MCCLIX
Lettres de rémission octroyées à Jean de La Vignolle, demeurant à Auzon, coupable du meurtre de Jean Hignon, sergent de Châtellerault, qui avait débauché sa femme.
- B AN JJ. 191, n° 71, fol. 38
- a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 32, p. 402-405
Charles, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion de Jehan de La Vignolle le jeune et sa femme, contenant que, cinq ou six ans a ou environ, lesdiz supplians avecques leur mesnaige s’en alèrent demourer en la ville de Chastelleraut, en laquelle ledit de La Vignolle s’est meslé de gangner ses journées au mieulx qu’il a peu, pour avoir la vie et substentacion de lui, sadicte femme et mesnaige, et en icelle a acheté une petite maison pour soy retraire et demourer, ensemble son dit mesnaige. Et depuis y ont lesdiz supplians conversé paisiblement et demouré sans y avoir riens meffait ne mesdit à personnes quelxconques, jusques a puis deux ou trois mois ença, que lesdiz supplians avecques leur dit mesnaige sont alez demourer en ung villaige appellé Auzon près ladicte ville de Chastelleraud, et ont vendue leur dicte maison qu’ilz avoient oudit Chastelleraud, où ledit de La Vignolle estoit bien amé, à l’occasion de ce que ung nommé Jehan Hignon, sergent dudit Chastelleraut, se retiroit et frequentoit souvant la maison desdiz supplians, et en icelle prioit ladite femme d’amours et avoit sa compaignie charnelle. Et pour ce que ledit Jehan de La Vignolle l’apperceut et qu’il le trouvoit souvant en sa dicte maison, quant il venoit de gangner sa journée, lui dist qu’il ne lui plaisoit point qu’il hantast ne frequentast sa dicte maison, en aucune manière, et lui deffendy qu’il n’y frequentast plus, ou si non qu’il se courrouceroit avecques lui en telle manière qu’il s’en pourroit bien appercevoir. Mais ce non obstant ledit Hignon y aloit et frequentoit tousjours en son absence, pour fortraire sa dicte femme. [p. 403] Dont à ceste occasion ledit de La Vignolle, veant que ledit Hignon ne se vouloit deporter de hanter et converser en sa maison pour fortraire sa dicte femme ne pour deffense qu’il lui eust faicte, se tira par devers le juge dudit lieu de Chastelleraut et lui pria qu’il fist ou fist faire deffense audit Hignon que dès lors en avant il ne frequentast ne hantast en sa dicte maison. Laquelle deffense fut faicte audit Hignon par justice, et lui fut dit et notiffié que, s’il aloit plus en ladicte maison desdiz supplians, que icellui de La Vignolle le pourroit courroucier et endommaigier du corps, ainsi que autresfoiz il lui avoit dit. Non obstant laquelle deffense ledit Hignon, le lundi xxe jour de ce present mois de janvier, se parti de ladite ville de Chastelleraut et s’en ala audit lieu d’Auzon, et ainsi qu’il y aloit passa par ung lieu appellé Garlope, ouquel ledit de La Vignolle et ung nommé Jehan Camyn, besson, estoient et besongnoient de leur mestier de bessonnerie1 en ung certain pré appartenant à ung nommé François Bodin ; lesquelz ledit Hignon salua. Auquel Hignon ledit Camyn demanda où il aloit. Lequel Hignon lui respondit qu’il s’en aloit à Senon, pour Robin Bienassis, et après tira son chemin et s’en ala droit audit lieu d’Auzon, auquel il se rendi et se transporta en la maison desdiz supplians, en laquelle il trouva ladicte femme dudit de La Vignolle et ung jeune clerc appellé Jehan de La Chaume, demourant en la Maison Dieu dudit Chastelleraud, qui estoit venu veoir le filz desdiz supplians, auquel il monstroit et enseignoit à l’escole. Auquel clerc le dit Hignon dist, après ce qu’il eust mis une pièce de char qu’il avoit apportée avecques lui sur la table de ladite maison, qu’il s’en alast hors d’icelle. Lequel suppliant, veant que ledit Hignon s’en aloit droit audit lieu d’Auzon, doubtant qu’il s’en alast en sa maison, se departi de sa besongne [p. 404] d’avecques son compaignon, et lui dist