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MCXXXVI

Rémission accordée à Pierre de Bernezay, écuyer, qui avait enlevé de vive force Jeanne Maynier, alors sa fiancée et à présent sa femme, de la place de Cougoussac où le vicomte d’Aunay l’avait arbitrairement séquestrée.

  • B AN JJ. 178, n° 166, fol. 98
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 32, p. 1-6
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons, etc., nous avoir receue l’umble supplicacion des parens et amis charnelz de Pierre de Bernezay1, escuier, contenant que, ung an a ou [p. 2] environ, fut traictié le mariage dudit de Bernezay et de Jehanne Mayniere2, damoiselle, à present sa femme, et dès lors furent, en la presence de plusieurs leurs parens et amis, fiancez et les solennitez gardées en tel cas. Depuis lesquelles, ledit de Bernezay, pou de temps après, se tira devers le viconte d’Aunay3, soubz la justice duquel ladicte Jehanne, lors aagée de unze ans ou environ, avoit esté baillée en garde et gouvernement au seigneur d’Authon4, son [p. 3] oncle, afin qu’il levast la main et lui livrast la tutelle et gouvernement de ladicte damoiselle et de ses biens. Lequel viconte, non content dudit mariage ou autrement, respondy qu’il s’en conseilleroit et à huitaine lui rendroit response. A laquelle huitaine ledit de Bernezay retourna devers le dit vicomte, lequel lui fist savoir qu’il n’en feroit riens ; mais qui plus est, fist convenir ledit seigneur d’Authon par devant sa justice et lui fist oster ladicte Jehanne, sa nyepce, et la mist hors de son gouvernement et bailla en garde à ung nommé Guinot du Chastenet5, qui la mena en sa [p. 4] place de Cougoussac. Lesquelles choses venues à la cognoissance dudit de Bernezay, doubtant que ledit viconte d’Aunay la fist marier autrui, mesmement qu’il avoit plusieurs fois parlé dudit mariage audit Guynot, qui monstroit n’en estre pas content, icellui Pierre de Bernezay, tantost après, acompaigné de sept ou huit hommes de ses gens, se transporta, ung oiseau sur son poing, audit lieu de Cougoussac, et laissa ung peu derrière ses gens, afin qu’on ne les veist point, et requist aux portiers (sic) qu’ilz le laissassent entrer dedans ladicte place. Lequel lui respondy qu’il n’en feroit riens ; de quoy ledit Bernezay non content, lui dist qu’il le pendroit ce jour de ses mains. Et ce fait, approuchèrent les gens dudit de Bernezay de ladicte place, et l’un d’iceulx avecques une petite serpe fist ung pertuys en la porte du boullevart, par lequel il fist cheoir la barre qui tenoit la porte dudit boullevart et, icelle ouverte, [p. 5] entrèrent dedans ledit boullevart. Et eulx entrez, ledit de Bernezay appella ung de ses gens qu’il avoit envoié devant et y estoit le premier à faulses enseignes, et lui dist qu’il lui ouvrist ladicte place, lequel incontinant leur ouvrit. Et après entrèrent dedans icelle par force, sans riens frapper ne blecier, et trouvèrent ladicte Jehanne plourant et cryant, disant s’ilz l’emmenoient que son oncle seroit destruit, et autres plusieurs parolles, courroucée de ladicte prinse. Laquelle Jehanne ledit de Bernezay, son fiancé, fist prendre par force et monter derrière lui, et d’illecques la emmena à l’ostel de Cogniou à elle appartenant ; auquel cinq ou six jours après, eue sur ce dispense de nostre amé et feal conseiller l’evesque de Xainctes6, ledit de Bernezay espousa ladicte Jehanne, de son bon gré, y gardant la solennité qui y appartient ; et depuis a eu sa compaignie charnelle. Pour occasion duquel cas, par vertu de certaines noz lettres impetrées à la requeste de nostre procureur, du procureur du sieur d’Aunay et dudit Guynot, le dit de Bernezay a esté prins au corps et a esté certaine espace de temps detenu prisonnier à Saumur, et à present est prisonnier à Nyort ; et doubte à ceste cause que èsdictes prisons ne lui conviengne miserablement finer ses jours, se noz grace et misericorde ne lui sont sur ce imparties. Requerant humblement que, attendu qu’il a espousée ladicte Jehanne, laquelle il avoit fiancée de son bon gré et du consentement de plusieurs ses parens, et gardé les solennitez en tel cas requises, avant qu’il ait eu compaignie charnelle à elle, aussi qu’il nous a longuement servy ou fait de noz guerres et autrement, en plusieurs et maintes [p. 6] manieres, et encores de present est à noz gaiges et en ordonnances, etc., nous lui vueillons sur ce impartir nostre grace. Pour quoy nous, eu consideracion aux choses dessus dictes, voulans misericorde estre preferée à rigueur de justice, audit suppliant oudit cas avons quicté, remis et pardonné, etc. Si donnons en mandement, par ces mesmes presentes, aux seneschaulx de Poictou et Xanctonge et à tous noz autres justiciers, etc. Donné en nostre chastel de Mehun sur Evre, ou mois de may l’an de grace mil cccc. xlvii, et de nostre règne le xxve.

