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DXCVI

Lettres de rémission en faveur de Jean Olivier, de Loudun, qui avait blessé mortellement Jean Fèvre, moine de l'abbaye d'Airvault, dans une mêlée survenue entre les confrères de Saint-Nicolas de Loudun et les gens du prieuré de Chalais.

  • B AN JJ. 109, n° 89, fol. 43 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 19, p. 405-409
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à touz, presens et avenir, de la partie de Jehan Olivier1, jeune homme de xxii. ans ou environ, nous avoir esté exposé que, comme le landemain du jour de saint Nicolas de may darrainement passé, à heure de prime, le dit exposant se [partit] de la ville de Loudun, où il estoit demourant, pour aler en esbat en la compaignie de Tristan de la Jaille2, chevalier, lieutenant du [p. 406] capitaine du dit Loudun, et de plusieurs clers, enfans de bourgois et autres de la dicte ville et de la confrarie du dit Saint Nicolas, à un priouré appellé Chalais3, qui est à demie lieue du dit Loudun ou environ, ainsi comme chascun an il est acoustumé de y aler par les diz clers et confreres, afin de demander et avoir certain droit deu aux diz confreres et clers, qui vont au dit lieu en esbat, comme par maniere de recreacion, sanz ce que eulz alassent au dit priouré en esperance qu'il eussent de y faire mat et injurier aucun. Et quant il s'approcherent du dit priouré, il envoyerent un nostre sergent et autres de leur compaignie, afin que les genz du dit priouré ne se effraiassent, et de (sic) dire au prieur que les diz confreres et clers venoient là pour demander leur droit, qui deu leur estoit chascun an. Les quelx messagers rapporterent aux diz confreres et clers et ceulx de leur compaignie que le dit prieur avoit respondu que point de droit n'y avoient, et que il s'attendoit aux gens qui estoient en son dit priouré de faire force de fait contre ceulx qui y vouldroient entrer ; et disoient les diz messaigers qu'il avoient veu vi. testes armées de bacinez aux fenestres du dit priouré. Les quelles choses oyes, les diz lieutenant, nostre sergent et un sergent de nostre très chier et amé frere le duc d'Anjou, et autres parlerent au dit prieur et distrent amiablement que, pour eschiver touz descors et riotes qui en pourraient yssir, il feist le droit aux clers et freres du dit Saint Nicolas, ainsi qu'il estoit acoustumé, mais le dit prieur n'en voult riens faire, ainz usa de grosses paroles ; et ainsi [p. 407] comme le dit lieutenant et autres de la dicte compaignie vouldrent aler audit priouré tout paisiblement, pour savoir qui estoient les dictes genz d'armes, quant ycellui lieutenant et autres d'avecques lui furent en la court du dit priouré, les dictes genz d'armes estans en ycellui tirerent contre lui et ceulx de sa compaignie pluseurs viretons et gecterent de grosses pierres contre eulx, sanz ce que ceulx de dehors feissent lors samblant de les assaillir ne grever, et au commandement du dit lieutenant et des diz sergens, les dictes gens d'armes ne se vouldrent denommer ne dire de par qui eulx estoient là, fors qui distrent, oyans le dit lieutenant et autres clers et confreres dessus diz qui estoient venuz à l'entour du dit priouré pour y entrer, que eulx n'estoient point à nous ne à nostre dit frere, et que nulz n'y enterroit, se ce n'estoit malgré eulx ; et moult fort gecterent grosses pierres contre les diz clers et confreres, et contre les diz lieutenant et sergenz, et tirerent pluseurs viretons d'arbelestres, en faisant leur povoir de les tuer et en criant : « Barnabo et Galiache » à haulte vois. Et jasoit ce que de rechief, par le commandement du lieutenant du seneschal de Touraine estant au dit Loudun, qui sceut ce fait, le dit sergent de nostre dit frere et aussi nostre dit sergent qui là estoit l'en feissent commander que eulx cessassent de ce faire, et lessassent entrer le dit lieutenant ou dit priouré, et que eulx n'auroient mal, eulx n'en vouldrent riens faire, ainz geterent grosses pierres comme par avant, tant qu'il convint le dit sergent de nostre dit frere retraire, pour doubte d'estre par eulz navrez ou mort, mesmement qu'il n'estoit point armez et que paravant eulz avoient navré le dit lieutenant d'une pierre et pluseurs autres de sa compaignie. Et toutevoye pour la dicte desobeissance, nostre dit sergent et celui de nostre dit frere geterent leurs verges dedans le dit priouré, mais tantost ycelles genz d'armes les en gecterent hors, et en perseverant de pis en pis, un moine religieux, nommé [p. 408] frere Jehan Fevre, prestre, moyne de l'abbaye d'Arval en Poitou4, homme de mauvaise renommée, le quel estoit court armé ou dit priouré, et les autres qui dedens estoient s'efforcerent touzjours de plus fort geter pierres que devant, et tant que un vireton d'arbelestre fu trait par ceulx du dit priouré à un de ceulx de hors parmi l'endroit de son costé, le quel vireton fu baillé au dit exposant, et il le tray contre le dit moine armé qui estoit ou dit priouré, le quel il en navra parmi la cuisse, et en après ceulx qui estoient ou dit priouré furent prins par force, sanz avoir mal, par ceulx de dehors, qui dedans entrérent, et menerent prisonniers ou chastel de Loudun ; et le dit moine navré du dit vireton est alé à mort, xvi. jours ou environ après le dit fait. Et combien que le dit moyne ait pardonné le dit cop au dit exposant, neantmoins ycellui exposant, doubtant rigueur de justice, s'est absenté et nous a fait supplier que, ces choses considerées, la jonesse du dit suppliant et des autres de sa compaignie, qui ne cuiderent mie mesprendre pour la presence du dit lieutenant avec qui eulz estoient, et ne tray mie le dit suppliant le dit vireton au dit moine pour hayne ne rancune qu'il eust avec lui, vueillons avoir de lui pitié en ceste partie. Nous adecertes, pour consideracion des choses dessus dictes et de la simplece et jonesse des diz clers, au dit Jehan Olivier le fait dessus dit et toute poine, amende et offense corporelle, criminelle et civile en quoy, pour occasion de ce que dit est, il est et puet estre encouru envers nous, lui avons de grace especial, de certaine science et de nostre auctorité royal, ou cas dessus dit, quictié, [p. 409] pardonné et remis, quictons, pardonnons et remettons, et le restituons au païs, à sa bonne renommée et à ses biens, en imposant sur ce silence perpetuel à nostre procureur et à touz justiciers et officiers, sattisfacion premierement faite à partie civilement, se aucun est qui en face poursuite. Si donnons en mandement au bailli des Exempcions de Touraine, d'Anjou et du Maine et de Poitou, et à touz noz autres justiciers et officiers, à leurs lieuxtenans, presens et avenir, et à chascun d'eulx, si comme à lui appartient, que le dit suppliant facent, souffrent et laissent joir et user paisiblement de nostre presente grace, sanz le contraindre, molester ou empeschier aucunement au contraire. Et se son corps ou ses biens estoient pour ce prins ou empeschiez, si les lui mettent ou facent mettre à plaine delivrance tantost et sanz delay. Et que ce soit ferme chose et estable à touz jours mais, nous avons fait mettre nostre seel à ces presentes lettres. Sauf en autres choses nostre droit et l'autrui en toutes. Donné à Paris, en nostre hostel lez Saint Pol, le vie jour de juing l'an de grace m. ccc. lxxvi, et le xiiie de nostre regne.

