, n° 39. Voir aussi L. Delisle, Hist. de Saint-Sauveur, p. 206-208.) On voit encore, par un mandement du roi au bailli des Exemptions de Poitou, Touraine, Anjou et Maine, daté du 8 janvier 1373 n. s., ordonnant de payer au vicomte de Châtellerault les sommes qui lui étaient dues en exécution du traité du 18 septembre, que celui-ci avait eu soin de se réserver les rançons ou appâtis levés sur un certain nombre de paroisses du Poitou, à cause de ses châteaux de Châtellerault, de Gironde et de la Touche, entre cette date et le 30 novembre suivant. (Arch. nat., P. 13341, fol. 24 ; Bibl. nat., fonds de Brienne, t. XXIX, fol. 297.)
4 C'est à Loudun, dans l'église des Frères Mineurs, le 1er décembre, que les seigneurs qui avaient signé la convention de Surgères et venaient en conséquence de rendre Thouars au roi de France, firent leur prestation solennelle de foi et hommage au duc de Berry et à Du Guesclin. (Note à la suite du traité de Surgères, publié par M. S. Luce, Froissart, t. VIII, p. clv, et Chronique éditée par Secousse, Recueil de pièces sur Charles II, roi de Navarre, p. 651)