Ainsy signé : Par le roy, le sire de la Varenne7 et autres presens. De La Loere. — Visa. Contentor. Ja. de La Garde.


1 Ce personnage appartenait à une famille très ancienne du Loudunais, sur laquelle on ne possède toutefois que peu de renseignements. Elle paraît s’être éteinte au commencement du xviie siècle et sa généalogie n’a pas été dressée. Voici quelques notes inédites sur trois de ses membres vivant dans la première partie du xve siècle. Olivier de Bernezay étant décédé de mort violente, sa veuve Perrette Thissé et le second mari de celle-ci, Pierre de Lisle, dit le Tellier, soupçonnés de l’avoir assassiné, furent emprisonnés d’abord par Guillaume, sieur de Bours, chevalier, dans ses prisons des Roches-de-Ternay, puis à Loudun. Ayant relevé appel au Parlement, ils furent, le 17 juillet 1409, mis en liberté sous caution et à condition de se représenter à toute réquisition. (Arch. nat., X2a 15, fol. 273 v°.) Mais ils furent reconnus innocents. Georges Bougaut et Thévenote Normandeau, domestiques du défunt, les avaient faussement accusés. Le premier prétendait qu’il avait vu Perrette acheter de l’arsenic ; la seconde affirmait qu’Olivier avait été empoisonné, puis étranglé par sa femme, aidée de Pierre de Lisle. Les deux faux témoins furent condamnés au pilori à Paris et à Loudun, par arrêt du 23 décembre 1409. (X2a 16, fol. 35 v°.) De 1417 à 1424, Pierre (peut-être le père de celui qui obtint ces lettres de rémission) et Huet de Bernezay, frères, étaient en procès contre Guy de Saint-Macaire, gagio duelli jacto inter dictas partes. La provocation, remontant au mois de juillet 1417, venait de Guy, que ses adversaires avaient attaqué dans son honneur, en déclarant publiquement qu’il n’avait point le droit de porter le nom de Saint-Macaire. Le bailli des Exemptions de Touraine et d’Anjou fut saisi de l’affaire, le Loudunais étant de sa juridiction. Les frères de Bernezay usèrent de faux-fuyants, et le bailli leur ayant refusé un dernier délai qu’ils réclamaient pour produire les pièces à l’appui de leur défense, ils en appelèrent au Parlement séant à Poitiers ; le 20 mai 1424, un arrêt fut rendu, déclarant les appelants mal fondés, les condamnant à l’amende et renvoyant les parties à Chinon, devant le lieutenant du bailli des Exemptions qui jugerait si le duel devait avoir lieu. L’ajournement était fixé au 15 juin suivant. (X2a 19, fol. 14, et X2a 20, fol. 3 v°.) Dans l’intervalle, Pierre et Huet de Bernezay avaient été contraints de donner assurément à Guy de Saint-Macaire, à la demande de celui-ci, le 11 mars 1419 n.s. (X1a 9190, fol. 8.)

