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DXCVIII

Lettres d’abolition octroyées à Jean de Razine et à Aimery Paillart, écuyers. Ils craignaient d’être poursuivis pour avoir pris leurs vivres et autres nécessités sur le plat pays des environs de Bertegon, alors qu’ils défendaient cette forteresse contre les Anglais. Depuis, ils avaient servi le roi à la bataille de Chizé et au siège de Lusignan.

  • B AN JJ. 109, n° 116, fol. 56 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 19, p. 412-416
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à touz, presens et avenir, de la partie de Jehan de Rasine et Aymery Paillart, escuiers, nous avoir esté exposé que bien vi. ans a ou environ, les dix exposans et autres, entre les quelx estoit un appellé Perrot Cailler qui par avant le dit temps avoit emparé l’eglise parrochial de Berthegon, debouterent et mistrent hors d’icelle forteresse un appellé Jehan Symonneau qui s’en portoit pour capitaine, un sien frere et sa femme, le quel Symonneau en avoit aussi debouté par avant et mis hors le dit Caillier, le quel en estoit capitaine et avoit faite emparer la dicte eglise, comme dit est ; et se consentirent les diz exposanz et leurs autres compaignons, que Philebert de Lestoille, famillier de nostre cousin Charles d’Artoys, du quel le dit Aymery est homme de foy, fust capitaine de la dicte forteresse pour nostre dit cousin, [p. 413] lequel est seigneur en partie de la dicte parroisse ; la quelle forteresse eulx tindrent soubz nostre bonne et vraie obeissance et y demourerent, especialment le dit Aymery, l’espace de demi an ou environ, en nous servant contre noz ennemis, des quelx la dicte parroisse est assise en frontiere, et les quelx il greverent tant comme il furent demourans en la dicte forteresse, de tout leur povoir et par touz les autres lieux où il ont peu. De la quelle forteresse les diz exposans se departirent et nous alerent servir en noz guerres, tant à la bataille de Chisey1 et au siege de [p. 414] Lesignan2 comme autre part. Et en après leur departement icelle forteresse fu abatue et desemparée par les genz du pays, c’est assavoir que tout ce qui y avoit esté fait pour la dicte eglise fortiffier et emparer en fu osté, et n’y a de present point de forteresse, et s’en departirent volentiers et sanz proffit ceulx qui dedens estoient pour nostre dit cousin. Neantmoins, combien que les diz exposans aient touz jours tenu nostre parti, comme bons et loyaulx françois, et que en mectant hors de la dicte forteresse les diz Symorinneau et sa femme, ilz ne fussent pilliez, navrez ne mutilez, ne aucuns des autres habitans et demourans en ycelle forteresse, ainçois touz les autres qui y demouroient y lesserent estre et demourer paisiblement soubz nostre obeissance et celle de nostre dit cousin, qui est seigneur en partie de la dicte parroisse, comme dit est, et que ycelle forteresse eulx et les autres qui dedans estoient demourans gardassent touz jours et tenissent, tant comme eulx y furent, comme bons et loyaulx françois, sanz avoir [p. 415] aucuns gaiges ne proffiz, se non ce que eulx povoient gaigner sur noz ennemis ; toutevoie pour ce que où dit temps nostre dit cousin estoit en nostre indignacion, et que le dit Symmoneau se en disoit estre capitaine pour nostre très chier frere le duc d’Anjou, et aussi que pour le dit temps, que eulx demourerent en la dicte forteresse, la quelle est assise en frontiere de Guyenne, et tenoit l’en communement ou dit païs que les vivres du plat pays estoient abandonnez, de l’assentement des diz exposans et de leurs autres compaignons, leurs genz, serviteurs et eulx aussi prindrent leurs vivres et neccessitez ou plat païs d’environ la dicte forteresse sur noz subgiez, yceulx se doubtent d’estre molestez ou empesehiez par aucuns de noz justiciers et officiers ou autres, ou temps avenir, mesmement que desjà aucuns se parforcent