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DLXXVI

Lettres de rémission accordées à Pierre de La Trémoïlle qui, dans une rixe à Paris, avait tué Jean de Saint-Yon, boucher.

  • B AN JJ. 105, n° 537, fol. 269 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 19, p. 346-350
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, que, comme le jour au soir de la feste Nostre Dame, en cest present mois d'aoust, Pierre de La Tremouille1 qui avoit soupé cheux Jehan de Bonnes2, prevost des marchans de nostre ville de Paris, et pluseurs autres compaignons de la dicte ville de Paris, entre les quelx estoient Jehan de Hangest, Jehan Culdoe, filz de Jehan. Culdoe l'ainsné3 nagueres prevost des dis marchans, Jehan Cuer, [p. 347] Symonnet, nostre chaufecire, au quel Symonnet ledit Pierre de La Tremoille avoit accordé coucher en son hostel, en retournant de cheux le dit Jehan de Bonnes, et alant cheux nostre dit chaufecire, eussent encontré Jehan Martel, un autre boucher et un changeur de Paris, le quel Jehan Martel eust dit aux dis Jehan Culdoe et nostre chaufecire qu'il l'avoient fait crier pour mort par les carrefours de nostre dicte ville, et qu'il leur feroit plus grant villenie que celle que faicte lui avoient, comme dit est ; et pour ce, feussent meuz debat et courroux entre le dit Jehan Martel et le dit Jehan Cuer, et tant qu'il desmantirent l'un l'autre, et que ycellui Jehan Cuer le volt ferir d'un coustel, dont le dit Pierre de La Tremouille le empescha ; et d'illec, à la requeste du dit nostre chaufecire, le dit Pierre de La Tremouille fust alez avec lui en hostel de Hennequin Lescot, ou quel hostel il eussent prins chascuns une espée ; et après ce le dit Jehan Cuer et tous les dis autres compaignons fussent alez en l'ostel du dit changeur dessus dit, excepté toutevoies le dit Pierre de La Tremouille, qui demoura à quatre maisons près d'icellui hostel en les attendant ; et ou dit hostel eussent depecié un quarrel et fait certains autres despis et oultrages ; et avec ce, pour ce que [le] varlet du dit changeur dist au dit Jehan Cuer que, se son maistre fust en son dit hostel, il ne osassent faire ce qu'il faisoient, ycellui Jehan Cuer eust feru et navré le dit varlet d'un coutel, sans mort et sens mehaing ; et sur ce fussent departiz et retournez là où le dit Pierre de La Tremouille les attendoit, et fussent tous ensemble alez en l'ostel du dit nostre chaufecire, où ycellui Pierre avoit promis coucher. Et eulx estans en icellui hostel, le dit Jehan Culdoe, filz du dit Jehan Culdoe l'ainsné, eust dit et juré que jamais il ne dormiroit jusques à tant qu'il eust esté rompre les huis des diz bouchers et changeur ; pour la quelle chose et afin que le dit Jehan Culdoe ne peust partir du dit hostel de nostre chaufecire, on l'en fist [p. 348] fermer la porte d'icellui hostel. Et quant il vit qu'il n'en pourroit issir, il sacha son coutel, et dist qu'il s'en feroit par la poiterine qui ne laisserait partir, et pour ce on li osta son dit coutel ; et lors il commença à crier si haut que le dit Pierre de La Tremouille dist que on l'en laissast partir tout seul. Et lors deux des diz compaignons, dont l'un estoit cousin germain du dit Jehan Culdoe eussent dit au dit Pierre de La Tremouille que pour Dieu on ne laissast partir icellui Jehan Culdoe seul, car il se feroit tuer, en le priant qu'il voussist aler avec eulx ; car se il y estoit le dit Jehan Culdoe se garderait plus de meffaire. Le quel Pierre de La Tremouille y ala, parmi ce que le dit Jehan Culdoe lui promist et jura qu'il ne heurteroit point aux huis des dis bouchiers et changeur, ne leur sonneroit mot. Et avec ce fist le dit Pierre de La Tremoille porter avec eulx une torche ardent, afin que à chascun peust apparoir qu'il ne vouloient meffaire à aucun. Et quant il approcherent la rue ou les diz bouchiers et changeur demouroient, ceulx qui dedans estoient leur gitierent pierres ; pour quoy le dit Jehan Cuer hurta à un des dis huis d'un demi glaive, et issirent hors deux de ceulx qui dedens estoient, dont l'un s'adreça vers le dit Pierre de La Tremouille, l'espée ou poing toute nue. Et lors icellui Pierre de La Tremoille, doubtans que ycellui qui s'adreçoit vers lui, comme dit est, lequel, si comme on dit, on appelloit Jehan de Saint Yon, boucher, le meist à mort, feri et navra ycellui de Saint Yon en la teste d'une espée qu'il avoit, si que ycellui Jehan de Saint Yon, que pour lors il ne cognoissoit, chut à terre, et avec ce en passant le feri et navra encores de la dicte espée en la jambe. Et sur ce se departirent le dit Pierre de La Tremoille et tous les autres en qui compaignie il estoit. Pour occasion de la quelle fereure et navreure, le dit Jehan de Saint Yon est, dedans les huit jours ensivens, alez de vie à trespassement, si comme on dit. Et le dit Pierre de La Tremoille, doubtans [p. 349] prison et rigoreuse justice, a esté appellez à nos drois et s'est mis en lieu saint et renduz fuittiz, si comme par aucuns ses amis nous a esté signifié, en nous suppliant, comme le dit Pierre de La Tremoille, quant il parti de cheux nostre dit chaufecire, n'eust au dit Jehan de Saint Yon rencune ou maltalant aucuns, ne quant il vint vers icellui Pierre et fu ferus et navrez, comme dit est, sceust que ce fust ycellui Jehan de Saint Yon, nous, consideré ce que dessus est dit, vousissons à ycellui Pierre de La Tremoille faire grace sur le dit fait et avoir de lui pitié et compassion.