2 Elle appartenait très vraisemblablement à la famille de Jean Maynier, écuyer, fils de Guillaume Maynier, qui rendit aveu de son hébergement du Grand-Mauduit (cne de Marigny) mouvant de Chizé, les 24 août 1415 et 21 mai 1419. (Arch. nat., R1* 2173, p. 1921 ; P 1144, fol. 54 v°, 57 ; P. 1145, fol. 28 v°, 25.) Un ascendant de celui-ci, nommé aussi Jean Maynier, rendit aveu de la Thibaudière en juin 1365 ; il était alors veuf de Jeanne Thibaut et avait un fils mineur, nommé Aimery. (P. 1145, fol. 18.) Un autre Jean Maynier, licencié ès lois, était sénéchal de la seigneurie de la Barre-Pouvreau en 1470. (A. Richard, Archives du château de la Barre, t. II, p. 39, 250.)

3 François de Montbron, baron dudit lieu, vicomte d’Aunay par son mariage avec Louise de Clermont (25 mai 1403), mort après 1470. (Voir notre tome VII, p. 79, note 2, et le volume précédent, p. 284, note 4.)

4 Le chef de la branche aînée de la famille d’Authon, originaire de Saintonge, à laquelle appartenaient Louis d’Authon, dont il a été question précédemment (tome VIII, p. 222), et le célèbre historiographe de Louis XII Jean d’Authon, abbé d’Angle en Poitou, était alors Guillaume, seigneur d’Authon, marié à Pernelle de Sonneville, ou son fils aîné Jean. (Cf. la généalogie publiée dans la nouv. édit. du Dictionnaire des familles du Poitou t. I, p. 188.)

5 Nous avons recueilli dans les registres du Trésor des chartes un certain nombre de renseignements curieux sur ce personnage. Guinot du Chastenet était écuyer, seigneur de « Lasne Ponthière », Lanepontière, aujourd’hui la Nipontière. Du château féodal de la Nipontière (cne de Bords, con de Saint-Savinien, Char.-Inf.) il subsiste une tour, placée sur le sommet d’une colline, dont les fossés, glacis et retranchements sont l’indice d’une ancienne position militaire fort importante. (A. Gautier, Statistique de la Charente-Inférieure, 1839, in-4°, p. 236 ; Joanne, Nouveau dict. géogr. de la France, in-4°, 1893, t. I, v° Bords.) Par lettres datées de Chinon, avril 1446 n.s., dont nous ne publions pas le texte, parce qu’elles intéressent plutôt la Saintonge, Guinot du Chastenet obtint la remise complète des pénalités qu’il avait encourues pour les pillages, rançonnements, meurtres et autres crimes par lui commis pendant les guerres auxquelles il avait pris une part très active durant plus de vingt-cinq ans. A dix ou douze ans il était entré au service de Geoffroy de Mareuil, son parent, depuis sénéchal de Saintonge. Aussitôt qu’il fut en âge de porter les armes, il fit la guerre contre les Anglais, tant en la compagnie de son maître que d’autres capitaines. Il combattit particulièrement aux sièges de Cosnac, Mortagne, Aucort, la Bernadière, Mareuil, Aubeterre, Mornac, Auberoche et autres places de Saintonge, défendit Corbeil avec Geoffroy de Mareuil, et, après la mort de celui-ci, servit sous François de Mareuil, son fils (aussi sénéchal de Saintonge, du 27 octobre 1441 au 24 septembre 1442, date de son remplacement par Amaury d’Estissac). Guinot avait en outre assisté, du commencement à la fin, au long siège de Pontoise, et pris part « à la conqueste » faite en Périgord par le comte de Penthièvre. Dans ces lettres de rémission on trouve encore quantité de détails sur les ravages causés par des gens d’armes appelés brigans qui « dix huit ans a ou environ (c’est-à-dire en 1428), se mirent sus ès païs de Xanctonge et de Poictou, et continuellement faisoient plusieurs et innumerables maulx », notamment à Saint-Jean-d’Angély, où ils coupèrent la gorge à un nommé Gillon Favier, sergent du roi, et pendirent un bourgeois du nom d’Ambroise Daniel, à Brisambourg, à Authon et à Aujac, où ils s’étaient fortifiés ; et aussi sur l’occupation de Marans, de Benon et de l’église fortifiée de Salles en Aunis par des Bretons, après la prise et la condamnation (8 mai 1431) de Louis d’Amboise, vicomte de Thouars, et sur le siège que l’on dut mettre devant ces places, pour les en déloger. Dans toutes ces expéditions, Guinot du Chastenet avait détroussé, rançonné et mis à mal ceux qui voulaient résister. Pour sa défense, il arguait que tous ses compagnons faisaient de même, et que n’étant pas payé et ayant dépensé tout leur avoir, ils n’avaient pas d’autre moyen de vivre. A l’époque où lui furent délivrées ses lettres d’abolition, Guinot était en la compagnie et au service du « nouveau seigneur de Mareuil », chambellan de Charles VII, dont la maison n’avait jamais cessé d’être fidèle à la cause du roi de France. (JJ. 178, n° 3, fol. 2.)