Par le roy en ses requestes. S. de Caritate. Gregorius.


1 Peut-être le fils de Jean Olivier, dit Egret, chevalier, dont nous avons vu les démêlés avec les frères Vinceguerre (imprimé par erreur Vinteguerre ; le nom exact de cette famille est Vinciguerra), lombards de Loudun (cf. notre second volume, p. 370 note), et qui obtint, par lettres de juillet 1347, remise de ses dettes (JJ. 76, n° 319, fol. 192). Ce même chevalier poursuivait au Parlement la dame de Pocé, le 17 avril 1354 (X1a 15, fol. 200 v°). On trouve encore au 14 juin 1376, dans les registres de cette cour, Jean Olivier, chevalier, et Jeanne Popelin, sa femme, ajournés à la requête de Marguerite Boschet, femme de feu Guillaume Rousseau, chevalier, puis de Maurice Milon (ou Aulon), agissant au nom de ses enfants du premier lit, pour obtenir l'exécution d'une sentence rendue par le sénéchal de Poitou au profit dudit Guillaume Rousseau. L'affaire est renvoyée au bailli des Exemptions de Poitou, Anjou et Touraine (X1a 25, fol. 220 v°).
2 Tristan de la Jaille, seigneur de Beuxe en Loudunais, avait épousé Eléonore de Maillé, fille de Payen II de Maillé, seigneur de Brezé, et de N. du Puy. Il servait le 18 mai 1380 dans les guerres de Bretagne, comme on le voit par une quittance scellée de son sceau. Ses armes étaient un écu à la bande fuselée de cinq pièces, accompagnée d'une étoile en chef et à senestre. (G. Demay, Invent, des sceaux de la coll. Clairambault, t. I, p. 511.) Tristan mourut avant 1384, car à cette date Eléonore de Maillé était remariée à Robert d'Anjou. (Le P. Anselme, Hist. généal., t. VII, p. 512.) C'est probablement son fils, appelé aussi Tristan de la Jaille, écuyer, dont l'on conserve une quittance de gages, scellée, datée du Mans, le 31 juillet 1392, pour avoir fait partie de la chevauchée du Mans. (Coll. Clairamhault, id. ibid.) Le même personnage se retrouve en 1424 qualifié de grand maître de l'hôtel de Louis II duc d'Anjou. (Arch. nat, J. 409, n° 49.)
3 Le prieuré-cure de Notre-Dame de Chalais (canton de Loudun) dépendait de l'abbaye d'Airvault.
4 L'abbaye d'Airvault, Aurea Vallis, diocèse de Maillezais, située sur le Thouet, à trois lieues de Thouars, consacrée à saint Pierre, fut fondée par Hildegarde, veuve d'Herbert Ier, vicomte de Thouars, vers 975. Les chanoines réguliers de Saint-Augustin y furent introduits en 1094. La liste sommaire des abbés d'Airvault donnée par M. Beauchet-Filleau (Mém. de la Soc. des Antiq. de l'Ouest, t. XXIV, p. 276-331), ne permet pas de reconnaître quel était le personnage qui gouvernait l'abbaye en 1376.