qu’il s’en aloit en sa maison, et faynist qu’il alast querir une piarde2 et une sarpe, de quoy il avoit à besongnier. Et quand il fut près de sa dite maison, entendit en icelle ledit Hignon qui parloit à sa femme et lui disoit telles parolles ou semblables : « Venez ça, fermez l’uys », et la prist au collet de sa robe. Auquel Hignon ladicte femme respondit qu’elle n’yroit point à lui, et lui dist qu’il s’en alast hors de sadicte maison, car se son mary venoit, il les feroit tuer tous deux. Lequel Hignon lors lui dist qu’elle se teust et qu’elle estoit bien sote de ce dire, car il avoit laissié son dit mary en sa besongne avec le mary de la belle Rouère. Laquelle femme lors sorti hors dudit hostel et rencontra ledit de La Vignolle, son mary, qui lui dist et demanda qui estoit cellui qu’il avoit oy parler à elle ; laquelle respondit que c’estoient les enfans et leur clerc qui les estoit venuz veoir, qui s’en aloit. Lequel de La Vignolle lors lui dist qu’elle l’appellast, cuidant que ledit Hignon qui estoit dedans ladite maison, s’en yssist d’icelle. Lequel Hignon, pendant ces parolles, sortit hors de ladicte maison ; auquel ledit de La Vignolle demanda lors qui l’avoit amené en sa dite maison, ne pour quoy il y estoit venu, attendu qu’il la lui avoit deffendue par pluseurs foiz et fait deffendre, et lui avoit dit qu’il ne lui plairoit point qu’il y venist. Et en disant ces choses, ledit de La Vignolle s’aprouchoit tousjours dudit Hignon, et tenoit en sa main une pelle. Lequel Hignon, qui avoit aussi en sa main ung baston de late, quant il vit que ledit de La Vignolle s’approuchoit de lui, commença à lever son baston et frappa d’icellui ledit de La Vignolle sur le braz. Lequel, soy sentant ainsi frappé, tira ung cousteau qu’il avoit et d’icellui frapa deux ou trois coups ledit Hignon sur la poictrine du cousté senestre. Et quant ledit Hignon se sentit ainsi frappé, prist et empoigna le cousteau [p. 405] dudit de La Vignolle par le transchant tellement qu’il se coppa les doiz d’une main. Et après se prindrent tous deux au corps et cheurent à terre ; et quant ilz furent ainsi cheuz, ladicte femme print la pelle de son dit mary, et d’icelle frappa deux ou trois coups sur la teste dudit Hignon, en lui disant : « A truant, paillart, veulx tu tuer mon mary ! » Lesquelz de La Vignolle et Hignon lors se levèrent, tenans tous deux ledit cousteau ensemble dudit de La Vignolle, lequel dist audit Hignon qu’il lui laschast son dit cousteau. Lequel Hignon lui respondit qu’il le lui lascheroit parmi ce qu’il ne l’en frapperoit plus. Lequel de La Vignolle dist que non feroit il, et par ce moien lascha ledit Hignon ledit cousteau, et baillèrent la main l’un à l’autre ; et après se departirent, et s’en ala ledit Hignon. Et quant il fut environ un giect de pierre loing de ladite maison, il tumba à terre, et ilec incontinant, à l’occasion desdiz coups, il ala de vie à trespassement. A l’occasion duquel cas, lesdiz supplians, doubtans rigueur de justice, s’en sont fouiz et retirez en franchise en l’eglise…3, de laquelle ilz n’oseroient jamais partir ne converser audit lieu d’Auzon ne ailleurs ou païs, pour doubte de punicion corporelle, se nostre grace et misericorde ne leur estoient sur ce imparties, humblement requerans, etc. Pour quoy nous, ces choses considerées, voulans misericorde preferer à rigueur de justice, ausdiz supplians avons quicté, remis et pardonné, etc. Si donnons en mandement par ces presentes aux seneschaulx de Poictou et de Xantonge, gouverneur de la Rochelle et bailli de Touraine et des ressors et Exempcions d’Anjou et du Maine, et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Mehun sur Yèvre, ou mois de janvier l’an de grace mil cccc. cinquante quatre, et de nostre règne le xxxiiie.
Ainsi signées : Par le roy, à la relacion du conseil. Gauvigneau. Visa. Contentor. D’Asnières.