de leur empeschier leurs biens, combien que par justice il n’en soient actains ne convaincuz, et que aucun ne les en ait poursuiz ne poursuive de present. Si nous ont humblement fait supplier les diz exposans que comme eulx nous aient bien et loyalment servi en noz guerres en pluseurs places et besoingnes, especialment à la dicte bataille de Chisey, au dit siege de Lesignain, et à l’assamblée qjae nous feismes darrainement devant Saint Sauveur le Viconte3, et toute leur vie aient [p. 416] esté bons françois et tenu nostre parti, nous leurs vueillons sur ce pourveoir et eslargir nostre grace. Nous adecertes, ces choses considerées, et que les diz supplians sont jeunes et n’avoient aucuns gaiges pour la garde de la dicte forteresse, et aussi les bons services qu’il nous ont faiz en noz guerres, et esperons qu’il facent ou temps avenir, et les grandes tribulacions des guerres qui lors estoient ou pays, les faiz et choses dessus dictes, avec toute peine, amende et offense corporelle, criminelle et civile en quoy, pour occasion de ce que dit est, les diz Jehan de Raisine et Aymeri Paillart, escuyers exposans, et chascun d’eulx, sont et puent estre encouruz envers nous, leur avons et à chascun d’eulx, ou cas dessus dit, quitté, pardonné et remis, quittons, pardonnons et remettons, de grace especial et de nostre auctorité royal, et les restituons au païs et à leurs bonnes renommées, se pour ce sont empirées, et à touz leurs biens, en imposant silence perpetuel sur ce à touz justiciers et officiers, satisfacion sur ce faite à partie qui contre eulx sanz procès en vouldra faire demande. Si donnons en mandement au bailli des Exempcions de Touraine, d’Anjou, du Maine et de Poitou, et à touz noz autres justiciers et officiers, à leurs lieuxtenans, presens et avenir, et à chascun d’eulx, si comme à lui appartendra, que les diz exposanz et chascun d’eulx facent et laissent joir et user paisiblement de nostre presente grace, sanz les molester ou empeschier, en corps ne en biens au contraire, ains, se leurs corps ou aucuns de leurs biens sont ou estoient pour ce prins ou (mpeschiez, si les leur mettent ou facent mettre à plaine delivrance, tantost et sanz delay. Et que ce soit chose ferme et estable à touz jours mais, nous avons fait mettre nostre seel à ces presentes lettres. Sauf en autres choses nostre droit, et l’autrui en toutes. Donné à Meleun sur Sayne, ou moys de juillet l’an de grace m. ccc. lxxvi, et le xiiie de nostre regne.

Es requestes de l’ostel. S. de Caritate. Gregorius.


1 Après avoir hiverné à Paris, puis à Poitiers, Du Gueselin reprit, dès les premiers jours du printemps 1373, la campagne qu’il avait marquée, l’été et l’automne précédents, de tant de succès. Sorti de Poitiers à la tête d’environ quinze cents combattants, au dire de Froissart, presque tous bretons, avec ses principaux lieutenants, Alain de Beaumont, Jean de Beaumanoir, Geoffroy de Kérimel, Sylvestre Budes, Yvain de Lacouet, etc., il vint mettre le siège devant Chizé, forteresse défendue par les capitaines anglais Robert Morton et Martin Scott. Ceux-ci, hors d’état de résister longtemps, demandèrent secours aux places voisines, encore au pouvoir des Anglais. Niort envoya un fort contingent ayant à sa tête Jean Devereux, David Holgrave, Richard Holme, Geoffroy d’Argenton, Aimery de Rochechouart (nous avons dit ailleurs que la participation de ce dernier à cette affaire est au moins douteuse). La garnison de Lusignan, commandée par Jean Creswell, et celle de Gençay, dirigée par Adam Chel, sr d’Agorisses, se joignirent à eux, et ils vinrent présenter la bataille au connétable. Nous n’entrerons point dans le détail de cette action, n’ayant point de documents nouveaux à produire. La défaite des Anglais fut complète. Tous furent tués ou faits prisonniers. Ces derniers étaient au nombre de trois cents, et parmi eux les chefs que nous venons de nommer. Cette