A la date du 22 août 1454, Guinot du Chastenet avait cessé de vivre et sa veuve Jeanne Hélye était décédée aussi, après avoir épousé en secondes noces Jean d’Étaules, écuyer, d’où l’on peut inférer qu’il dut mourir vers 1450. Ses enfants (sans doute mineurs), soutenus par leurs parents et amis, étaient alors en procès à Saint-Jean-d’Angély contre le second mari de leur mère. (Extrait de lettres de rémission pour Jean Bar, dit de Poitou, valet de Foucaud de Polignac, JJ. 191, n° 45, fol. 22.) D’après MM. Beauchet-Filleau (nouv. édit., t. II, p. 300), un N… du Chastenet, écuyer, eut trois filles : 1° Claire, mariée à Perrot de La Guiraude, puis à Renaud de Sainte-Maure ; 2° Jeanne, femme de Gilles Aisse, écuyer, sr de Cougoussac (vers 1470) ; 3° Mathurine, épouse de Guillaume La Personne, écuyer, seigneur de Varaize. Nous pensons qu’il s’agit des enfants de notre Guinot du Chastenet, lequel, comme on le voit dans les présentes lettres, était aussi seigneur de Cougoussac. Il n’avait pas eu d’héritier mâle. Sa seigneurie de Lasnepontière ou la Nipontière appartenait le 16 juillet 1538 et antérieurement à François de La Rochebeaucourt, chevalier, seigneur aussi de Varaize, chambellan du roi et sénéchal de Saintonge, et, le 7 octobre 1564, à François Gombaud, seigneur de Chamfleury. (Arch. hist. de la Saintonge, t. XIX, p. 67, note, et t. XX, p. 277.)

6 Guy de Rochechouart, troisième fils d’Aimery de Rochechouart, seigneur de Mortemart, et de sa seconde femme, Jeanne d’Angle, fut d’abord archidiacre d’Aunis en l’église de Saintes. Élu évêque de cette ville, le 1er mai 1426, il resta à la tête de ce diocèse jusqu’en 1460 ; il résigna alors son évêché au profit de son neveu, Louis de Rochechouart. Il testa en 1460 et en 1466 en faveur de son autre neveu, Jean, seigneur de Mortemart. (Voy. Gallia christ., t. II, col. 1079.)

7 Pierre de Brézé, sr de la Varenne, était encore à cette date sénéchal de Poitou.