Nous, pour consideracion des choses dessus dictes et pour contemplacion de nostre très cher frere le duc de Bourgongne, du quel nos bien amez Guy de La Tremoille, chevalier, et Guillaume de La Tremoille, escuier, freres du dit Pierre de La Tremoille, sont chambellans, et l'ont longuement et grandement servi et servent chascun jour, à icellui Pierre de La Tremoille avons quittié, pardonné et remis, quittons, pardonnons et remettons, ou cas dessus dit et que sur le dit fait il aura fait ou fera satisfaction convenable aux amis du dit Jehan de Saint Yon, par la teneur de ces lettres, de grace especial et de nostre auctorité real et plainne puissance, le dit fait, ensemble les diz appeaux et toute paine corporelle, criminelle et civile que pour occasion d'iceulx fait et appeaulx il puet avoir encouru, et le restituons au païs, à sa bonne fame et renommée et à ses biens. Si donnons en mandement à nostre prevost de Paris et à tous les autres justiciers de nostre royaume, presens et avenir, ou à leurs lieuxtenans et à chascun d'eulx, si comme à lui appartendra, que de nostre presente grace il facent et laissent le dit Pierre de La Tremoille paisiblement joir et user, et contre la teneur d'icelle ne le contraingnent, molestent ou empeschent, ou seuffrent estre contraint, molesté ou empeschié, en corps ou en aucune maniere, mais son corps et ses biens, se au [p. 350] contraire estoient prins, saisis, empeschiez ou detenuz, lui mettent ou facent mettre au delivre, sans delay et autre mandement attendre. Et que ce soit ferme chose et estable à tousjours, nous avons fait mettre nostre seel à ces lettres. Sauf en autres choses nostre droit et l'autrui en toutes. Ce fu fait au Bois de Vincennes, le vint nuefiesme jour du mois d'aoust l'an de grace mil ccc.lxxiiii. et de nostre regne le xie4.

Par le roy. J. Blanchet.


1 Troisième fils de Guy V de La Trémoïlle, seigneur de Vazois et de Lussacles-Eglises, et de Radegonde, fille de Guillaume Guenant, seigneur des Bordes, il était frère de Guy et de Guillaume de La Trémoïlle, dont il a été question ci-dessus (n° DIV, p. 84), et fut chef de la branche des barons de Dours. Conseiller et chambellan de Charles VI et du duc de Bourgogne en 1390, il épousa Jeanne de Longvilliers, vivait encore en 1426 et laissa trois fils et trois filles. (Beauchet-Filleau, Dict. des familles de l'anc. Poitou, t. II, p. 760.)
2 Jean de Bonnes, avant d'arriver à la Prévôté des marchands, avait été échevin de Paris de 1369 à 1312. Le 16 juillet 1369, Charles V le chargeait de recevoir les montres du duc de Bourbon, et le 3 octobre suivant il l'envoyait à Decize dans le même but. Le 31 octobre 1371, il eut encore une commission analogue pour une compagnie d'arbalétriers génois destinée à servir sous le sire de Clisson. (L. Delisle, Mandements de Charles V, nos 557, 558, 591, 828.)
3 Jean Culdoë l'aîné avait été le prédécesseur de Jean de Bonnes ; il exerçait la charge de prévôt des marchands en 1371-1372, et figure en cette qualité avec divers seigneurs et plusieurs autres bourgeois de Paris qui avaient donné leur signature en garantie d'un emprunt de 100,000 francs d'or fait par le roi à des marchands d'Avignon, le 19 juillet 1371. (Id. ibid., n° 861.) Jean Culdoë fils devint aussi prévôt des marchands de Paris en 1380. (Dom Félibien, Hist. de la ville de Paris, in-fol., t. II, p. 687.)
4 Ces lettres de rémission sont imprimées dans une publication récente de M. le duc de La Trémoïlle : Livre de comptes (1395-1406). Guy de La Trémoïlle et Marie de Sully, publ. d'après l'original par Louis de La Trémoïlle. Nantes, Emile Grimaud, 1887, in-4°, Appendice, iii, p. 149.