victoire de Du Guesclin porta le dernier coup à la domination anglaise en Poitou. Elle eut lieu le 21 mars 1373. C’est du moins la date fournie par Froissart (voy. édit. Siméon Luce, t. VIII, p. 107-114), et cette fois le chroniqueur paraît ne s’être pas trop éloigné de la vérité. La nouvelle de ce succès fut portée au duc de Berry, qui était alors à la Souterraine, et nous savons de source sûre que ce prince fit part à la duchesse sa femme, le 30 mars, de la défaite et de la prise de Jean Devereux (reg. de comptes de son hôtel, KK. 251, fol. 93 v°). Comme il est naturel de supposer que le comte de Poitou dut être informé le plus rapidement possible de la victoire de Du Guesclin, cette date du 30 mars autoriserait peut-être la critique à reculer de quelques jours celle de la bataille de Chizé. La capitulation de Niort suivit de près celle de Chizé, comme nous l’avons vu ; elle eut lieu le 27 mars (ci-dessus, p. 260 note). Dès lors les Anglais ne possédaient plus en Poitou que quatre places, la Roche-sur-Yon, Mortagne, Lusignan et Gençay, places assez mal pourvues de troupes, mais extrêmement fortes, dont la capitulation n’était plus qu’une question de temps. Nous ne citerons que pour mémoire la relation de la bataille de Chizé par Cabaret d’Orville, qui la place en décembre 1372, avant Noël ! (Chronique du bon duc Loys de Bourbon, édit. Chazaud, p. 41.)
2 C'est ici le lieu d’apporter une rectification importante au récit de Froissart. Il dit qu’après la bataille de Chizé et la prise de Niort qui en fut la conséquence immédiate, les Bretons de Du Guesclin se reposèrent quatre jours dans cette dernière ville. « Puis s’en partirent et de randon chevauchierent vers Luzegnan ; si trouvèrent le chastiel tout vuit, car cil qui demoret y estoient de par monseigneur Robert Grenake qui estoit pris devant Chisek, s’en estoient parti avant leur venue, si tost qu’il sceurent comment la besogne avoit alé. Si se saisirent li François dou biau chastiel de Luzegnan, et y ordonna li connestables chastellain et gens d’armes pour le garder, et puis chevauça oultre à toute son host par devers Chastiel-Acard. » (Edit. Siméon Luce, t. VIII, p. 114-115.). Suivant le chroniqueur, le château de Lusignan se serait donc rendu sans coup férir à la fin de mars 1373. C’est là une erreur capitale. Loin d’être dépourvu de garnison et d’ouvrir ses portes au connétable, le château résista longtemps et soutint un siège de dix-neuf mois sans désemparer, du 5 mars 1373 au 1er octobre 1374. Nous sommes en mesure d’en fournir la preuve en nous appuyant sur des documents d’une authenticité indiscutable. Pour ne pas donner à cette note un développement trop considérable, nous renvoyons à l’Introduction du présent volume, où l’on trouvera un plus ample exposé de cette intéressante question.
3 Thomas de Gatterton, capitaine anglais, assiégé dans Saint-Sauveur-le-Vicomte, fit avec l’amiral Jean de Vienne, le 21 mai 1375, une convention dans laquelle il fut stipulé que la place serait rendue le 3 juillet suivant, si toutefois l’Angleterre n’envoyait d’ici là à la garnison des renforts suffisants pour repousser les assiégeants, et que le capitaine du château recevrait en se retirant une somme de quarante mille francs. Dans l’intervalle, craignant qu’Edouard III n’envoyât un corps d’armée pour secourir Saint-Sauveur, Charles V fit réunir dans le Cotentin une quantité considérable de gens d’armes, capable de repousser tous les renforts. C’est cette assemblée ; dont firent partie Jean de Razine et Aimery Paillart. Du reste, le 3 juillet arriva sans que l’Angleterre ait envoyé aucun secours, et le traité du 21 mai fut exécuté dans toute sa rigueur. Saint-Sauveur-le-Vicomte fut rendu au roi de France, et Thomas de Catterton avec la garnison allèrent s’embarquer au havre de Carteret. (L. Delisle, Hist. de Saint-Sauveur-le-Vicomté, in-8, 1867, p. 198, 203, 206.)